Nous sommes heureux de retrouver Elsa Wack, notre linguiste du mois de janvier 2014. Elsa, née à Genève, est traductrice indépendante de l'anglais et de l'allemand vers le français. Titulaire d'une licence ès lettres, ayant aussi fait de la musique, du théâtre et du cinéma, elle aime écrire et sa préférence va aux traductions littéraires. Elle traduit également des textes juridiques, techniques, politiques, humanitaires et financiers. Voici sa nouvelle contribution au blog.
Nous consacrons ces lignes à deux musiciens de plus de 90 ans dont les destins ont fluctué différemment. Plusieurs points communs cependant : tous deux ont désormais leur « étoile » sur le « Hollywood Walk of Fame » ; tous deux ont abrégé leur nom d’origine étrangère : en France, l’Arménien Shahnourh Aznavourian est devenu Charles Aznavour, et aux États-Unis, le Calabrais Anthony Benedetto est devenu Tony Bennett. Tous deux aussi ont su se montrer charitables et tolérants dans la célébrité, Aznavour notamment (mais pas uniquement) en défendant la cause arménienne, et Bennett au point d’être surnommé « Tony Benefit » tant il donnait de concerts caritatifs.[1]
À l'âge de neuf ans, Charles prend Aznavour pour nom de scène et commence au Théâtre du Petit Monde une carrière de chanteur et de comédien. Tony chantait déjà en public à 13 ans Tous deux furent mariés par trois fois ; Bennett eut quatre enfants et Aznavour en eut six.
Aznavour sur le Walk of Fame, Hollywood, 24 août 2017
Aznavour, 93 ans, est peut-être l’auteur-compositeur-interprète le plus prolifique du répertoire français. Une partie de ses chansons (La bohême, Je m’voyais déjà, Hier encore) commémore ses années de galère avant qu’il ne soit repéré et lancé, comme une pléiade de chanteurs et de compositeurs, par Edith Piaf. Mais dès lors il n’a plus rien eu d’un bohémien, comme le dit d’ailleurs le dernier vers controversé de la chanson : « La bohême, ça ne veut plus rien dire du tout. » Certains pensent qu’il devrait se retirer car il ne chante plus très juste, mais il est difficile pour un tel monstre sacré de quitter la scène. Aznavour, peut-on lire, a vendu 180 millions de disques et écrit 1300 chansons dans de multiples langues. Sa sensibilité à fleur de peau s’exprime dans des paroles comme
« Emmenez-moi au bout de la terre / Emmenez-moi au pays des merveilles / Il me semble que la misère / Serait moins pénible au soleil »
Tony Bennett, 91 ans, lui, chantait à une age très jeune dans des restaurants italiens de New York où il était serveur. Son père invalide était mort quand il avait 10 ans. Bennett ne composait pas mais a allié à l’art du chant celui de la peinture. Sa traversée du désert, il l’a connue lors de l’avènement du rock qui a supplanté la « pop américaine » qu’il chantait. Notez bien : le terme pop music, comme cool, n’a pas tout à fait le même sens en anglais qu’en franglais. Tony Bennett, donc, fut brutalement supplanté avec Sinatra et les jazzmen à-la-(grand-)papa par les vagues de ce que nous appelons pop-rock, du be-bop et du free jazz ; il dilapida sa fortune et s’adonna à la cocaïne ; mais trouva en l’un de ses fils un appui pour s’en sortir et connaître un renouveau de gloire avec la renaissance du jazz des années 20 à 40. Bennett, depuis, s’est concentré sur ce qu’il appelle « ses classiques » : Cole Porter, Gershwin, Duke Ellington, Louis Armstrong (dit « Pops »), par exemple. Il interprète ainsi les grands standards contenus dans les bibles du jazz que sont ou ont été le Great American Songbook et, pour les « pirates », le Real Book. Son fils gère si bien ses intérêts que je n’ai pas pu entendre sur Internet sa version de la chanson What is this Thing called Love (Porter). On trouve plutôt son duo avec Lady Gaga That Lady is a Tramp (Rodgers).
Aznavour comme Bennett a surfé sur la vague des émissions de téléréalité. Auparavant, tous deux ont été également acteurs dans des films de bonne facture. Les peintures de Bennett sont appréciées et montrées dans des galeries, tandis qu’Aznavour est célébré dans un musée en Arménie, qui porte son nom.
Elsa Wack
[1] En anglais, « benefit concert », se prête ici à un joli jeu de mots avec le nom de l’artiste.
Lecture supplémentaire :
Charles Aznavour reçoit son étoile à Hollywood
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