Livia Dewaele, à Oxford
devant Worcester College
L'interview avec Livia ci-dessous suit celle avec son père ,
le Professeur Jean-Marc Dewaele
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LMJ : Grandissant en Angleterre, vous avez été exposée, dès que vous avez pu parler, au français de votre père (plus des leçons de français à l'école, de 11 à 18 ans) et au néerlandais de votre mère. En outre, pendant un certain temps, vous avez eu une assistante maternelle pakistanaise qui vous appris un peu d'ourdou. Bien qu'on admette couramment que les jeunes enfants puissent sans effort acquérir plusieurs langues, avez-vous eu l'impression qu'à tel ou tel âge, ou même maintenant, rétrospectivement, le trilinguisme institué par vos parents (y compris la règle UPUL : une personne-une langue) ait été un pari ambitieux, stressant ou trop pénible ?
LD : Non, ce ne fut jamais pénible – c'était tout simplement le moyen de communiquer avec mes parents. De plus, quand je parlais d'événements qui s'étaient passés en anglais – des conversations avec des amis, par exemple – mes parents ne se fâchaient pas si j'utilisais des mots anglais. En plus, quand j'éprouvais de la difficulté à me souvenir du mot correct, ils m'aidaient toujours à le retrouver.
LMJ : Pour vous poser la même question sous un autre angle : Votre père se souvient d'une conversation que vous avez menée avec lui quand vous étiez très petite, au cours de laquelle vous avez mélangé l'anglais et le français en parlant « d'une rouge one ». Il en conclut que vous aviez un peu de difficulté à trouver le pronom équivalant à « one » en français – ne comprenant pas encore qu'il n'y ait rien à ajouter, car « une rouge » est l'article défini qui convient en français. Lorsque vous avez grandi et parlé trois langues, le processus de triage des différents modes d'expression a-t-il été naturel, ou aviez-vous (et avez-vous encore) à y réfléchir ?
LD : Je n'ai pas le souvenir d'avoir dû faire un effort conscient pour me rappeler à quelle langue appartenait tel ou tel mot. Je me souviens seulement d'avoir eu les trois langues comme trois systèmes indépendants et bien différentiés. Il se peut que ceci n'ait pas toujours été le cas, mais alors c'était dans la période de ma vie dont je ne me souviens pas.
LMJ : Alors, est-ce le genre d'expérience que vous souhaiteriez plus tard, pour vos enfants, si les circonstances le permettent ?
LD : Oui, si possible, parce que c'est un incroyable avantage de pouvoir parler plusieurs langues sans avoir à les apprendre consciemment. Ceci dit, ça dépendra des circonstances dans lesquelles je me trouverai ; mes parents étaient dans une situation optimale pour que le système UPUL fonctionne. Ma mère parlait sa langue maternelle, le néerlandais, avec moi, et mon père parlait aussi sa langue maternelle, le français, avec moi. Et grâce à l'environnement où l'on se trouvait, j'étais aussi exposée à l'anglais. Avec mes enfants, je devrai faire un choix entre mes langues, et je ne sais pas ce que je choisirai. Ce qui aidait aussi dans ma situation, c'était que tous les membres de la famille parlaient les trois langues – on parlait tous anglais, français et néerlandais. Grâce à ça, il n'y avait jamais de situation où l'usage d'une langue excluait quelqu'un. En plus, toutes ces langues étaient représentées à égalité, il n'y en avait aucune qui était dominante, ce qui aurait été le cas si l'une des langues que je parlais avec mes parents avait été l'anglais.
LMJ : Sautons maintenant à l'âge de 19 ans qui est le vôtre aujourd'hui. Vous avez, par un processus naturel, qui ne vous a pas semblé difficile, conservé une connaissance du français, du néerlandais et de l'anglais, cette dernière langue étant celle qui vous a le plus fortement imprégnée. Pouvez-vous décrire la méthode ou le processus par lequel vous vous êtes habituée à compartimenter les trois langues ?
LD : Il n'y avait jamais de processus conscient, c'est facile et évident de distinguer les langues.
