Dans l'Angleterre des Tudors, le Premier mai était un jour férié traditionnel, normalement réservé à des célébrations et à des festivités bon enfant. En 1517, des émeutes, connues sous le nom de Méchantes émeutes de Premier mai, éclatèrent à Londres, visant les immigrants en provenance de France ainsi que les Juifs, [1] que des citoyens mécontents accusaient de prendre les emplois et l'argent des gens du cru, et qu'ils entendaient renvoyer d'où ils venaient. Une foule d'un bon millier d'hommes, dont beaucoup étaient de pauvres journaliers soutenus par quelques femmes et des membres du clergé, s'assembla à Cheapside [2] et se déversa dans la Cité, pillant et détruisant tous les biens soupçonnés d'appartenir à des étrangers.
Ces émeutes visaient surtout les immigrants français, mais les Juifs, les Hollandais et d'autres groupes considérés comme une menace économique étaient également ciblés.
Selon une pièce de théâtre intitulée « The Booke of Thomas More », écrite et revue par différents dramaturges dont William Shakespeare, Thomas More, qui était alors sous-préfet de la Cité de Londres [3] étouffa les émeutes en faisant appel au sens de l'humanité du public. More adressa un discours palpitant à la foule agressive qui réclamait l'expulsion de ceux qu'ils appelaient des « étrangers ».
Grant them removed, and grant that this your noise
Hath chid down all the majesty of England;
Imagine that you see the wretched strangers,
Their babies at their backs with their poor luggage,
Plodding to the ports and coasts for transportation,
And that you sit as kings in your desires,
Authority quite silenced by your brawl,
And you in ruff of your opinions clothed;
What had you got? I'll tell you: you had taught
How insolence and strong hand should prevail,
How order should be quelled; and by this pattern
Not one of you should live an aged man,
For other ruffians, as their fancies wrought,
With self same hand, self reason, and self right,
Would shark on you, and men like ravenous fishes
Feed on one another….
O, desperate as you are,
Wash your foul minds with tears, and those same hands,
That you like rebels lift against the peace,
Lift up for peace, and your unreverent knees,
Make them your feet to kneel to be forgiven!
.........
You’ll put down strangers,
Kill them, cut their throats, possess their houses,
And lead the majesty of law in line,
To slip him like a hound.
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Visit http://www.playshakespeare.com/license for details.
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Say now the king
(As he is clement, if th’ offender mourn)
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Should so much come too short of your great trespass
As but to banish you, whether would you go?
What country, by the nature of your error,
Should give you harbour? go you to France or Flanders,
To any German province, to Spain or Portugal,
Nay, any where that not adheres to England,
Why, you must needs be strangers: would you be pleased
To find a nation of such barbarous temper,
That, breaking out in hideous violence,
Would not afford you an abode on earth,
Whet their detested knives against your throats,
Spurn you like dogs, and like as if that God
Owed not nor made not you, nor that the claimants
Were not all appropriate to your comforts,
But chartered unto them, what would you think
To be thus used? This is the strangers' case;
And this your mountainish inhumanity.
La pièce n'a jamais été achevée. La scène 4 de l'acte II existe, de la main même du Barde, à la British Library. C'est une partie du seul texte de théâtre de l'écriture même de Shakespeare que l'on possède encore de nos jours. Trois pages du manuscrit (les folios 8r, 8v et 9r) ont été authentifiés, d'après l'écriture, l'orthographe, le vocabulaire et les idées et les images utilisées. [3] L'œuvre a d'abord été écrite par Anthony Munday, entre 1596 et 1601. En 1603, Shakespeare a été amené à réviser le texte, au même titre que trois autres dramaturges. Les ajouts de Shakespeare comprennent 147 lignes, au milieu de l'action.
Rien n'atteste que la pièce ait été jouée ou même publiée avant 1964, quatre centième anniversaire de la naissance de Shakespeare, époque à laquelle elle a été représentée par Sir Ian McKellen, à Nottingham.(Voir le video clip ci-dessus.)
