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Perception and Deception [1],
A Mind-Opening Journey Across Cultures
Traduction de l'anglais : Jean Lerclercq [2]
Original review in English
L'une des joies qu'apporte la lecture des textes littéraires est de découvrir combien nous autres humains sommes semblables dans l'universalité de nos besoins, désirs et craintes. Songeons à la maxime de l'écrivain : plus on s'attache au particulier et plus on est universel. Toutefois, les messages que les informations et les réseaux sociaux, la télé et le cinéma nous envoient semblent démentir cette commune universalité. Les citoyens d'un monde où les individus sont liés entre eux au sein d'une économie globalisée et sur une planète où les frontières sont en voie de disparition, semblent pris dans un étau mortel de crises d'identité culturelle qui n'est probablement pas près de se desserrer.
Il a écrit un livre opportunément intitulé Perception and Deception, A Mind Opening Journey Across Cultures. Petit ouvrage de seulement six chapitres, mais bourré d'anecdotes et de proverbes tendant à montrer que « l'observation est souvent trompeuse » et « qu'une perception peut souvent être une méprise si l'observateur se fonde uniquement sur son vécu et ses expériences. »
Dans son premier chapitre, Lurie remonte à son immersion initiale dans la culture des Kényans pendant les premiers jours de sa mission de volontaire du Corps de la Paix. [3] Après avoir invité trois amis kényans à dîner chez lui, il s'était étonné non seulement qu'aucun d'eux ne l'ait remercié de cette soirée de bonne chère et de conversation animée, mais qu'ils ne lui aient pas non plus rendu la politesse. Il devait découvrir plus tard que les portes des Kényans sont toujours ouvertes et que les invitations sont superflues. Joe a également appris qu'il se méprenait en leur demandant s'ils voulaient manger ou boire telle ou telle chose (ce à quoi les invités répondaient toujours négativement). En effet, il découvrit plus tard que les Kényans, ne voulant jamais paraître gourmands, les plats et les boissons sont systématiquement servis par celui qui invite.
Un jeune Africain pourra s'adresser à une femme plus âgée qu'il connaît même depuis peu en l'appelant grandma (mamie) en signe de respect. Si, dans notre culture occidentale, obsédée par le jeunisme, un adolescent s'avisait d'appeler grandma une femme plus âgée que lui et qu'il connaît à peine, celle-ci s'indignerait probablement qu'il ait osé l'offenser ainsi.
À l'Université de Californie, la Maison internationale de Berkeley, centre résidentiel et de formation pour étudiants du monde entier, favorisant les expériences interculturelles et les aptitudes à diriger, est le cadre de bon nombre des anecdotes que conte l'auteur. Des ambassadeurs, des dirigeants politiques, des membres de familles royales, des lauréats du Prix Nobel et des fonctionnaires des Nations Unies figurent parmi ses anciens étudiants.
Au cours des quatre-vingt cinq dernières années, de nombreux jeunes ont eu à Berkeley leurs premiers contacts non seulement en dehors de leurs cultures, mais aussi au-delà des limites de leur classe socio-professionnelle. Un étudiant mexicain dont le père était balayeur dans une fabrique de chaussures n'avait jamais frayé avec des gens assez riches pour parler de vacances de ski en Suisse et de villas en bord de mer ; des Turcs et des Arméniens sympathisaient ; un étudiant de Hong Kong éprouvait un choc en rencontrant pour la première fois un Afro-américain de Détroit avec lequel il allait partager sa chambre ; des étudiants asiatiques mangeaient ensemble dans la partie brillamment éclairée de la salle à manger plutôt que dans la zone plus faiblement éclairée, non pas, comme on devait le découvrir plus tard, parce qu'ils ne voulaient pas se mêler aux autres, mais parce qu'ils estimaient que voir ce qu'ils mangeaient était un élément important des plaisirs de la table.
La nourriture accentue énormément les différences et les préjugés culturels. Un physicien de Shanghai s'indignait que l'on serve de la dinde, animal de zoo à ses yeux ; deux Koweïtiennes s'irritaient de la présence d'un chien sous la table voisine de la salle à manger car, chez les musulmans, les chiens sont impurs et malvenus dans la maison.
Dans la partie du livre consacrée à la culture vue à travers le prisme du langage, Lurie ralentit suffisamment l'allure pour nous permettre de marquer une pause et de prendre conscience du rôle majeur que joue le langage. La place qu'occupe la violence dans les médias américains et la facilité avec laquelle on peut acheter des armes à feu choquent de nombreux étrangers. « Bien qu'ils ne soient que 5% de la population mondiale, les Américains possèdent actuellement environ 50% des armes à feu du monde entier » dit-il.
Il examine la façon dont l'histoire de la violence et des armes aux États-Unis a pénétré le langage quotidien, au point de ne pas être remis en question. La plupart des locuteurs ne sont pas conscients de ce lien lexical avec to shoot (tirer) lorsqu'ils apprécient le straight shooter (la personne franche), se méfient de ceux qui shoot their mouths off (qui parlent à tort et à travers), recommandent aux collègues d'éviter de shooting themselves in the foot (se tirer une balle dans le pied), et conseillent de ne pas shoot the messenger (tirer sur le pianiste). Des amis devraient shoot us an email, donner your best shot, stick to your guns, et do a bang up job."
