L'article ci-dessous fut rédigé par Jonathan G. et traduit de l'anglais par notre contributrice douée et fidèle, Isabelle Pouliot, traductrice agréée de l'anglais vers le français de l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ). http://traduction.desim.ca
----------------
Je me suis entretenu récemment avec Elizabeth Seal, une actrice et une artiste de comédies musicales célèbre dans le monde entier à la fin des années 1950 et au début des années 1960. Mme Seal est arrivée à Los Angeles depuis Londres. Avant d'expliquer aux lecteurs ce qui l'a rendue célèbre dans sa jeunesse, je dois donner quelques repères historiques.
Les admirateurs d'Édith Piaf savent peut-être que de nombreuses chansons (plus de 100) qu'elle a interprétées (Milord, Hymne à l'amour, et d'autres) ont été composées par Marguerite Monnot (1903-1961), pianiste et compositrice.[1]
Marguerite Monnot & Edith Piaf (Paris 1957) | Marguerite Monnot |
Le fait que Mme Monnot ait écrit la superbe musique de la comédie musicale Irma la Douce est peut-être moins connu. Ce spectacle a été créé le 13 novembre 1956 au Théâtre Gramont qui était à l'époque une petite salle située au 30 rue de Gramont dans le 2e arrondissement de Paris. [2] Cette première production a tenu l'affiche pendant quatre ans et a contribué au succès de l'actrice Colette Renard, première interprète d'Irma. Renard a joué le rôle d'Irma pendant 10 ans. Depuis les opérettes d'Offenbach au 19e siècle, c'était la première fois qu'une comédie musicale française obtenait du succès dans le monde entier.
L'histoire se déroule dans les rues de Pigalle où traînent une bande de malfrats et où Irma la Douce exerce le plus vieux métier du monde. Elle s'éprend d'un pauvre étudiant en droit, Nestor le Fripé. Ils emménagent ensemble et Irma fait vivre Nestor pendant qu'il poursuit ses études. Mais Nestor devient jaloux des clients d'Irma; il se déguise et devient ensuite son seul client, Oscar, tout en étant son mec, Nestor. Nestor se lasse bientôt de jouer ce double rôle et décide de tuer le personnage d'Oscar. Il est arrêté pour meurtre, condamné et envoyé au bagne. Il s'ennuie d'Irma, qui n'est plus une poule; elle attend un enfant de Nestor et le lui écrit. Nestor décide alors de s'évader du bagne en radeau, retourne à Paris, réussit à prouver son innocence et retrouve Irma.
Après avoir vu le spectacle à Paris, un groupe d'entrepreneurs britanniques de l'industrie musicale, flairant le succès potentiel d'une adaptation en anglais, décident de monter leur production dans le West End de Londres. La traduction des paroles de chansons en anglais et l'adaptation qui devait garder un esprit et un chic bien français ont pris de nombreux mois. La première du spectacle a eu lieu le 17 juillet 1958, au Lyric Theatre de Londres. Elizabeth Seal, alors âgée de 25 ans, jouait le rôle d'Irma. En 1960, Mme Seal avait joué dans 1512 représentations d'Irma la Douce en Angleterre.
Lyric Theatre, Londres
Durant un séjour à Londres en 1959, j'ai eu la chance d'assister à deux comédies musicales du West End dans la même semaine. L'une était My Fair Lady, avec Julie Andrews et Rex Harrison; l'autre était Irma la Douce, avec Elizabeth Seal et Clive Revill.
Elizabeth Seal et Keith Mitchell |
Même si la comédie musicale My Fair Lady est plus connue qu'Irma la Douce, la prestation remarquable d'Elizabeth Seal dans le rôle d'Irma est gravée à tout jamais dans ma mémoire. Je n'ai jamais vu la version originale du spectacle avec Colette Renard, mais j'ai regardé sur Internet quelques chansons qu'elle interprète; à mon avis, la production britannique avait une plus grande envergure et la performance d'Elizabeth Seal était plus dynamique et multidimensionnelle. Trois facteurs peuvent expliquer cette différence : d'abord, Mme Seal chantait et dansait sur scène, alors que Colette Renard ne faisait que chanter. Mme Seal avait appris la danse et étudié à la British Royal Academy of Dancing dès l'âge de 9 ans et était une actrice accomplie lorsqu'elle a obtenu le rôle d'Irma. Ensuite, le Lyric Theatre compte 967 sièges, bien plus que le Théâtre Gramont de Paris. À l'époque, il n'y avait pas de micros dans la salle, alors Mme Seal a dû développer une voix puissante pour être entendue de tous les spectateurs. Enfin, selon moi, et d'autres peuvent être d'avis contraire, les paroles anglaises des chansons étaient parfois plus pleines d'esprit et plus pétillantes que celles du livret français composé par Alexandre Breffort, redacteur au Canard enchainé. [3]
Si je peux m'aventurer à émettre une hypothèse, j'ajouterais que cet exploit sans précédent d'Irma la Douce d'être produite simultanément au Royaume-Uni, aux États-Unis, au Canada, en Afrique du Sud, en Australie, en Allemagne, en Espagne, en Suède, au Danemark, en Italie, en Hollande, en Belgique, au Brésil et en Argentine, s'explique davantage par la popularité de la version britannique que de la version française du spectacle. [4]
Après avoir joué Irma à Londres pendant deux ans, Elizabeth Seal a repris le rôle sur Broadway où elle l'a interprété plus de 500 fois en un peu plus d'un an. En 1961, elle a remporté le prestigieux prix Tony pour la meilleure actrice d'une comédie musicale devant Julie Andrews et d'autres artistes célèbres dans le monde entier.