LMJ Il vous arrivait de jouer au Scrabble trilingue en famille. Ce devait être l'épreuve suprême de vos connaissances linguistiques puisqu'il vous fallait faire appel à la totalité de votre vocabulaire dans les trois langues.
LD : Oui, jouer au Scrabble était chouette, mais je n'avais aucune chance de gagner puisque mes parents avaient un vocabulaire beaucoup plus vaste que le mien dans les trois langues. J'avais surtout un désavantage en néerlandais puisque je ne l'ai jamais appris à l'école. Donc, je ne sais pas bien l'écrire.
LMJ : L'anglais est la langue dont vous avez besoin pour vivre, étudier et avoir des contacts sociaux. Le français et le néerlandais vous servent quand vous voyagez en Europe. Considérez-vous que ces deux dernières langues vous soient d'une utilité pratique ou qu'elles fassent partie intégrante de vos souvenirs d'enfance et de jeunesse ?
LD : Puisque ces deux langues sont mes langues maternelles, elles ont évidemment une énorme importance comme partie de ma jeunesse et de mon identité d'aujourd'hui. C'est bien sûr utile de les parler, mais ce sont les langues que j'utilise avec mes parents, mes grands-parents et ma famille, et qui ont donc une grande importance émotionnelle pour moi.
LMJ : Vous venez de parler de votre facilité naturelle à compartimenter les langues que vous connaissez. Cela vous a-t-il aidée à bâtir des phrases en français et en anglais où le verbe est au milieu (sauf dans les interrogatives), par rapport au néerlandais où le verbe est à la fin de la phrase ?
LD : C'est l'avantage d'avoir appris mes langues naturellement et de ne jamais avoir dû me souvenir de règles de grammaire – ainsi j'ai seulement pris conscience de la syntaxe française l'année dernière, pendant mes cours de linguistique à l'université.
LMJ : Vous êtes maintenant étudiante à Oxford, n'habitant plus chez vos parents. L'anglais est votre langue dominante. Que faites-vous pour garder vivace votre maîtrise du français et du néerlandais, et pour ne pas la perdre ?
LD : J'étudie le français à Oxford, donc je conserve le français facilement. En plus, j'envoie régulièrement des courriels à mon père en français, et il répond souvent avec un relevé des fautes que j'ai commises. Pour le néerlandais, j'envoie des SMS à ma mère tous les jours, en néerlandais, et je téléphone régulièrement. On va aussi encore régulièrement en Belgique pour rendre visite à la famille. Là je parle français avec mes grands-parents paternels, et néerlandais avec ma famille maternelle.
LMJ : Pensez-vous que votre compréhension des textes anglais ait été enrichie par votre possession d'une langue romane et d'une langue germanique, les deux principales racines de la langue anglaise ? Autrement dit, êtes-vous souvent plus sensible aux racines des mots anglais parce que vous avez un sens plus vif des équivalents romans et germaniques ?
LD : Oui, je fais souvent des comparaisons entre les langues que je connais et l'anglais.
LMJ : Votre père et vous êtes ceinture noire premier dan de karaté. Qui est le meilleur?
LD : Moi ! parce que je suis plus jeune et donc plus souple et plus relaxe. Cela dit, mon père est bon, lui aussi.
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Livia, rameuse, sur la Cherwell, un aflluent de la Tamise, à Oxford
Livia est vice-capitaine de l'équipe feminine d'aviron des huit de Worcester College
Livia, konnichiwa from Hiroshima, Japan!
I really enjoyed your story (my French is poor so I read it in English!), and I would welcome a guest post from you at my blog, if you have the time and interest. I'm sure my audience of parents raising bilingual kids would find your story very encouraging. (The idea of playing multilingual Scrabble is lovely!)
Don't be too hard on your father in the dojo!
All the best to you,
Adam (Beck)
Founder of Bilingual Monkeys and author of "Maximize Your Child's Bilingual Ability"
Rédigé par : Adam Beck | 01/10/2016 à 14:53