notes linguistiques et historiques
Too close to call - trop juste, trop serré pour se prononcer
Au cours des derniers mois, certains sondages d'opinion ont fait apparaître un très faible écart entre Hillary Clinton et Donald Trump, les deux candidats à l'élection présidentielle américaine. La victoire de l'un d'eux sera-t-elle remportée haut la main ou de justesse ? Quel que soit l'écart qui séparera finalement les deux champions mardi prochain, il nous a semblé qu'une analyse historique de l'expression too close to call serait de nature à intéresser nos lecteurs.
Deux exemples de résultats serrés
Prenons deux exemples de résultats serrés d'élection présidentielle, ceux de 1948 et de 2000. Dans le premier cas, le duel voyait s'affronter le président sortant, Harry Truman qui, vice-président, avait succédé à Franklin Roosevelt, à la mort de celui-ci, le 12 avril 1945. Face à lui, le candidat républicain était le gouverneur de l'État de New York, Thomas Dewey, valeur sûre mais sans grand charisme que tous les sondages donnaient gagnant : the polls and pundits left no room for doubt. Les sondages et les oracles étaient si favorables, les premiers résultats si significatifs que, dans son édition du 3 novembre 1948, le rédacteur en chef du Chicago Daily Tribune, J. Loy Maloney (qui plus est sous la menace d'une grève imminente des ouvriers de livre) n'hésita pas à titrer DEWEY DEFEATS TRUMAN (en français DEWEY BAT TRUMAN). Peut-être la manchette la plus célèbre de l'histoire du journalisme américain !
L'encre des 150.000 exemplaires de la première édition n'était pas encore sèche lorsque la radio annonça un résultat étonnamment serré. La deuxième édition tenta de rectifier le tir en titrant : « les Démocrates raflent des États », rendant compte des succès de Truman en Ohio et dans une bonne partie du Midwest. Les choses en seraient peut-être restées là si, regagnant Washington en train, le président élu, Harry Truman, n'avait brandi la fameuse manchette devant les photographes, leur offrant ainsi l'un des clichés les plus sensationnels de leur carrière.
Harry Truman, après son election, 1948
Lecture supplémentaire :
Dewey defeats Truman
Chicago Tribune
L'élection présidentielle de 2000 est un autre exemple d'écart tenant dans un mouchoir de poche. Elle opposait le vice-président sortant, Al Gore, au gouverneur du Texas, George W. Bush. Son résultat a tenu aux seuls chiffres de la Floride. Les réseaux de télévision ont commencé par annoncer qu'Al Gore avait raflé les 29 grands électeurs de l'État, pour se raviser ensuite et dire que le résultat était très serré, puis déclarer George W. Bush vainqueur. Dans l'ensemble du pays, Al Gore avait remporté un demi million de voix de plus que son adversaire, mais celui-ci le devançait de 537 voix en Floride. Cet avantage infime, dans un seul État, fut source de tout un contentieux et obligea à recompter les bulletins. Mais en vain, puisque la Cour suprême des États-Unis fit cesser le recomptage ordonné par la Cour suprême de Floride, arguant qu'il contredisait le principe de l'égalité de traitement de tous les bulletins de vote. L'élection de 2000 se singularisa doublement :1) en maintenant le suspens plus longtemps que jamais auparavant, et 2) en portant à la présidence, pour la première fois en 112 ans, un candidat qui avait perdu au suffrage populaire, mais gagné à la majorité du collège électoral.
