Nous connaissions Le Petit Simonin illustré (dit le Littré de l'argot), nous consultons journellement Le Petit Robert, et voici que, coïncidant avec une certaine élection présidentielle, nous arrive Le Petit Macron de la langue française. [1] Certes, tout ce qui est petit est gentil et l'auteure (à beau nom de théorème), se propose de nous apprendre à « parler Macron » autour de quatre grands thèmes : 1) le lexique de ma grand-mère, 2) les jurons et insultes de la macronie, 3) les mots rares et macronismes à égrener dans le discours, et 4) in latino veritas (quelques formules latines). Notons bien que si l'utilisation de certaines expressions est datée et documentée, certains bons mots et formules – tels que « craquer le marmot » ou « les yeux de Chimène » - n'ont jamais été prononcés par le Président et lui sont tout simplement prêtés. Autrement dit, il aurait pu les dire et, après tout, on ne prête qu'aux riches ! Dans ce genre d'exercice, Le Petit Macron rejoint les deux ouvrages qu'avaient publié Marianne Tillier [2] et Bernard Pivot [3], en 2008, mais sans que le prétexte en soit la langue présidentielle.
Nous-mêmes, le 6 juin dernier, avions relevé l'expression la « poudre de Perlimpinpin », mais Le Petit Macron, à la page 16, analyse plus doctement encore l'expression qu'il fait remonter au XVIIe siècle. En revanche, nous en avons débusqué une autre qui ne figure pas dans le Petit Macron mais que nous avons trouvée à la page 56 de Révolution : « un pays d'ateliers nationaux financés par l'opération du Saint-Esprit ». Formule doublement désuète puisqu'elle renvoie aux fameux ateliers que la IIème République (1848-1852) avait institués pour (déjà) conjurer le chômage, ainsi qu'à l'action de l'Esprit-Saint, un intervenant dont il n'est plus guère question, à notre époque, dans les traités d'économie financière !
Comme il nous est dit dans la préface : « Le style Macron, fleuri et parfois désuet, signe bel et bien un retour à l'autorité présidentielle et verticale tant souhaitée par notre président », mais aussi, peut-on ajouter, par un électorat qui l'a confortablement porté à la magistrature suprême ! Pourquoi serait-il fleuri et désuet ? Peut-on reprocher au sémillant président de rompre avec le misérabilisme langagier ambiant et de donner à quelques bonnes expressions bien de chez nous l'occasion de sortir, et même d'esquisser un dernier tango ? D'autant plus que ledit Président a été, tel Descartes, « nourri aux lettres dès son plus jeune âge ». Et cela, grâce à une grand-mère qui appartenait à cette génération d'admirables enseignants qui fut l'honneur de la République. Comment dès lors s'étonner que la fréquentation des bons auteurs ait enrichri son vocabulaire, lui fournissant les savoureuses tournures dont il émaille ses propos ? Avant lui, le général de Gaulle n'a-t-il pas redonné vie à quelques mots comme la « chienlit » (pour désigner les événements de 1968) ou l'expression « sauts de cabri » pour stigmatiser la gesticulation des européistes un peu trop pressés. Cette expression-là, le Président l'a bien utilisée, et dans des circonstances qui sont relatées à la page 73 du Petit Macron.
Mme Cécile Alduy, qui enseigne à l'Université de Stanford, a passé à la moulinette 1.300 discours prononcés par des personnalités politiques françaises au cours de ces dernières années, dans le cadre d'une interview, citée par Le Figaro dans un article du 17 juin 2017 : Parlez-vous le Macron?
Son analyse fait apparaître un net clivage droite/gauche dans le vocabulaire des deux candidats à l'élection de 2012. En revanche, chez les candidats non issus d'élections primaires en 2017 (Le Pen, Macron et Mélenchon) apparaissent des discours transversaux où abondent des couplages de mots très significatifs. Ainsi, liberté et protection vont souvent de paire chez Emmanuel Macron, soucieux qu'il est de se montrer autant de droite que de gauche, autant de son temps que de celui de sa grand-mère. Et s'il relance de bonnes vieilles expressions, il en emploie aussi de toutes neuves, parodiant le Yes, we can d'Obama ou empruntant « avoir l'envie » à Johnny Halliday. Mais, à force de ménager la chèvre et le choux, on risque de tourner à vide - pour user de deux expressions qui pourraient être macroniennes !
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« Commençons par un retour sur cette extraordinaire année électorale. On peut la qualifier à la fois de « macronesque » et de riche en » macronneries ». Macronesque dans le sens de dantesque, puisqu’elle a sérieusement chamboulé le paysage politique, auquel on était habitués. Et puis, on a entendu beaucoup de « macronneries », puisque la plupart des commentateurs expérimentés pensaient impossible l’accession à la fonction suprême dès 2017, d’un homme de moins de 40 ans. »
La politique expliquée aux jeunes
12 octobre 2017
[1] Sophie de Thalès. Le Petit Macron de la langue française. Décryptage savoureux des bons mots et formules prononcés (ou pas) par notre Président. Paris, Éditions Tut-tut, 2017. 189 pages.
[2] Marianne Tillier. Les expressions de nos grands-mères. Paris, Éditions Points, 2008. 170 pages.
[3] Bernard Pivot. 100 expressions à sauver. Paris, Albin Michel, 2008. 145 pages.
Lectures supplémentaires sur ce blog :
Note culinaire et presidentielle
Un faux ami du Président de la République française
Connaisez-vous ces expressions saugrenues de nos hommes politiques?
LE FIGARO 22/97/2017
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