Après Babel, traduire au MuCEM (Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée), jusqu'au 20 mars 2017. Notre linguiste invitée de février, Mme Ayres-Bennett, éminente universitaire britannique, déplorait qu'il n'existât point, au Royaume-Uni, de musée des langues, alors qu'il s'en trouve un pour les colliers de chien ou les tondeuses à gazon ! Il semble que Mme Barbara Cassin, directrice de recherches au CNRS,
philologue et philosophe, spécialiste de la philosophie grecque, ait été, elle aussi, consciente de ce manque et qu'elle ait voulu y remédier en organisant une extraordinaire exposition sur le thème « Après Babel, traduire ». Car, selon la tradition (Genèse, 11.1-9), l'histoire de la traduction débute en Mésopotamie, dans cette terre de Shin'ar où les survivants du Déluge décident de fonder une ville et d'édifier une tour où ils seront « un seul peuple, une seule lèvre pour tous ». Mais Dieu contrarie leur grand dessein : « là Iahvé a mêlé la lèvre, et de là Iahvé les a dispersés ». L'orgueilleuse tour qui devait s'élever jusqu'au ciel devient la tour de Babel, Migdal Babel, la Tour de la Confusion, pour ceux qui font un lien entre Babel, le substantif hébreu בילבול (confusion) et le verbe לבלבל (confondre). Mais, plus qu'un châtiment, la multiplication des langues est une chance pour l'humanité : la diversité va se révéler plus riche que l'uniformité. Partant d’une abstraction - le passage d’une langue à une autre -, l’exposition donne à voir, à penser et à voyager dans cet entre-deux. Du mythe de Babel à la pierre de Rosette, d’Aristote à Tintin et de la parole de Dieu aux langues des signes, elle présente près de deux cents œuvres, objets, manuscrits, documents installations, qui expriment de façon spectaculaire ou quotidienne les jeux et les enjeux de la traduction, la langue de l'Europe, comme le disait Umberto Eco. . Rares sont ceux qui auront encore la chance ou le temps de se rendre à Marseille avant
que l'exposition ne ferme ses portes. Heureusement, il leur reste la possibilité de se procurer le magnifique catalogue qui se présente comme des « Mélanges en l'honneur de la traduction ». Le catalogue s'articule autour deux idées fortes. L'une renvoie à un fait d'histoire : la traduction est l'une des caractéristiques essentielles de la civilisation en Méditerranée. L'autre est un enjeu de politique contemporaine : la traduction, comme savoir-faire avec les différences, est un modèle pertinent pour appréhender la citoyenneté d'aujourd'hui. Ces idées seront instruites dans un « fil rouge » rédigé par la commissaire de l'exposition, Mme Barbara Cassin, qui court tout au long de l'ouvrage, en regard ou en marge des différentes contributions. Ce catalogue peut être obtenu sur le site Amazon.
Jean Leclercq
Lecture supplémentaire :
Note personnelle
Lorsque mon collègue, Jean Leclercq, m'a envoyé l'article ci-dessus, à propos d'une exposition qui se tient actuellement à Marseille, j'étais en vacances dans une autre ville méditerranéenne, Haïfa. Dans mon esprit, cette ville portuaire d'Haïfa évoque des souvenirs à la fois généraux et personnels. Au fil des siècles, la ville a changé de mains. Elle fut tour à tour conquise et régie par les Phéniciens, les Perses, les Hasmonéens, les Romains, les Byzantins, les Arabes, les Croisés, les Britanniques et les Israéliens.
En 1799, pendant sa tentative de conquête de la Palestine et de la Syrie, Napoleon Bonaparte se rendit maître d'Haïfa, mais dut vite s'en retirer. Dans sa proclamation de fin de campagne, Napoléon se targua d'avoir rasé les fortifications de Kaïffa (comme on l'appelait à l'époque) (1) de même que celles de Gaza, Jaffa et Saint-Jean d'Acre.
Sur un plan plus personnel – et pour en revenir à Marseille – je me souviens de ma traversée de Marseille à Haïfa (après avoir achevé un cours de civilisation française à la Sorbonne) et il y a si longtemps que je ne peux en donner la date exacte). En chemin, le bateau fit escale à Naples et à Limassol (Chypre).
Pour achever cette note sur le mode linguistique, voici un panneau indicateur typiquement israélien - en caractères arabes, hébraïques et latins. (L'hebreu et l'arabe sont les deux langues officielles de l'État d'Israël.)
Chaque langue a une histoire intéressante. Mais, c'est un sujet pour une autre fois.
Jonathan Goldberg
(1) C'est aussi la graphie adoptée par Hergé dans L'Or noir.
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