Une explication de technique électorale
S'agissant de l'élection du Président des États-Unis, il ne faut jamais perdre de vue que c'est un scrutin à deux degrés. Au niveau de chaque État, les électeurs sont appelés à choisir entre les candidats (un ticket républicain et un ticket démocrate + quelques indépendants). Ce faisant ils élisent de grands électeurs et celui des candidats qui l'emporte, rafle la totalité de ceux-ci. Cette singularité du système électoral américain s'explique par le souci des constituants de tenir compte de la structure fédérale de la nation et d'une représentation équitable des États fédérés. Le nombre de grands électeurs varie beaucoup selon les États. Il atteint 55 en Californie, 29 en Floride et 18 en Ohio et 3 dans le Vermont. Du coup, une toute petite avance permet de gagner la totalité des grands électeurs alors qu'une écrasante majorité ne donne pas un grand électeur de plus ! Ce système à deux degrés introduit une distorsion que ne connaît pas le scrutin universel direct où la décision de l'ensemble du corps électoral ne peut mathématiquement pas tourner au match nul. [1]
Une explication de psycho-politique
Partout dans le monde occidental, on observe qu'au début d'une campagne électorale, les positions sont bien tranchées et les favoris tout désignés. Puis, à mesure qu'on se rapproche de l'échéance, la fourchette se resserre jusqu'à frôler l'ex aequo. Et cela, qu'il s'agisse de choisir entre deux candidats ou deux options, comme lors d'un référendum. Comme si tout corps électoral était exactement divisible par deux. Cette dichotomie s'explique sans doute par un certain consensualisme. En effet, il n'existe plus de différences majeures entre les uns et les autres, seuls les styles diffèrent. Ensuite, il y a la médiocrité des candidats, leur absence de programme et de vision, la virtualité d'un pseudo-débat au sein duquel la polémique a remplacé la politique et où l'on s'affronte à coups d'invectives et d'arguments ad personam, pour la plus grande joie des médias qui en font leur miel. Ce pugilat médiatique engendre dégoût et abstention, notamment chez les jeunes. Certes, un vainqueur en sort finalement, mais ce vainqueur n'est pas la démocratie !
Too close to call
Mais revenons à nos moutons et interrogeons-nous sur l'expression qui rend compte de cette situation : too close to call. D'abord, notons que l'expression close call désigne une mésaventure, un accident, voire une catastrophe évité(e) de peu ; to have a close call signifie l'échapper belle, frôler le drame. [2] Si l'on y ajoute l'adverbe too, synonyme d'excessively, on renforce l'impression d'extrême justesse des résultats, rendant impossible tout pronostic. Donc, souhaitons que, cette fois, le verdict des urnes soit franc et massif, far from a close call !
[1] Il n'en demeure pas moins qu'en République d'Autriche, les dernières élections présidentielles, pourtant tenues au suffrage universel direct, ont abouti à un résultat tellement serré qu'il a fallu recommencer.
[2] René Meertens. Guide anglais français de la traduction. Paris, Chiron éditeur, 2008, p.88.
Trump, to trump, trumpery
Le patronyme Trump, que l'on dit d'origine allemande et qui fait fureur, s'est d'autant mieux acclimaté aux États-Unis que, dans un premier sens (et comme l'allemand der Trumpf), il veut dire atout. On retrouve le mot trump dans plusieurs expressions comme he has a trump up in his sleeves (il a un atout en réserve) ou he is holding all the trumps (il a tous les atouts dans son jeu). C'est donc un vocable à connotation plutôt positive, sinon gagnante !
Dans un second sens trump veut dire trompe ou trompette : the last Trump (les trompettes du Jugement dernier), à moins que ce ne soient les trompettes de la renommée. Quant au verbe to trump up, (trouvé notablement dans l'expression "trumped-up charges) c'est déjà moins glorieux puisque cela signifie : inventer de toutes pièces. On s'approche du moins clinquant des termes de la famille : trumpery. Visiblement dérivé du français tromperie, ce n'en est pas moins un faux-ami puisqu'il signifie camelote, bêtises, insignifiance. Bref, tromperie sur la marchandise.
Le flamboyant candidat au prénom de palmipède sera-t-il un atout ou de la camelote ? L'avenir, ou plutôt le verdict des électeurs américains, nous le dira le 8 novembre prochain.
Jean Leclercq
Image TRUMP L’OEIL de Tim SHEPPARD, webmaster de Le Mot juste en anglais
Mise a jour du blog:
Aux Championnats mondiaux d'échecs qui ont débuté le 11 novembre dernier à New York, the champion du monde en titre, Magnus Carlsen, opposé au Russe Sergei Karjakine (fervent partisan de l'annexion de la Crimée), a ouvert avec une variante d'une ouverture peu commune appelée « attaque Trompovsky », parfois abrégée en Tromp.
Merci pour cet article interessant.
Je note aussi que les candidats ont une tendance a utiliser le prenom de leur competition de facon derisoire:
Crooked Hilary et The Donald.
Je n'ai jamais suivi les elections de si pres (n'etant pas citoyen americain), mais je me demande si cette facon de se moquer de l'autre candidat faisait aussi partie des discours des campagnes electorales passees. Comme vous le notez si justement, les attaques personnelles ont pris la place des arguments politiques.
Rédigé par : Olivier | 06/11/2016 à 14:11