The jumping frog: in English, then in French, then clawed back into a civilized language once more by patient, unremunerated toil
(La grenouille sauteuse : en anglais, puis en français, et puis retraduite à grand-peine dans une langue civilisée au prix d'un patient effort non rémunéré)
Recension de livre
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Mark Twain |
Helen Oclee-Brown |
La critique : Helen Oclee-Brown, traductrice commerciale du français et l'espagnol vers l'anglais. Elle est diplômée des langues modernes de l'Université de Southampton et elle a un mastère en traduction spécialisée de l'Université de Westminster. Après avoir travaillé pour une agence internationale de marketing et une jeune entreprise de traduction, Helen s'est lancée dans le monde de traduction indépendante en 2009. Elle croit fermement à l'importance des associations professionnelles. En effet, Helen est membre actif de l'ITI (Institute of Translation and Interpreting) et MET (Mediterranean Editors and Translators). Helen habite dans le comté de Kent, en Angleterre. Nous accueillons chaleureusement ses contributions à notre blog. Helen@HelenOcleeBrown.co.uk
L'auteur : Mark Twain, le célèbre écrivain, essayiste et humoriste américain, et l'auteur de Les Aventures de Tom Sawyer (1876) et de Les Aventures de Huckleberry Finn (1885).
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« Même un délinquant a le droit d'être traité équitablement ; et lorsqu'un homme qui n'a rien fait de mal a été traité injustement, il a bien sûr le droit de se défendre de son mieux. » Ainsi débute l'introduction à l'exercice de retraduction de Mark Twain. Mais qu'est-ce qui a amené ce célèbre écrivain américain à publier cette expérience curieuse? D'abord, examinons le contexte…
En 1865, « The Celebrated Jumping Frog of Calaveras County », un des premiers contes de Mark Twain, a paru dans un journal new-yorkais, The Saturday Press. Ce conte a été un succès – il y eut plusieurs reprises – et il a conduit Twain vers la reconnaissance nationale.
Tandis que Smiley va chercher une grenouille pour son adversaire, et sans que notre héros le sache, l'étranger ouvre la bouche de grenouille et l'emplit de plombs de chasse. La grenouille de Smiley, alourdie par le poids, ne peut sauter et Smiley perd le pari. À ce moment, Wheeler est interrompu. Au retour du barman, le narrateur, qui s'ennuie ferme et s'étant rendu compte de l'évocation du nom, saisit l'occasion pour s'en aller.
De toute évidence, le conte n'est guère amusant ; pourtant, c'est la combinaison de l'humour et de l'américanité qui lui donne vie. En effet, ce n'est pas l'histoire qui compte, mais la manière dont elle est racontée.
Quelques années plus tard, en 1872, la traduction française de Thérèse Bentzon a paru dans la Revue des deux Mondes. Pourtant, la traductrice (à qui Twain s'adresse en l'appelant à tort « the gentleman ») n'a pas réussi à transmettre la couleur et le sentiment du conte original. Certes, la traduction est plus ou moins précise – dans la mesure où un lecteur peut décrypter l'histoire – mais, en lisant la nouvelle en français, on ne peut ni s'imaginer un bar américain de l'époque, ni savourer la richesse linguistique du personnage.
En outre, la traductrice n'a pas réussi à saisir l'humour du conte, affirmant que l'histoire est drôle, mais pas tordante. En effet, le texte français ne s'inscrit nullement dans la tradition américaine du récit oral – ou tall tale en anglais – si bien que la traduction reste dépourvue d'énergie.
À la découverte de la traduction française, Twain a décidé d'en redresser les torts linguistiques. Et en 1875, il a republié son conte. Dans cette nouvelle édition, figurent trois versions du même récit : le conte original, sa traduction française et une retraduction, en anglais, par Twain lui-même.
Que dire de la retraduction ? C'est une horreur. Twain a décidé de retraduire le texte français mot à mot en anglais, en conservant la syntaxe française. Pis encore (et je peux presque entendre les protestations de mes collègues), Twain ne parlait pas français. En dépit de ce défi, il a soutenu qu'il pouvait le traduire « très bien » !
Mais pourquoi ce bizarre exercice linguistique ? Le but était simple : démontrer aux anglophones jusqu'à quel point le conte original a été dénaturé et montrer que l'humour américain s'était complètement perdu dans la traduction française. Pour moi, ce livre ne sert qu'à souligner la difficulté de traduire d'une culture à une autre et à mettre l'accent sur le rôle des traducteurs en tant que passerelle entre deux cultures – et, en l'occurrence, entre deux sens de l'humour nationaux.
Je laisse (en traduction) le mot de la fin à Mark Twain : « Le conte humoristique est américain, le conte comique est anglais, le conte spirituel, français. L'effet de l'histoire humoristique dépend de la manière dont elle est racontée ; celui de l'histoire comique et de l'histoire spirituelle dépend du sujet » (« How to Tell a Story », 1895).
Lecture supplémentaire :
Rare California frogs of Mark Twain lore are having sex again
The Washington Post, March 23, 2017
De nos jours il aurait pu recourir à Google translate!
Rédigé par : Elsa Wack | 12/08/2016 à 00:12