Jonathan Goldberg & Jean Leclercq
Cet écrivain est né à Budapest en 1905, au temps de l'empire austro-hongrois. Il fait ses études à Vienne, mais écrit son premier livre en hongrois avant d'adopter l'allemand comme langue d'écriture. Adolescent, il savait le hongrois, l'allemand, le français et l'anglais. Vers l'âge de 27 ans, il passa un an en Union soviétique où il arriva avec un vocabulaire d'un millier de mots de russe et aucune notion de grammaire. Il n'en parvint pas moins à acquérir assez de russe courant pour le parler.[Par la suite, correspondant de presse en Palestine, il devint suffisamment fort en hébreu pour écrire des articles dans cette langue et même concevoir ce qu'on croit être les premiers mots croisés en hébreu.]
C'est la grande époque du Komintern et, ardent communiste, il prend part à la guerre d'Espagne aux côtés des républicains. Capturé par les forces nationalistes, il échappe de peu à la mort grâce à un échange de prisonniers avec les autorités britanniques. Rompant avec le parti communiste en 1938, il se réfugie en France où il écrit un livre en allemand (le deuxième volume d'une trilogie commencée avec l'ouvrage en hongrois). Ce livre deviendra le manifeste de l'anti-totalitarisme. Entre-temps, l'Allemagne nazie et l'Union soviétique ayant conclu un pacte de non-agression, l'écrivain est soupçonné de connivence avec les Soviétiques, en dépit de sa rupture avec le parti et de sa dénonciation du bolchevisme. Il est arrêté et envoyé au camp d'internement du Vernet-d'Ariège, au sud de Toulouse, où il reste détenu jusqu'en janvier 1940.
Remis en liberté, il projette de fuir la France. Il demande à sa compagne britannique, avec laquelle il vit à Paris, de traduire le livre en anglais, avant même de l'avoir terminé. Elle le fait à toute vitesse. Mais, elle a quitté l'école à quatorze ans pour faire des études artistiques, et n'a absolument aucune expérience de la traduction. Lorsqu'elle butte sur un mot ou une expression, elle consulte l'auteur hungaro-germanophone qui, à l'époque, est loin de maîtriser l'anglais. Ensemble, ils bricolent un brouillon complet en anglais qu'ils envoient à son éditeur londonien le 1er mai 1940. Dix jours plus tard, ils filent vers le sud pour échapper à l'avance des troupes allemandes. Il semble qu'il ait laissé un double carbone de l'original allemand à Paris, et un autre chez un ami à Limoges.
Sur le chemin de l'Angleterre, l'auteur perd le manuscrit allemand avant d'être parvenu à le publier. Il s'installe outre-Manche et adopte l'anglais [1] comme langue d'écriture, puis actualise la traduction anglaise qu'il publie en 1940. L'intrigue se passe en 1938, pendant les grandes purges staliniennes, l'auteur exprime la désillusion que lui inspire la conception soviétique du communisme à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Le livre a été traduit en une trentaine de langues, y compris en allemand, langue dans laquelle avait été rédigée la première version. Par la suite, l'auteur assura lui-même la traduction en allemand.
En conséquence, voici un livre qui n'existe qu'en traduction. Il n'en acquiert pas moins une grande réputation et a influencé toute une génération d'intellectuels en des temps de lutte idéologique à mort entre communistes et anti-communistes. Comme on l'a vu, des traductions en ont été faites dans des dizaines de langues, mais toujours à partir de la version anglaise, elle-même en grande partie traduite. Toutefois, 75 ans après, en août 2015, on a appris qu'un éditeur suisse avait reçu un double carbone du manuscrit allemand dactylographié, resté enfoui et inconnu dans une bibliothèque de Zurich.
Qui était cet auteur multilingue ? Quel était le titre de ce livre qui lui a valu la célébrité ? Qu'est-il ensuite devenu ?
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