Nous sommes heureux d'accueillir notre nouvelle contributrice, Françoise Valérie.
Française expatriée, en Irlande d'abord pendant sept ans, et en Espagne depuis un an.
Valérie est née et a grandi dans un petit village des Vosges en France et cultive sa passion pour les langues depuis aussi longtemps qu'elle s'en souvienne. Dès l'âge de 17 ans, Valérie entreprend de voyager seule aux États-Unis et en Allemagne, elle fait des études de langues (anglais-allemand-italien), passe une année universitaire en Écosse, puis se rend à Paris pour terminer ses études et obtient les diplômes suivants :
- Master en Langues Étrangères Appliquées (anglais, allemand) de l'Université Sorbonne Nouvelle;
- Master en Management des Affaires Internationales, de l'école de commerce CESCI à Paris.
Après 11 années d'expérience en entreprise, dans l'export, la traduction et l'informatique, appliqués aux secteurs de la santé et des sciences de la vie, Valérie décide de se mettre à son compte comme traductrice, et s'installe en Espagne où elle peut apprendre et découvrir une nouvelle langue et culture, et élever ses deux enfants nés irlandais dans un environnement trilingue.
Adaptation de l’article, GAD ELMALEH'S TRANSLATED COMEDY, du 25 juin 2016 paru dans le New Yorker :
En tant que traductrice expatriée, et admiratrice du travail de l'artiste Gad Elmaleh, lorsqu'il m'a été demandé d’analyser des articles parus dans le New Yorker relatant de l’expérience de la star de l'humour en France venue tenter une carrière aux États-Unis, j'ai accepté la tâche avec grand intérêt.
Les Français sont très fiers de leur chouchou parti à la conquête de l’Amérique. Son courage, son ambition et son incroyable adaptation à la langue anglaise vouent l’admiration en France, où le succès de l’artiste n’est plus à prouver, et il ne fait aucun doute de ce côté de l'Atlantique qu'Elmaleh fera un succès aux États-Unis. Mais qu’en pensent les critiques outre-Atlantique, Elmaleh saura-t-il adapter son humour à une nouvelle langue, un nouveau pays, une nouvelle culture, et gagner les cœurs du public américain ? Un article intitulé « Translated Comedy » écrit par la journaliste Alexandra Schwartz, est paru à son sujet dans le New Yorker, l’un des magazines américains les plus réputés. L’article relate de l’expérience américaine d’Elmaleh, des difficultés qu’il rencontre en transposant son humour dans une autre langue et un autre pays, et des ajustements qu’il devra faire pour faire succès aux États-Unis.
« Recommencer à zéro, cela fait travailler son humilité » dit en juin dernier Gad Elmaleh qui préparait sa dernière performance au Joe's Pub, une célèbre salle de l’East Village à New-York, après six mois de tournée de son spectacle Oh My Gad. Trente-neuf spectacles en l'espace de six mois. « Partout ailleurs, Elmaleh est une célébrité. Il est juif marocain, a grandi à Casablanca et a vécu à Paris pendant des années. Lorsqu’il se
produit en Europe, il le fait en français, dans des salles pouvant accueillir des milliers de fans en délire qui ont déboursé une petite fortune pour avoir l’honneur de le voir sur scène, il est acclamé avant même d’entrer en scène. »
Au Joe’s Pub, le public regarde son spectacle tout en mangeant des hamburgers et en se faisant servir du vin ou de la bière. Elmaleh fait son stand-up d’une heure devant un public composé en partie de sa base de fans français expatriés, qui ont le plaisir de voir leur idole leur présenter de nouvelles choses, et en partie de new-yorkais perplexes, venus découvrir le travail d’un parfait inconnu, au tarif unique de 25 dollars. « Elmaleh chercha les mots pour décrire la situation difficile dans laquelle il s’était mise volontairement. C’est comme si j’allais jouer Roland-Garros de la main gauche, dit-il en reluquant la foule. La blague tomba à plat, victime de la terminologie. Aux États-Unis, on parle de French Open. »
Elmaleh prend des risques mais fait un travail acharné pour adapter et créer ses textes en langue anglaise. Comme en relatait l’an dernier une autre journaliste du New Yorker, Lauren Collins, dans son article « Comédie française » [1]. Mais ce n’est pas juste la langue qui requiert une traduction. Elmaleh est d’un genre tout différent de celui des rois de l’humour américains. « C’est un artiste protéiforme éblouissant et un charmeur de tempérament, un véritable homme de spectacle, qui chante et qui danse, tel qu’on le rencontre dans un vaudeville. Ces shows comprennent souvent un interlude musical, pendant lequel il s’accompagne, d’une aisance incroyable, de sa guitare ou de son piano et chante des compositions originales, sans fausse note. » Elmaleh et ses multiples talents sont inhabituels dans le monde du rire américain, tout comme son physique et les prouesses physiques qu’il réalise sur scène.
Son habileté physique, le public américain en voit un aperçu, comme lorsqu’il fait quelques pas succincts de ballet pour illustrer les contorsions des courses de taxi effectuées par le chauffeur de taxi Uber, ou lorsqu’il lance à un spectateur, un peu distrait : « Tu veux que je rembobine sur quelque chose que t’as manqué ? et simule un retour arrière des pas qu’il a faits sur les cinq dernières minutes dans un moonwalk accéléré ». Un tour de force réussi, reçu par de vifs applaudissements.
