Geert Sivellis
Traduction: Jean Leclercq (ORIGINAL ENGLISH TEXT)
LMJ : Vous avez un nom à consonance néerlandaise et vous habitez Amsterdam. Mais vous êtes né, vous avez grandi, au Portugal. Comment cela s'explique-t-il ?
Geert Sivellis : Mes parents sont tous deux néerlandais, mais ils se sont rencontrés au Portugal et y ont commercé pendant de nombreuses années. Jusqu'à 19 ans, j'ai vécu près de Lisbonne.
LMJ : La première chose qui a frappé nos oreilles, c'est que vous parlez anglais très distinctement, avec un pur accent américain, que votre anglais est très idiomatique et votre débit rapide. Personne n'imaginerait que vous soyez né et ayez grandi ailleurs qu'aux États-Unis. Pourtant, vous êtes né au Portugal, de parents néerlandais, et c'est plus tard que vous vous êtes installé aux Pays-Bas. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ?
G.S. : J'ai grandi au Portugal, dans un milieu très international. Il y avait au moins cinq écoles internationales anglophones dans la région. L'anglais était la langue courante. Pendant quelque temps, mes parents ont tenté d'enseigner le néerlandais à leur progéniture, mais cela s'est avéré trop déroutant pour de jeunes cervelles qui apprenaient en même temps l'anglais et le portugais. Comme le néerlandais nous semblait la langue la moins utile à ce stade, nous l'avons abandonné. Toutefois, mes parents le conservèrent comme leur langue secrète. Ils se parlaient en néerlandais lorsqu'ils avaient quelque chose à se dire que les enfants ne devaient pas savoir. Je n'ai commencé à apprendre le néerlandais qu'après m'être installé aux Pays-Bas pour aller à l'université (où tous mes cours étaient également en anglais). Beaucoup de gens trouvent amusant et déroutant qu'un jeune Néerlandais soit né au Portugal mais parle anglais. Pourtant, cela n'était pas rare là où j'ai grandi. Nous regardions tous un tas d'émissions de télévision et de films américains qui nous fournissaient les expressions idiomatiques. Quant à la vitesse d'élocution, je suppose qu'étant le cadet d'une fratrie de quatre, c'était le seul moyen de pouvoir placer un mot !
LMJ : Quel conseil donneriez-vous à quiconque désire acquérir la plus grande maîtrise possible de l'anglais ou de toute langue autre que celle qui est parlée localement ?
G.S. : Ce que beaucoup de gens observent quand ils se rendent au Portugal, c'est le haut niveau de l'anglais qui y est parlé, surtout par rapport à l'Espagne voisine. La principale raison en est qu'au Portugal on ne double pas les films et les émissions de télévision en anglais, contrairement à ce qui se fait en Espagne. Du coup, les Portugais sont bien plus en contact avec la langue anglaise. Donc, mon conseil serait : regardez la télévision.
LMJ : À 19 ans, vous vous intallez à Utrecht . Quelles études y poursuivez-vous ?
G.S. : J'ai suivi les cours du Collège universitaire d'Utrecht. C'était le premier collège universitaire de culture générale de type américain aux Pays-Bas. Il y a maintenant des collèges de ce genre dans de nombreuses villes du pays. Mes études s'ordonnaient autour de l'histoire, de la littérature et des arts d'interprétation, plus quelques bricoles. Les lettres étaient ma matière principale.
LMJ : Pouvez-vous classer les langues que vous connaissez, par ordre de maîtrise écrite et parlée que vous en possédez ?
G.S. : L'anglais d'abord, comme langue natale, écrite et parlée. Ensuite, je maîtrise le portugais parlé, mais je peine à l'écrire. Ce n'est pas ma langue natale. Mon néerlandais est en progression constante – j'estime en posséder maintenant une maîtrise relative. Là aussi, j'ai du mal à l'écrire (la langue écrite diffère sensiblement de la langue parlée). Je maîtrise presque l'espagnol, ou plutôt le portuñol que la plupart des Portugais connaisent. Je n'ai guère l'occasion d'écrire en espagnol. Enfin, j'ai une certaine connaissance du français, suffisante tout au moins pour me débrouiller en pays francophone. À Amsterdam, on peut vivre longtemps sans jamais avoir besoin de parler néerlandais. Les gens d'ici aspirent à parler anglais.
LMJ : Vous êtes guide pour une grande agence de tourisme amsteldamoise [1] . Mais vous êtes à votre compte. Voyez-vous cela comme une carrière ou comme une étape vers autre chose ?
