Une conséquence fortuite d'une « année sans été »
La deuxième décennie du XIXe siècle a coïncidé avec une intense activité volcanique. L'éruption cataclysmique du mont Tambora (en Indonésie) qui dura du 5 au 15 avril 1815, succédant elle-même aux éruptions de la Soufrière (Antilles, 1812) et du Mayon (Philippines, 1814) eut pour effet de projeter dans l'atmosphère terrestre d'énormes quantités de poussières (aujourd'hui, on parlerait de particules fines) qui eurent un effet désastreux sur le climat de l'Europe et du nord-est de l'Amérique du Nord tout au long de l'an 1816 que les scientifiques ont appelé « l'année sans été ». Compromettant les récoltes, les conditions météorologiques franchement exécrables entraînèrent des disettes et des émeutes de la faim éclatèrent en Grande-Bretagne et en France. En Suisse, la famine fit des ravages. Les taux de mortalité y furent deux fois supérieurs à la moyenne, atteignant un total de 200.000 décès en 1816.
Au cours de l'été 1816, c'est dans ces conditions apocalyptiques que des intellectuels anglais se sont retrouvés à Genève. Il y a là, attirés par Claire Clairmont, sa demi-sœur, Mary Wollstonecraft (devenue après Madame Shelley), et les deux poètes mythiques anglais, George (Lord) Byron, Percy Shelley et John Polidori - compagnon de voyage et médecin de Byron. Tout ce petit monde s'ennuie ferme, car la pluie et le froid empêchent les randonnées en montagne et les balades en bateau. Confortablement installés à Cologny, dans l'historique villa Diodati, nos gens discutent inlassablement des dernières découvertes scientifiques et conviennent finalement d'organiser un concours littéraire dans le seul but de se distraire. De ce jeu intellectuel, vont naître deux personnages majeurs de la littérature fantastique : Frankenstein et le Vampire.
Byron esquisse son magnifique poème Darkness (Ténèbres) qui débute magnifiquement par ce décor de fin des temps : « J'eus un rêve qui n'était pas tout-à-fait un rêve. L'astre brillant du jour était éteint ; les étoiles, désormais sans lumière, erraient à l'aventure dans les ténèbres de l'espace éternel ; et la terre refroidie roulait, obscure et noire, dans une atmosphère sans lune. »
Percy B. Shelley abandonne vite. Mais, sa jeune fiancée, Mary Wollstonecraft rédige l'essentiel de ce qui, en 1818, va devenir Frankenstein ou le Prométhée moderne, archétype des romans de terreur à base pseudo-scientifique. Relançant la littérature gothique née en Angleterre dans les années 1760, le roman de Mary Shelley inspirera jusqu'à nos jours nombre d'œuvres artistiques, théâtrales et cinématographiques, et notamment le film de James Whale (1931) avec l'acteur Boris Karloff dans le rôle titre. [1]
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Couverture de livre |
Portrait de Mary Shelley |
Timbre américain |
Plus modeste, mais tout aussi déterminant dans la genèse de la littérature fantastique, le roman The Vampyre de John Polidori, écrit à partir d'une ébauche de Byron pour ce même concours littéraire, obtint un grand succès lors de sa publication en 1819. On y voit le modèle du Dracula que Bram Stoker publiera en 1897, et le précurseur de ces buveurs de sang aristocratiques qui seront le sujet de tant d'adaptations théâtrales et cinématographiques.
Le genre « ténébriste »
C'est sur le thème de l'imaginaire gothique qu'en ce bicentenaire de la naissance des deux figures marquantes de la littérature fantastique : le Dr Frankenstein et le vampire moderne, les Musées d'art et d'histoire de Genève organisent au Rath une exposition qui s'attache au contexte et à la genèse historiques de ces fictions. Comme l'écrivent les commissaires de l'exposition, Justine Moeckli & Konstantin Sgouridis : « Depuis l'apparition de la créature du Dr Frankenstein et du vampire moderne, au début du XIXe siècle, diverses angoisses de la société occidentale ont trouvé à s'incarner dans ces figures monstrueuses. Plus généralement, depuis l'invention du genre gothique en littérature, les artistes et les écrivains ont fait appel à ses conventions pour exprimer les grands traumatismes sociaux, les changements générateurs d'inquiétudes, ainsi que les troubles psychologiques et les sentiments douloureux de l'individu moderne. »
À droite, le musée Rath (à façade de temple grec)
et, à gauche, le Grand Théâtre de Genève.
Le parcours débute par une immersion dans l'ambiance des du salon de la villa Diodati et par une évocation des échanges entre les jeunes intellectuels anglais en vacances, notamment grâce à des textes en français et en anglais. Le climat et les phénomènes météorologiques comme sources d'inspiration des artistes sont également examinés, de même que l'influence de Byron sur le mouvement romantique et les origines de la littérature et de l'art d'inspiration fantastique.
La seconde partie de l'exposition propose un parcours à travers l'art et la littérature de la fin du XIXe siècle à nos jours. Elle met en lumière les éléments et les thématiques gothiques dans le travail d'une centaine d'artistes et d'écrivains de tous les pays, grâce à des peintures, des gravures, des dessins, des photographies, des sculptures et des films. L'écrit est également très présent avec des éditions originales, des rééditions ou des traductions intéressantes, des livres d'artistes et des textes lus. Une telle concentration d'ouvrages n'a été possible que grâce aux prêts des États-Unis, du Canada et de nombreux pays européens. Le Musée d'art et d'histoire de Genève (le MAH) a également puisé dans ses collections de beaux-arts appliqués pour présenter des œuvres qui n'étaient pas sorties depuis longtemps. Bref, une belle réalisation, comme sait en organiser la cité de Calvin !
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Statue de Frankenstein à Genève
Le Retour des ténèbres. L'imaginaire gothique depuis Frankenstein.
Nightfall. Gothic imagination since Frankenstein.
Du 2 décembre 2016 au 19 mars 2017,
au Musée Rath, Place Neuve, 1204 Genève (Suisse)
Catalogue bilingue (français/anglais) de 480 pages, en vente au musée : 50 CHF.
6:49 minutes
[1] En Grande-Bretagne, le Théâtre national a représenté une adaptation scénique de Frankenstein avec, dans les deux principaux rôles, Benedict Cumberlach et Jonny Lee Miller.
Jean Leclercq
Lectures supplémentaires :
Joseph Conrad : Genève-les-Bains ou Spy-City ? - Magdalena Chrusciel
Christopher Lee, alias Dracula, est mort - Madeleine Bova
Frankenstein at 200.
New York Times, October 25, 2018
Bonjour,
je suis une auteure rennaise qui vient de publier son premier roman sur Amazon, "Vert-de-Lierre". Il s'enracine dans mon amour pour les atmosphères gothiques et le romantisme noir, et mêle fantastique et mythe païen dans la toile de son intrigue. Il s'intéresse à un personnage sombre et maudit au surnom étrange, le Lierreux, qu'il ne vaut mieux pas rencontrer au sacre du printemps...
Si vous souhaitez y jeter un oeil, n'hésitez pas à aller voir ici :
https://www.amazon.fr/Vert-Lierre-Louise-Bars-ebook/dp/B07D94LM82/ref=pd_rhf_ee_p_img_1?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=6KWQHB9KH0XSJ49FVB19
Je vous souhaite une très belle continuation, je trouve votre blog excellent, très bel hommage à la culture gothique !
Merci,
Lorelya Styx
Rédigé par : Louise Le Bars | 14/06/2018 à 00:27