Le Débat sur les langues fut un des premiers débats de la Chambre d'assemblée du Bas-Canada (aujourd'hui, le Québec), tenu le 21 janvier 1793. À cette occasion, il fut décidé de tenir le procès-verbal de la Chambre en francais et en anglais, sans préséance de la seconde langue (pourtant langue du pouvoir britannique) sur la première.
Dans le Salon bleu de l'Assemblée nationale du Québec, on peut admirer une toile représentant le débat peinte par Charles Huot et inaugurée en 1913.
Le débat sur les langues:
séance de l'Assemblée législative du Bas-Canada
le 21 janvier 1793
Dès la toute première séance de la première législature, le 17 décembre 1792, un débat s'engage sur la langue d'usage au parlement. Le français, l'anglais ou les deux? Les membres de l'Assemblée se disputent d'abord quant au choix de l'orateur ou président : la majorité canadienne-française propose un unilingue francophone ; la minorité anglophone lui oppose trois candidats , arguant la nécessité de parler parfaitement la « langue du souverain ». La majorité l'emporte.
Le débat se poursuit ensuite sur la langue d'usage comme telle. Les Canadiens français préconisent l'unilinguisme français; les anglophones, l'anglais. Après débat, la chambre tranche en faveur du double usage. Le gouverneur Dorchester entérine cette motion, pourvu que les lois soient adoptées en anglais. La question sera définitivement tranchée par décret royal, en septembre 1793, l'anglais est la seule langue officielle du Parlement, le français n'ayant que valeur de traduction.

|

|
La Chambre aujourd'hui
|
Charles Huot
peintre et professeur, Québec, vers 1925. Université d'Ottawa, CRCCF, Fonds Charles-Huot
|
Mise à jour
Il s’avère que le débat sur les langues continue jusqu'à nos jours, au sein même des juges siégeant à la Cour suprême du Canada, ainsi qu'en témoignent les deux dosiers Gilles Caron et Pierre Boutet (Appelants) contre Sa Majesté la Reine (Intimée) et le Procureur général du Canada et autres. En 2003, chacun des deux conducteurs albertains reçoit une contravention uniquement en anglais. Ils demandent un procès en français et contestent la validité des amendes parce qu'elles n'ont pas été émises dans les deux langues officielles du Canada. L'affaire se rend jusqu'en Cour suprême en 2015 et prend toute son ampleur quand l'argument au cœur de la défense risque d'invalider un
jugement de 1988 donnant droit à l'Alberta et à la Saskatchewan de se déclarer unilingues anglophones. Les deux hommes prétendent que la loi et le règlement sont inconstitutionnels parce qu’ils n’ont pas été édictés en français et ils font également valoir que la Loi linguistique de l’Alberta est inopérante dans la mesure où elle abroge ce qui constitue à leur avis une obligation constitutionnelle incombant à l’Alberta, à savoir celle d’édicter, d’imprimer et de publier ses lois et règlements en français et en anglais.
Leur argument s’appuie sur la prémisse que la promesse faite par le Parlement en 1867 (l’«Adresse de 1867»), selon laquelle il respectera les « droits acquis de toute Corporation, Compagnie ou Individu » dans les territoires de l’Ouest, concerne le bilinguisme législatif et que cette promesse est devenue un droit constitutionnel de par l’annexion de l’Adresse de 1867 au Décret de 1870, qui est inscrit dans la Constitution du Canada.
Arrêt
Les pourvois sont rejetés par la majorité de juges. Selon eux, la Constitution n’oblige pas l’Alberta à édicter, à imprimer et à publier ses lois et règlements en français et en anglais. La thèse de C et de B ne respecte pas le texte, le contexte, ni l’objet des documents qu’ils invoquent et doit donc être rejetée. En l’absence d’une garantie constitutionnelle consacrée de bilinguisme législatif, les provinces ont le pouvoir de décider la langue ou les langues qu’elles utiliseront pour légiférer. Manifestement, une province peut choisir d’édicter ses lois et règlements en français et en anglais. Toutefois, on ne peut tout simplement pas inférer qu’une garantie de bilinguisme législatif existe et l’emporte sur cette compétence provinciale exclusive sans éléments de preuve textuels et contextuels clairs en ce sens.
Les droits linguistiques ont toujours été conférés de manière expresse, et ce dès le début de l’histoire constitutionnelle du Canada. Les termes « droits acquis » ou « droits légaux » n’ont jamais servi à conférer des droits linguistiques. Les termes « droits acquis » qui figurent dans l’Adresse de 1867 n’étayent pas la thèse de l’existence d’une garantie constitutionnelle de bilinguisme législatif en Alberta. Les garanties en matière de droits linguistiques étaient claires et explicites à l’époque. Le législateur canadien savait comment garantir des droits linguistiques et c’est ce qu’il a fait dans la Loi constitutionnelle de 1867 et la Loi de 1870 sur le Manitoba au moyen de dispositions très similaires et on ne peut plus claires. L’absence totale d’un libellé similaire dans l’Adresse de 1867 ou le Décret de 1870, adoptés à la même époque, affaiblit sérieusement l’argument de C et de B selon lequel les expressions « droits acquis » ou « droits légaux » devraient être interprétées de façon à englober les droits linguistiques.
Trois juges dissidents du banc, dont deux Québécois, s’opposent à cette conclusion.
À leur opinion, l’Alberta a une obligation constitutionnelle d’édicter, d’imprimer et de publier ses lois et règlements en français et en anglais, et ce parce que l’entente historique conclue entre le gouvernement canadien et la population de la Terre de Rupert et du Territoire du Nord-Ouest contenait une promesse de protéger le bilinguisme législatif. Cette entente a été constitutionnalisée par le truchement de l’Adresse de 1867, aux termes de laquelle, advenant le consentement de la Grande-Bretagne au transfert des territoires, le Canada pourvoirait à ce que les « droits acquis » de tout individu de ces régions soient protégés.
La valeur constitutionnelle de l’Adresse de 1867 est à nouveau confirmée à l’époque moderne par le fait de son annexion au Décret de 1870, un document constitutionnel suivant la Loi constitutionnelle de 1982, et l’annexe de cette dernière. Par conséquent, il faut appliquer les principes d’interprétation constitutionnelle à l’Adresse de 1867 pour déterminer la signification du terme « droits acquis ». Correctement interprété, le compromis constitutionnel à la source de la promesse de respecter les « droits acquis » vise le bilinguisme législatif.
Bref, selon la minorité du banc, le dossier historique démontre clairement l’existence d’une entente qui protégeait le bilinguisme législatif dans l’ensemble des territoires annexés. Cette entente a été constitutionnalisée dans le Décret de 1870— auquel l’Adresse de 1867 est annexée —, comme le confirment les événements de l’époque.
Restons à l'écoute.
Jonathan G. (à la suite d'une visite au Canada)
Source: ameriquefrancaise.org
Observatoire international des droits linguistqies
Lecture supplémentaire :
Site d l'améngement linguistique au Canada (SALIC)
BULLETIN - Bibliotèque de l'Assemblée Nationale
Volume 37, Numero 1, Québec, juin 2008
Les droits linguistiques au Canada, 3e édition
Michel Bastarache, Michel Doucet
Les commentaires récents
Ros Schwartz,
traductrice du mois de Septembre 2012