Nous sommes heureux de retrouver notre contributeur fidèle, René Meertens, traducteur de langue française. René a été employé par l'ONU, l'Unesco, la Commission européenne et l'Organisation mondiale de la santé. Il est l'auteur, entre autres livres, du "Guide anglais-français de la traduction" et du "Dictionnaire anglais-français de la santé et du médical". René a bien voulu rédiger l'article suivant à notre intention.
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Le suffixe « manship », désigne en général l'habileté d'une personne dans le domaine indiqué par la première partie du mot, le résultat de l'exercice de cette habileté ou la situation d'une personne. Les plus fréquents sont sans doute workmanship et craftsmanship, qui désignent soit l'habileté d'une personne qui accomplit un travail, soit la qualité de ce travail, laquelle peut être excellente, satisfaisante ou mauvaise. (On peut faire le rapprochement avec le mot néerlandais vakmanschap, qui a à peu près le même sens.) Pour sa part, le churchmanship est l'aptitude à faire un bon ecclésiastique.
En principe, tout mot se terminant par « man » peut produire un dérivé en « manship » : freshmanship désigne la qualité d'étudiant de première année (le bizuth, dans l'argot estudiantin). Les mots de ce type peuvent aussi servir à désigner une profession, celle de bourreau, par exemple (hangmanship), une fonction (chairmanship) ou un trait de caractère (gentlemanship). Chacun des mots en « manship » se traduit en français par plusieurs mots, dont le premier est souvent art, aptitude, habileté, adresse, talent, profession, statut, qualité.
Les mots en « manship » ont dans l'ensemble un sens positif : l'artiste de variété doit faire preuve de showmanship (talent), et l'apanage du calligraphe est le penmanship (une belle écriture). Le swordsmanship a perdu son utilité de nos jours, sauf lors des compétitions d'escrime, puisqu'il s'agit de l'habileté à manier l'épée. Le sportif se doit de faire preuve de sportsmanship mais s'il manque de fair-play, on lui reproche son bad sportsmanship. Cependant, ajoutée à des substantifs désignant des hommes peu recommandables, la terminaison « manship » produit forcément des termes péjoratifs : conman (escroc) donne conmanship.
Le suffixe « manship » a aussi été utilisé pour former des mots qui n'étaient pas dérivés de mots qui se terminent en « man ». C'est le cas en particulier de brinkmanship, auquel un billet du Mot juste en anglais a été consacré il y a quelques semaines. Le mot brinkman n'existe pas et ces mots ne sont pas issus du génie collectif de la langue, mais ont été créés par une personne bien précise.
Ils sont souvent péjoratifs. Le gamesmanship, est l'art de battre un adversaire en recourant à des procédés qui le déstabilisent. [1] Dans les années 1960, l'écrivain français Pierre Daninos a publié un recueil de nouvelles humoristiques traduites de diverses langues, intitulé Tout l'humour du monde. L'une d'entre elles, traduite de l'anglais, s'intitulait Comment gagner un match de tennis sans tricher vraiment et illustrait le gamesmanship avec beaucoup de drôlerie. Il y a fort à parier qu'il s'agissait d'une traduction d'un chapitre de The Theory & Practice of Gamesmanship: or The Art of Winning Games Without Actually Cheating, de l'humoriste britannique Stephen Potter, qui serait l'inventeur du mot.
On a parlé de gamesmanship lorsque le champion de tennis Michael Chang servit un jour « à la cuiller », gagnant ainsi le point contre un Lendl médusé. La vidéo suivante illustre ce fait peu glorieux :
1989 Chang Lendl - Service à la cuillère by rolandgarros
Au tennis toujours, on peut essayer d'impressionner l'adversaire en poussant des grognements de bûcheron.
Celui qui se livre au one-upmanship s'emploie à faire mieux que les autres et passe pour un prétentieux.
Sur le modèle de craftsmanship, le mot crapmanship, assez peu attesté, désigne la qualité exécrable d'un travail ou d'un produit. Exemple : I bought this ballpen yesterday and it's already leaking. What a piece of crapmanship!
Si brinkmanship est l'art de frôler la catastrophe dans l'espoir de faire reculer l'adversaire, le mot blinkmanship, dont je serais l'inventeur, est l'aptitude à fixer son adversaire droit dans les yeux sans cligner et, par extension, le sang-froid ou l'imperturbabilité dans la confrontation.
Comme seule l'imagination limite le nombre de mots terminés par ce suffixe, nos lecteurs se prendront peut-être au jeu et pourront ainsi tester leur « wordmanship » !
Ce billet a bénéficié de l'apport de Jean Lerclercq et de Jean-Paul Deshayes.
[1] The art of winning games by using various ploys and tactics to gain a psychological advantage. (OxfordDictionaries.com)
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