G.S. : Je viens d'avoir 30 ans, si bien que cette question est de celles qui, la nuit, me taraudent l'esprit. Franchement, j'adore mon travail, j'aime rencontrer des gens venant de partout et leur raconter des histoires. Propriétaire de mon entreprise (les merveilleux Get Lost Tours), j'ai la liberté de cultiver d'autres intérêts tels que l'écriture, les voyages, la scène, et d'autres tocades de créativité. J'ai écrit et dirigé quelques films. J'espère continuer en utilisant mon travail pour financer mes violons d'Ingres. J'aime
également utiliser mon expérience de guide pour des créations. C'est ainsi qu'avec un associé, j'ai monté Zeyto Games. Nous concevons des jeux du genre puzzle/chasse au trésor en ligne dont le thème est une exploration des villes d'Amsterdam et de Lisbonne. On résout un puzzle et, par la même occasion, on découvre l'histoire des villes. En somme, on fait d'une pierre, deux coups !
LMJ : Comme guide, vous citez de nombreux événements historiques relatifs à Amsterdam et aux Pays-Bas en général. Quel niveau de connaissance possédez-vous de l'histoire de ce pays ? Devez-vous lire pour parfaire votre savoir ?
G.S. : J'adore les livres d'histoire des Pays-Bas, j'adore visiter des musées et, heureusement, j'ai des amis qui ont les mêmes goûts, si bien que nous échangeons souvent des anecdotes. Je dirais que j'ai une connaissance assez profonde de l'histoire des Pays-Bas, encore qu'elle soit résolument - excusez le néologisme - amstello-centrique !
LMJ : Quelles autres activités professionnelles avez-vous exercées parallèlement à vos fonctions de guide ?
G.S. : J'ai travaillé comme chroniqueur de voyages (ce qui n'est pas aussi drôle qu'il y paraît), j'ai hébergé une émission de radio pendant un an et il m'est arrivé de prêter ma voix comme doubleur. Il y a quatre ans, j'ai été engagé pour installer le bureau lisboète d'une des agences de tourisme avec lesquelles je travaille et j'y ai consacré neuf mois. Comme je l'ai déjà dit, j'ai commencé à concevoir des jeux de piste urbains en ligne. De façon moins professionnelle (c'est-à-dire sans être rémunéré), j'écris des contes et je les joue. Actuellement, je travaille à un livre pour enfants et je compose, mais très très lentement, un spectacle musical.
LMJ : Comment comparez-vous Lisbonne et Amsterdam du point de vue de la qualité de vie ? Y-a-t-il une autre ville où vous aimeriez vivre ?
Lisbonne 530.000 habitants |
Amsterdam 800.000 habitants |
G.S. : Lisbonne change tellement vite que mes impressions pourraient être très dépassées. La ville devient un point névralgique de la technologie – la vie n'y est pas chère, les gens y sont extrêmement cordiaux et la cuisine y est la meilleure d'Europe. Le climat est incroyable et c'est incroyablement beau. J'ai choisi de vivre à Amsterdam parce que c'est tellement international et que le niveau de vie y est très élevé. Cela veut dire qu'il y a un tas de gens créatifs qui ont le temps et les moyens de s'adonner à leurs passions. Cela me permet de trouver facilement des illustrateurs, des compositeurs et des stylistes pour travailler à mes petits projets. Le seul bémol est ici l'horreur du climat, mais je m'en accomode. Amsterdam est joyeuse et cordiale, incroyablement sûre et très petite. De cœur, je suis l'enfant d'une petite ville. Franchement, je suis toujours surpris que plus de gens ne veuillent pas vivre à Amsterdam. [2] C'est la ville la plus proche de la perfection que j'aie jamais vue. Ceci dit, si l'occasion se présentait, j'aimerais vivre à New York ou à San Francisco, deux villes où j'ai séjourné pendant quelque temps.
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Notes - J.L.
[1] Amsterdam vient du vieux néerlandais Amstelerdam : la digue sur l'Amstel, fleuve canalisé de 31 km de long qui arrose la ville. Les habitants d'Amsterdam sont les Amsteldamois, et Geert possède des connaissances amsteldamo-centriques ! Néologisme qui a peu de chances de s'inviter en traduction. Mais, qui sait ?
[2] Cette préférence pour New York marquée par notre invite, Geert Sevellis, peut avoir des racines historiques. On se souvient que la ville a été fondée par Peter Stuyvesant, un navigateur des Pays-Bas, et sa toponymie témoigne encore de ses origines bataves : Harlem, Hoboken, etc.
Maisons de style néerlandais, bâties au début du XXe sur William Street au bas de Manhattan, rappelant les origines néerlandaises de la ville. De la colonie du XVIIe , il ne reste que des vestiges archéologiques à la suite des deux grands incendies de New York de 1776 et de 1835.
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Merci à l'équipe pour cet entretien rafraîchissant avec un linguiste du terrain. Il donne envie de retourner à Amsterdam, qui est délicieuse à visiter. A Genève, j'ai parcouru la vieille ville sur les traces des écrivains, et c'était tout à fait intéressant, mais j'aimerais beaucoup revoir Amsterdam avec Geert. Bravo à Jonathan pour dénicher de tels artistes !
Rédigé par : Magda Chrusciel | 25/05/2017 à 00:53