Mais de cette mise en scène qui ravit les foules, Gad Elmaleh va s’en détourner. « Elmaleh veut s’essayer à un art plus américain, dans le vernaculaire américain. » Au Joe’s Pub, Elmaleh fait son stand-up, le micro à la main, sans les écouteurs qui lui permettent habituellement de courir en boucle sur la scène, comme lorsqu’il imite un père exaspéré par son fils, dans son spectacle « Papa est en haut » de 2010. Non, à New-York, Elmaleh fait le pas traînant, et les cent pas sur scène. Son numéro est rythmé par les impressions d’un étranger à New-York : « les chauffeurs de taxi mauvaises langues, les agents immobiliers impitoyables, les sollicitations incessantes sur le trottoir de dons pour une bonne cause, le mélange aigre-doux d’indifférence totale suivie d’une attention exagérée lorsqu’un pourboire ou une commission pourrait être en jeu ». « How can you be more than happy to help? », de l’expression lancée par le vendeur en magasin particulièrement enthousiaste.
« Tout comme son ami et mentor, Jerry Seinfeld [2], Elmaleh aime travailler dans un mode observationnel, sociologique ». Dans ses sketchs, il se penche sur les comportements ou automatismes de chacun, que nous avons au quotidien, et que nous ne prenons jamais le temps d’analyser. « Une chose difficile à épingler quand la société observée est moins habituée à toi qu'elle ne l’est à ton public. Ce qui semble être nouveau pour celui qui observe peut ne pas l’être autant pour celui qui est observé, et Gad Elmaleh a glissé sur quelques clichés lors de ses sketchs sur l’absurde américain », comme sur la réputation ennuyeuse du base-ball américain et la vanité des américains de L.A. Mais Elmaleh n’a pas peur de prendre des risques.
En France, « Elmaleh a fait ses débuts en marge de la société, un juif nord-africain était loin de pouvoir devenir l’humoriste numéro un en France, mais il a pourtant trouvé le moyen d’utiliser son statut à son avantage artistique ». Et il a remporté le pari. Dans « L’Autre C’est Moi », un spectacle en français de 2005, son premier du genre « stand-up », Elmaleh a présenté l’un de ses personnages les plus connus, son ennemi juré, Le Blond. Le Blond a la vie facile. C’est un bel homme à qui tout réussit, et il surmonte les aléas de la vie de manière imperturbable. Lorsqu’il mange un sandwich, la mayonnaise ne coule pas, et la laitue ne se coince pas entre ses dents. Ses enfants se tiennent toujours bien, ils font du coloriage gentiment (sans dépasser !) alors que leurs petits camarades font un carnage. Le Blond, en d’autres termes, est un vainqueur. Il est aussi terriblement ennuyeux.
« Comme s’il avait senti que sa vie personnelle se rapprochait peut-être un peu trop de celle du Blond, Elmaleh a fait la une de la presse people en France, après sa rupture avec Charlotte Casiraghi, de la famille royale de Monaco. » Au Joe’s Pub, Elmaleh à l’humour charmeur, s’est essayé au flirt avec ces jeunes filles du New-Jersey qui ne le connaissaient ni d’Eve ni d’Adam. Une leçon d’humilité, mais Elmaleh a su remporter des points.
En février 2017, Elmaleh se produira au mythique Carnegie Hall [3]. Pour s’entraîner, il apparaît régulièrement au Comedy Cellar, où il se produit à micro ouvert. L’anonymat le motive. « Il dit avoir plus le trac quand il fait des numéros au Cellar que lorsqu’il se produit au stade de Bercy à Paris.. ». Aux États-Unis, Elmaleh doit travailler d’arrache-pied pour remporter chaque rire. Ici, plus rien n’est acquis. Et son sort se jouera à la façon américaine, sur un fond de tout ou rien : il fera un carton ou il rentrera chez lui.
Pour voir l’intégralité de l’article en anglais :
GAD ELMALEH’S TRANSLATED COMEDY
[1] Le titre de l’article « Comédie française » est un jeu de mots de son auteur. Le titre évoque le célèbre théâtre, institution culturelle en France, mais il évoque également pour les Américains l’« humour français », comme traduction littérale de « French comedy ». Rappelons aussi que le terme anglais « comedy » est un faux-ami de « comédie » et se rapporte en anglais à un acte ou une pièce de genre humoristique, un sens plus strict que celui qu’on lui donne en français.
[2] Jerry Seinfeld est aux États-Unis l’un des plus célèbres humoristes et une légende du stand-up. Il est également comédien, acteur, réalisateur, écrivain et producteur. Sa popularité est restée intacte depuis la fin des années 70. Quand le New Yorker se réfère à Gad Elmaleh comme le « Jerry Seinfeld » français, il s’agit du meilleur compliment qu’on puisse lui faire selon les critères américains. Jerry Seinfeld a fait la première partie du spectacle de Gad en février au Joe’s Pub de New-York.
[3] Le Carnegie Hall, que le philanthrope Andrew Carnegie fut construire en 1891, est l’une des plus célèbres et prestigieuses institutions new-yorkaises, où s’y jouent des spectacles internationaux, des opéras et d’autres performances musicales. Il est très inhabituel qu’il s’y joue un spectacle d’humour solo. Une grande réussite pour Elmaleh.
Françoise Valérie
Commentaires