L'écrivaine et femme de lettres de tout premier plan, Germaine de Staël, est morte il y a deux cents ans, le 14 juillet 1817, a l'âge de 51 ans. Anne-Louise Germaine Necker, devenue par mariage baronne de Staël-Holstein, est née à Paris en 1766. Elle est la fille adorée de Jacques Necker qui fut ministre des finances de Louis XVI. Fils cadet d'une famille genevoise d'origine allemande, on l'avait envoyé à Paris afin qu'il s'initiât à la banque. Il le fit si bien qu'il amassa une coquette fortune en spéculant sur les céréales. Mais, pour être riche, il n'en demeure pas moins citoyen d'une république et pétri d'éthique protestante. Aussi conseille-t-il à Louis XVI des réformes qui, si elles avaient été appliquées, auraient peut-être évité la Révolution. Mais, Louis XVI, cédant aux pressions de la Cour, renvoie Necker et certains historiens ont vu dans ce renvoi l'une des causes immédiates des événements de juillet 1789.
Tout cela pour dire que la jeune Germaine (Minette, pour ses parents) reçut une éducation de choix dans le milieu très privilégié du salon où sa mère (née Curchot) accueillait tout ce que la capitale française comptait de beaux esprits. D'ailleurs, ses parents veulent que leur fille unique soit élevée comme un garçon et qu'on l'initie très tôt aux sciences, aux lettres et aux arts. Nourrie de l'esprit des Lumières, Germaine s'enthousiasme d'abord pour la Révolution, puis s'émeut des dérives et des excès du nouveau régime. Elle est même obligée de quitter Paris et saluera donc, comme beaucoup à l'époque, l'arrivée au pouvoir de Bonaparte, restaurateur de l'ordre. Elle se dit même qu'un tel génie a besoin d'une inspiratrice, d'une égérie, et elle se voit bien jouant ce rôle. Hélas, Bonaparte n'en a cure et finit même par l'exiler en 1803 lorsque, dépitée, elle est devenue gênante. Germaine se retire donc à l'orée de la France, à Coppet, dans le canton de Vaud (Suisse), où son père a acheté un château en 1784. Cet endroit deviendra le rendez-vous de l'élite intellectuelle européenne. Elle entend y réunir les états généraux de l'intelligence. Lord Byron, Chateaubriand, Benjamin Constant, François Guizot, le prince royal de Prusse, pour n'en nommer que quelques-uns, séjournent à Coppet et y échangent des idées. Ils y sont attirés par l'esprit de la maîtresse de maison autant que par la présence de la belle Juliette Récamier dont Germaine a su faire sa complice. Coppet devient une forteresse de l'anti-absolutisme et du libéralisme, mais aussi le creuset du romantisme littéraire. L'influence de Germaine et de son cercle d'amis et d'amants devient telle qu'on en viendra à dire « qu'en Europe il faut compter trois puissances : l'Angleterre, la Russie et Mme de Staël ».
Mais, parallèlement à l'action politique, elle produit une œuvre littéraire qui exercera une grande influence sur son siècle. Elle débute avec un essai intitulé : De l'influence des Passions sur le bonheur des individus et des Nations, paru en 1796. Tout Germaine est dans ce titre. Les passions comme la quête du bonheur individuel et collectif vont l'occuper jusqu'à la fin de ses jours. Elle produit des romans comme Corinne et Delphine, mais elle influera surtout profondément sur ses contemporains en écrivant De l'Allemagne, livre dans lequel elle prône l'édification d'une Europe des libertés intellectuelles et philosophiques, tout en révélant l'âme allemande à une intelligentsia jusque-là plutôt tournée vers le monde méditerranéen. Comme son voisin Jean-Jacques Rousseau, elle est très en avance sur son temps et on la redécouvre actuellement à la faveur des événements contemporains. [1]
Germaine ne survécut guère à la chute du « tyran », puisqu'elle mourut deux ans après la disparition de l'Empire. Elle repose près de ses parents, dans un mausolée édifié dans le parc du château de Coppet, toujours propriété de ses descendants, la famille d'Haussonville. Ces temps-ci, l'harmonie du lieu de sa dernière demeure est menacée par un projet immobilier qui modifierait le cachet du petit bourg des bords du Léman. [2] Mais, les Suisses disposent d'une arme absolue : le droit d'initiative au niveau municipal qui permet aux citoyens de se prononcer par référendum sur tous les sujets touchant à leur cadre de vie. Un ultime combat pour Germaine ?
Exposition : Germaine de Staël et Benjamin Constant. L'esprit de liberté. Fondation Martin Bodmer, Cologny (Genève), du 20 mai au 1er octobre 2017. Renseignements : [email protected]
Jean Leclercq
[1] Témoin, cette réponse faite par l'historien Michel Winock, dans Libération du 12 mai dernier, à la question de savoir de qui Emmanuel Macron était-il l'héritier : « Pour vous faire sourire, je vous dirais qu’il est un héritier de la lointaine Mme de Staël . Elle aussi, en son temps, voulait concilier une partie de la droite (les monarchistes constitutionnels) et une partie de la gauche (les républicains antirobespierristes) pour mettre en place une république stable, fondée sur la liberté. Mais, nous ne sommes plus sous le Directoire, et Macron est un nouveau-né de l’histoire, qui est en train de s’inventer. »
[2] Querelles en série chez Mme de Staël. Le Figaro, 2 juin 2017, p.32.
Lectures complémentaires :
Madame de Staël. Œuvres complètes. Gallimard, La Pléiade, 2017.
Michel Winock & Laurent Theis. Madame de Staël. La passion de la liberté. Paris, Laffont, 2017.
Ghislain de Diesbach. Madame de Staël. Paris. Librairie Académique Perrin,1983.
Très bon article, je vous remercie. Si vous étiez un habitant de Coppet aujourd’hui, comment réagiriez-vous face au projet immobilier menaçant l'harmonie du parc où repose Germaine de Staël ? Envisageriez-vous d'utiliser le droit d'initiative pour préserver ce patrimoine historique ?
Rédigé par : Mathieu | 22/01/2025 à 04:39