J'ai demandé à Elizabeth Seal combien de fois elle interprétait le rôle d'Irma à l'époque où je l'ai vue jouer à Londres. Elle m'a répondu qu'elle était sur scène six soirs, en plus de deux matinées par semaine. Étant donné la grande énergie que nécessitait ce rôle, qui était chanté, dansé et joué, j'ai trouvé cette réponse très étonnante. Et Mme Seal m'a expliqué que les jours où elle ne jouait pas en matinée, elle prenait des leçons de danse, de chant et de pose de voix. Quelle énergie et quel dynamisme elle avait!
Je lui ai aussi demandé si elle avait rencontré Marguerite Monnot. Elle m'a alors raconté qu'avant d'interpréter Irma, il lui fallait l'accord de Marguerite Monnot. La célèbre compositrice s'est rendue en Angleterre pour voir jouer Elizabeth Seal. Mme Seal ne parlait pas français; Mme Monnot ne parlait pas anglais, mais malgré cette difficulté, Mme Seal a obtenu l'accord de la compositrice.
Pour mon entrevue avec Elizabeth Seal, j'avais apporté le programme original que j'avais acheté pour la somme de sixpence (un quarantième d'une livre sterling) en 1959 et elle a eu la gentillesse de l'autographier avec une dédicace particulière « pour les lecteurs du Mot Juste ».
Je vais conclure cet article nostalgique avec une vidéo de Mme Seal qui interprète In Our Language of Love avec Keith Mitchell, suivie d'une vidéo où Colette Renard chante la version française intitulée Avec Les Anges.
Elizabeth Seal In Our Language of Love
Le spectacle Irma la Douce jouera le 14-17 décembre 2016 au Centre culturel Odyssud de Blagnac, avec Lorànt Deutsch, Marie-Julie Baup, Nicole Croisille. Voir: https://www.toulouseblog.fr/irma-la-douce-avec-lorant-deutsch-a-lodyssud-blagnac/
Le CD du spectacle original d’Irma la Douce, avec Elizabeth Seal, contenant 29 pistes, dont plusieurs chansons chantées par Collette Renaud, est disponible sur Amazon.fr au prix d’EUR 49,85, sur Amazon.com au prix de $6.26 et sur Amazon.co.uk pour 9.13 livres + frais d’expédition.
--------------------
[1] Monnot disparut à 58 ans, deux ans jour pour jour avant Piaf, qui créa avec elle la première équipe d’écriture au féminin, dès 1940.
[2] Transformé en cinéma (Le Gramont) en avril 1974, il est rebaptisé Opéra Night en 1979 après la reconversion d'une de ses deux salles en discothèque, avant de fermer définitivement en juillet 1987.
[3] après avoir été débardeur, ripeur, correcteur, photographe, marchand de tableaux, électricien, essayeur de châssis, chauffeur de taxi, camelot, fabricant de choucroute au rutabaga (pendant l'occupation) et chansonnier. [Source : belugaprod.com]. Breffort écrivit une autre comédie musicale avec Marguerite Monnot, Impasse de la fidélité, créée avec Patachou en 1960 aux Ambassadeurs.
[4] En 1963, un film américain du même nom a été réalisé par Billy Wilder. Je crois que le film est moins réussi que la comédie musicale, notamment parce que le film était un prétexte pour mettre en valeur les pitreries de Shirley MacLaine et de Jack Lemmon, qui était un acteur comique populaire à l'époque, et aussi parce que bon nombre de chansons ne figuraient pas dans le film en raison de problèmes de droits d'auteur.
Jonathan Goldberg
Dans les paroles en anglais, "other moments are glossing" est faux.
Il faudrait lire "other moments outclassing"
Rédigé par : Stewart Vaughan | 07/11/2022 à 14:00