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[1] Le Royaume-Uni est entièrement constitué d'immigrants : dans le haut Moyen-Âge, des Angles, des Saxons et des Jutes, des Vikings et des Normands; au début des Temps modernes, des Flamands, des Wallons et des huguenots; aux XIXe et XXe,siècles, des Allemands, des Irlandais, des Juifs d'Europe centrale, des Indiens, des Pakistanais, des Bangladeshis, des Asiatiques d'Afrique orientale, et bien d'autres encore. Qu'ils soient venus en conquérants, en réfugiés ou en migrants économiques, ils ont souvent été mal acceptés, voire même détestés.
Source: Will they really leave, and How?, Keith Thomas, New York Review of Books, 27 octobre 2016
[2] Une rue de la Cité de Londres, le centre historique et financier du Londres moderne.
[3] Sir Thomas More, homme politique et humaniste anglais, canonisé par l'église catholique (1478 –1535). Il fut convaincu de trahison, emprisonné à la Tour de Londres et finalement décapité en 1535, pour avoir refusé de reconnaître la légitimité de l'Église d'Angleterre. Au pied de l'échafaud, il déclara qu'il mourait « fidèle serviteur du roi, mais d'abord de Dieu », puis il aurait dit au bourreau : « Épargne ma barbe, elle n'est pas coupable ! ». La linguistique lui doit le mot utopie (pays ne se trouvant nulle part) qu'il inventa comme titre de son œuvre majeure, L'Utopie. Le livre eut un grand succès en Europe et le mot inspira à Charles Renouvier le terme uchronie.
[4] Heather Wolfe, Conservatrice des manuscrits à la Folger Shakespeare Library de Washington, D.C., qui est une experte de paléographie anglaise [5], a répondu à notre demande de clarification par des explications détaillées dont voici un extrait : « Sir Thomas More est une œuvre collective qui ne subsiste que sous la forme d'un seul manuscrit. On pense que la pièce a été d'abord écrite par Anthony Munday et Henry Chettle dans les années 1590, avec des apports de Thomas Heywood, Thomas Dekker et William Shakespeare. Des passages présentant des allusions politiques controversées ont été censurés par Edmund Tilney, ce haut fonctionnaire connu comme le Maître des Divertissements. D'après le style poétique, de nombreux universitaires croient que la révision de trois pages apportée à la pièce, y compris la page de gauche, est de la main de Shakespeare. Toutefois, nous ne savons pas vraiment à quoi ressemble l'écriture de Shakespeare. Six signatures du Maître, apposées sur quatre documents juridiques, sont les seuls échantillons d'écriture dont on soit sûr qu'ils sont de lui. C'est un échantillon trop ténu pour que l'on puisse se livrer à une quelconque comparaison fiable. »
[5] Paléographie, dérive du grec παλαιός, palaiós, « vieux » et de γράφειν, graphein, « écrire ». C'est l'étude des écritures anciennes et historiques (c'est-à-dire, des formes et des processus d'écriture, mais non du contenu textuel des documents) fait partie de cette discipline, la pratique du déchiffrage, de la lecture et de la datation des manuscrits historiques et le contexte culturel de l'écriture, y compris les méthodes avec lesquelles les écrits et les livres étaient produits, ainsi que l'histoire de la scriptoria.
Jonathan Goldberg & Jean Leclercq
Lecture supplémentaire :
Ils ont tué Thomas More
L'Histoire
England's Immigrants 1330-1550 : Resident Aliens in the Late Middle Ages
Parmi les Polonais visés par les sentiments xénophobes actuels, il y a une victime, Arkadiusz, 40 ans, qui fut battu à mort le 29 août dernier par une bande de voyous ados, à Harlow, une cité ouvrière proche de Londres. Paix à son âme. Selon un journaliste du site Quartz, plus que de xénophobie, de tels crimes sont révélateurs du racisme des Britanniques.Triste de penser que cela puisse être vrai.
Rédigé par : Magda Chrusciel | 08/09/2016 à 02:05