En revanche, l'importance de la nourriture dans la culture française se reflète dans la langue: François Hollande a été baptisé « fraise des bois », « flanby » [4] et « Guimauve le Conquérant » par ses adversaires. [5] En français, « C'est pas la fin des haricots » est
une façon de dire que ce n'est pas la fin du monde. Une personne sympathique est une « crème ». L'éventaire largement garni de fruits et de légumes, de viandes et de produits laitiers que nous présente Lurie, montre à quel point la langue d'une culture est toute imprégnée des valeurs qu'elle véhicule.
Si, comme moi, vous avez hâte que l'auteur traite des menaces lourdes de conséquences pesant sur nos cultures qui s'entrechoquent, vous aimerez le chapitre V intitulé : Embûches et alertes dans les médias. [6] Il commence par un certain nombre de mauvaises traductions courantes relatives à des produits de diffusion mondiale pour mettre en évidence les défis linguistiques auxquels se heurtent les appellations de ces produits. Ainsi, le lancement par une société britannique d'une sauce au curry baptisée Bundh qui signifie « cul » en pendjabi ; le moteur de recherche Bing de Microsoft qui, en mandarin, ressemble à « maladie », mais peut aussi vouloir dire « crêpe » ; le modèle Fitta du constructeur Honda qui, en suédois, désigne les « organes génitaux féminins », tandis que la Pinto de Ford veut dire « petit pénis » en argot portugais brésilien.
À partir de là, Lurie traite de graves problèmes culturels diplomatiques nés de malentendus culturels. Des faux pas ont été commis par le Président Obama, Bill Gates, le fondateur de Microsoft, ainsi que par des diplomates du monde entier, même si ces personnes ont à leur disposition des spécialistes qui peuvent les guider dans ce domaine. Tragiquement, quelques soldats de l'armée afghane servant dans les forces de l'OTAN ont tué plus de cinquante militaires occidentaux en 2012, en partie à cause d'une méconnaissance culturelle génératrice de méfiance ; des brochures dans leur langue ont été distribuées aux militaires afghans pour les aider à comprendre des comportements occidentaux qui leur paraissaient déroutants.
Le temps que Lurie consacre à ces types de différences culturelles qui font peser une menace existentielle sur notre monde n'est pas du temps perdu. Les exemples qu'il donne trouvent leurs répliques dans les manchettes tragiques de nos quotidiens, et nous ne pouvons qu'opiner du chef en reconnaissant tristement qu'ils étaient probants. C'est rétrospectivement que j'estime qu'il a bien fait de commencer par consacrer autant de temps à de petits détails, souvent révélateurs de différences socio-culturelles, afin que nous puissions mieux comprendre comment de petites ignorances dont on n'a pas eu cure peuvent finir par prendre des proportions catastrophiques.
[*] Une note personelle de Bertil Weil, une connaissance de M. Lurie:
"Après avoir passé huit années en Angleterre et quatre en Chine, je me suis récemment installé à San Francisco. Comme beaucoup de Français, j’avais une image erronée des mœurs aux Etats-Unis. Après avoir passé plusieurs mois à essayer de comprendre les règles morales et de comportements, une amie m’a présenté à Joe Lurie. Son expérience internationale et son professionnalisme m’ont rapidement permis d'être plus à l’aise dans ma vie professionnelle et personnelle. Son ouvrage “Perception & Deception” est un trésor d’expériences aussi agréable à lire qu’efficace pour mieux cerner les moeurs d'une multitude de nationalités. Mon épouse a également lu le livre, ce qui lui à permis de mieux appréhender la culture et les “non-dits” français. Je recommande vivement la lecture “Perception & Deception” à toutes celles et tous ceux qui désirent voyager à l'Internationale, s’installer à l’étranger ou tout simplement passer un après-midi aussi agréable qu’enrichissant en compagnie du livre de Joe Lurie."
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[1] Les mots "deception" (anglais) et déception (français) sont de faux amis.
[2] avec l'aide de Jean-Paul Deshayes, notre terminologue-conseil.
[3] Le Corps de la Paix est une agence indépendante du gouvernement américain, créée le 1er mars 1961 par le Président John Kennedy, dont la mission est de favoriser la paix et l'amitié du monde - en particulier auprès des pays du tiers monde. Plus de 200 000 personnes ont servi dans le Corps de la Paix, dans 139 pays différents.
[4] Marque commerciale française de flan au caramel. Dessert à l'aspect flageolant qui reprend toujours sa forme initiale. Voir aussi : De Flanby à Pépère : tous les surnoms de Hollande, Le Point 10/04/2013
[5] En fait, ces sobriquets lui sont venus, non pas de ses adversaires, mais bien de ses « amis politiques », ceux qui forment la « gauche caviar », autre métaphore culinaire !
[6] Notre époque de violence n'est pas étrangère au succès que remporte, dans les médias, le néologisme « impacter » qu'on trouve accommodé à toutes les sauces !
Par le même auteur : Bicycling in the Yogurt: The French Fixation
Merci pour cet excellent article, qui incite brillamment à lire tout l'ouvrage. Je ne peux m'empêcher de citer une anecdote vécue: une amie de bonne famille genevoise (qui hélas n'est plus) se faisait appeler d'un sobriquet par son mari. C'était mignon, et nous tous ses amis utilisions ce petit nom, mais pour des amis grecs c'était gênant, car ce petit nom signifiait "vulve" en grec...
Rédigé par : Magda Chrusciel | 21/05/2016 à 23:23