Nous sommes heureux de retrouver notre contributrice fidèle, Pascale Tardieu-Baker, traductrice et interprète indépendante qui travaille à Paris de l’anglais vers le français (et vice-versa à l’oral). La traduction aide à étancher sa curiosité naturelle et sert d’alibi à sa boulimie de films, livres et magazines.
Pascale a bien voulu rédiger l'article ci-dessous à notre intention.
Mais qu’est-ce donc qu’un « bodice-ripper » ?
Ce n’est pas un émule de Jack l’éventreur, Jack the Ripper en VO, mais un genre de romans dont le lectorat est réputé être exclusivement féminin. Il ne s’agit ni d’un roman de gare, ni d’un roman à l’eau de rose, ni d’un roman de cape et d’épée mais plutôt d’un savant mélange des trois.
Un « bodice-ripper » est un roman sentimental sexuellement explicite, généralement situé dans un cadre historique et dont l’intrigue comprend toujours la séduction de l'héroïne.
Les deux mots qui composent le terme qui décrit ces ouvrages sont bodice, nom qui désigne un corselet ou corsage, voire la partie supérieure (ajustée) d’une robe et ripper, un dérivé du verbe « to rip », déchirer.
Le style de ces livres s’inspire beaucoup des ouvrages des romancières britanniques de l’époque romantique comme Jane Austen ou Emily Brontë, par exemple. Le terme « Bodice-ripper », lui, est américain. Il y est fait référence à l’écrit pour la première fois dans un article du New York Times de décembre 1980 : « Les femmes ont aussi leur pornographie : les ouvrages Harlequin, les romans aux personnages de "gros durs au cœur tendre", les " bodice-rippers" ».
Le terme est vite repris et, à partir de cette date, il apparaît à plusieurs reprises dans la presse américaine. Voici l’un des premiers exemples, tiré d’un article du Syracuse Herald Journal, New York, de 1983 à propos de Danielle Steel, [alors] romancière débutante : « Pour moi, les romans sentimentaux sont des sortes de « bodice-rippers », explique-t-elle.
Mais ce genre littéraire, malgré l’énorme succès commercial qu’il remporte, n’est pas pris au sérieux par la majorité des critiques. La plupart des exemples sont jugés selon des critères moins nobles que les romans classiques de Jane Austen ou des sœurs Brontë. Ce sont des livres qui se doivent d’être bardés de stéréotypes et dont l'intrigue tourne généralement autour d’une héroïne vulnérable confrontée à un homme, plus riche et plus puissant qu’elle, et qu'elle commence par détester. Plus tard, dévorée par le désir, elle cède à ses avances et lui tombe dans les bras.
La formule exige que ces livres soient d’épais volumes faciles à dévorer ; pour ce faire, un élément de l’intrigue, généralement une scène de séduction, doit revenir à intervalles réguliers. Selon le style de l’auteur ou de la maison d'édition, les personnages principaux doivent parfois se marier. Il est pratiquement obligatoire que la couverture soit illustrée par un portrait de l’héroïne en pamoison, sa poitrine généreuse mise en évidence.
Le corselet, également connu au XIXe siècle dans les pays anglo-saxons sous le nom de « corsage » est un vêtement qui se ferme exclusivement devant, contrairement au corset qui est traditionnellement lacé à l’arrière. Toujours contrairement au corset, qui comporte des baleines et se porte généralement sous les vêtements, le corselet que désigne le nom bodice est un vêtement « de dessus » qui se porte sur un haut en coton fin. Il est moulant, assez décolleté, généralement sans manches, et lacé ou boutonné devant. C’est un vêtement qui a traversé l’histoire puisqu’il fait toujours partie de nombreux costumes régionaux traditionnels (Bretagne, Alsace Lorraine, Provence, Bavière, Autriche, entre autres). Quant au corsage, le pendant féminin de la chemise, il recouvre le buste, comprend un col et des manches, se ferme devant et a également pour caractéristique d’être moulant ou assez près du corps. Il peut composer la partie supérieure d’une robe ou bien être un vêtement qui se porte avec une jupe
Quant à « ripper » l’autre partie du terme, il se réfère ici à l’action de déchirer (la partie supérieure d’une robe). Une variante du terme est le « bodice buster » du verbe to bust, arracher, casser, éclater.
Une figure imposée de ces romans historico-érotiques est en effet une scène de séduction ou le héros, ou bien un méchant libidineux, incapable de contenir ses ardeurs, déchire, sous les effets conjugués de la passion et de l’impatience, le corsage ou corselet de sa bien-aimée ou de sa proie, alors occupée à lui opposer une résistance qui s’avèrera toujours futile. C’est cette scène incontournable qui a donné son nom à cette catégorie de romans.
Le bodice ripper a connu son heure de gloire dans les années 70 ou 80, avec des titres parfois très noirs et loin d’être politiquement corrects (inceste, violences, héroïnes très jeunes, etc.). Il s’agit d’un genre majoritairement anglo-saxon, même si la série de romans français suivant les multiples aventures d’Angélique, marquise des Anges s’inscrit dans cette tradition.
Ces livres sont généralement publiés directement en format de poche et n’ont pas très bonne réputation aujourd’hui. De nos jours, le terme lui-même, souvent considéré comme condescendent, est rarement utilisé à cause de ses connotations à la fois bas de gamme et sulfureuses. Les internautes à la recherche du terme sur le site Wikipédia en anglais sont désormais redirigés vers la catégorie plus généraliste des « romance novels ». Dans le secteur du roman sentimental, de nombreux professionnels jugent le terme insultant. Cela tient aux scènes de violence qui émaillent nombre de ces livres et au fait que les héroïnes soient souvent dépeintes comme étant séduites contre leur gré, sans leur consentement.
Plus exclusivement féminins qu’un roman de gare mais aussi facile à lire, plus sexy qu’un roman à l’eau de rose mais tout aussi sentimentaux, plus préoccupés d’histoires d’amour que les romans de cape et d’épée mais également situés dans un contexte historique, les « bodice-ripper » faisaient jusqu’à maintenant partie des livres qu’on lit discrètement, voire en cachette. Mais une librairie d’un nouveau genre pourrait changer la donne. En effet, deux sœurs d’une vingtaine d’années, dont l’une a écrit sa thèse de doctorat sur ce genre d’ouvrages, viennent d’ouvrir en Californie, à Los Angeles, une librairie appelée « The Ripped Bodice » dont la particularité est d’être la seule au monde à se spécialiser exclusivement dans les romans sentimentaux. Si ses jeunes propriétaires se sont lancées dans l’aventure, c’est parce qu’elles considèrent que malgré le très important chiffre d’affaires que représente ce secteur, le plus populaire dans l’édition aux États-Unis, il est souvent négligé. Elles expliquent qu’il est généralement difficile pour les lecteurs friands de ces romans, fréquemment traités avec condescendance par les libraires, de se faire conseiller pour leurs achats. Elles ont donc levé des fonds et sont maintenant à la tête d’un fond d’ouvrages répartis en de multiples catégories qui illustrent bien la variété, souvent méconnue, du genre : outre les demoiselles en corselet, on y trouve aussi entre autres, des cowboys, des sorcières, des vampires, des extraterrestres et autres vikings. De quoi satisfaire tous les goûts.
Lecture supplémentaire :
We Need Bodice-Ripper Sex Education
New York Times, January 20-, 2018
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