Nous sommes heureux de retrouver notre contributeur fidèle, René Meertens, traducteur de langue française. René a été employé par l'ONU, l'Unesco, la Commission européenne et l'Organisation mondiale de la santé. Il est l'auteur, notamment, du "Guide anglais-français de la traduction", dont une édition numérique et une nouvelle édition papier sont parues récemment. [1] René a bien voulu rédiger l'article suivant à notre intention.
Cent quarante-deux ans après sa mort,
on le consulte encore : Larousse
Dans le monde francophone, les dictionnaires sont souvent connus sous le nom de leur auteur initial : le Littré, le Quillet, le Robert et… le Larousse.
C'est que nombre de dictionnaires français ont été créés à l'initiative d'une personne et non d'un éditeur. En revanche, le dictionnaire anglais le plus renommé, l'Oxford English Dictionary, publié par Oxford University Press, fut l'aboutissement d'un projet conçu vers le milieu du XIXe siècle et mis en œuvre par plusieurs rédacteurs en chef successifs, assistés par divers collaborateurs.
Autre célèbre dictionnaire anglais explicatif, A Dictionary of the English Language (1755) est l'œuvre de Samuel Johnson, son unique rédacteur, même s'il se fit aider de six copistes. Certaines éditions de cette œuvre majeure ont cependant été publiées sous le titre Johnson's Dictionary. Cet ouvrage n'est plus publié de nos jours.
Alors, modestie anglaise contre vanité française ? En fait, Pierre Larousse, né il y a exactement deux siècles et mort en 1875, publia le dictionnaire qui fit sa réputation sous le titre Nouveau dictionnaire de la langue française. Il n'en était d'ailleurs pas l'auteur unique, puisqu'il s'était attaché la collaboration de François Pillon. Contrairement à ce qu'indiquent plusieurs sources, l'ouvrage ne fut pas publié initialement en 1856, qui est seulement l'année de la parution de la troisième édition, disponible sur Gallica.
Il s'agissait d'un ouvrage assez modeste par comparaison avec ce qu'il est devenu de nos jours : publié en format in-dix-huit (15 x 8,5 cm), il ne comptait que 714 pages. Il présentait des exemples, mais ceux-ci ne comprenaient généralement que deux ou trois mots, et les phrases complètes étaient beaucoup moins nombreuses que chez Johnson, qui reproduisit environ 114 000 citations tirées d'ouvrages littéraires.
Ce dictionnaire connut de nombreuses éditions, et le Petit Larousse illustré, dont une édition nouvelle est publiée chaque année, lui succéda en 1905.
On peut pourtant considérer que l'œuvre majeure de Pierre Larousse fut le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle en 17 volumes (1866-1877). Ce dictionnaire encyclopédique connut plusieurs éditions au XXe siècle et l'on ne peut que regretter qu'après l'édition en dix volumes qui parut au cours de la première moitié de la décennie 1980 sous le titre Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, l'éditeur ait renoncé à publier une nouvelle édition. Il est vrai que les années 1990 ont marqué l'avènement d'encyclopédies sur supports numériques.
Deux autres excellents dictionnaires Larousse n'ont pas survécu au-delà du XXe siècle : le Grand Larousse de la langue française, en 7 volumes, et le Lexis, ouvrages de plus haute tenue que le Petit Larousse illustré. Les librairies en ligne indiquent certes qu'une nouvelle édition du second a été publiée en 2014, mais il est à craindre que ce dictionnaire n'ait guère changé depuis l'édition de 1989, bien que le nombre de pages soit différent.
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Rencontre avec Bernard Cerquiglini
pour la sortie du Petit Larousse 2018 (3:38 minutes)
Note historique: quand Pierre Larousse prenait les eaux
À en juger par son Grand dictionnaire universel, Pierre Larousse semblait considérer la médecine de son époque avec un certain scepticisme, puisqu'on y lit que « la guérison ne peut être due qu'à la nature ». [2]
Vers la fin de sa vie, le célèbre lexicographe fut atteint d'un accident vasculaire cérébral, ou d'une « congestion cérébrale » comme on disait de son temps. Peut-être estimait-il qu'une cure thermale était un remède naturel, puisqu'il prit les eaux à Nice, Plombières-les-Bains et Divonne. Comme Jean Leclercq, l'un des deux animateurs de ce blog, réside à Divonne, il a pu obtenir des détails sur cette dernière cure.
Était-elle adaptée à son état ? Auguste Arène, correspondant du docteur Paul Vidart, directeur de l'Institut hydrothérapique de Divonne, écrit dans une lettre adressée à ce dernier au sujet des eaux de Divonne : « elles sont bien oxygénées, dépourvues de tuf et tenant en dissolution quelques sels de chaux, mais en très petite quantité et sous la forme de bicarbonates ; plus une faible portion d'acide carbonique et une quantité peu appréciable de matières adventives » [3].
Si les AVC se soignaient au bicarbonate de soude, cela se saurait. Il est plus probable que ce fut pour se reposer que Larousse séjourna à Divonne du 10 novembre 1872 au 12 mars 1873. Cependant, comme il prit probablement le train, il arriva sans doute épuisé à Genève après un trajet qui dura environ 15 heures. Il dut ensuite emprunter un bateau jusqu'à Coppet, avant de monter dans la malle-poste qui le conduisit à Divonne.
Le traitement lui-même n'était pas de tout repos, comme l'écrit une personne de sa suite : « tous les jours à dix heures du matin il prend deux bains : l'un d'eau chaude et l'autre d'eau glacée. On le sort de l'un et on le plonge dans l'autre. J'en ai mal à son pauvre corps de le voir souffrir ainsi. » (lettre du 15 décembre 1872).
En mars 1873, hélas, il fit une rechute qui le priva temporairement de la parole. Cruelle ironie pour un lexicographe, pendant quelques heures les mots lui manquèrent. Craignant que son état n'empire au point qu'il ne puisse plus voyager, il décida de rentrer à Paris. Il y survécut 22 mois.
L'auteur de cette note remercie Mesdames Micheline Guilpain-Giraud et Annie Grenard des précieuses informations qu'elles lui ont fournies.
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[1] Une recension de la quatrième édition de l'ouvrage, parue dans la Revue française de traduction, 2008. Voir aussi Entretien avec René Meertens, réviseur à l'ONU.
[2] Notre contributeur, René Meertens, est également l'auteur du Dictionnaire anglais-français de la santé et du médical (2016),
publié chez Chiron.
[3] Lettres historiques sur Divonne et le pays de Gex, adressées au Dr. Paul Vidart, directeur de l'institut hydrothérapique de Divonne.
Des articles précédents rédigés par René Meertens pour ce blog:
Veni, vidi, vici : les dictionnaires visuels
La grande aventure du mot « peradventure » racontée par lui-même
Manship, suffixe anglais à tout faire
Créancier de l’anglais, le français s’est payé en nature
Cent un ans de gestation pour un dictionnaire
Critique de livre lexicographique
À la une dans le monde des dictionnaires :
Coïncidence ou confluence, la Bibliothèque de Genève organisera, du 3 novembre au 10 décembre 2017, une exposition sur le thème « L'expérience du langage ». Genève, celle qui fut une véritable république des dictionnaires depuis le XVIe siècle, est au cœur de la lexicographie. L'exposition montrera comment travaillait Voltaire (qui composa plusieurs dictionnaires dans sa vie), mais aussi comment procède aujourd'hui l'artiste Fabienne Verdier qui a imaginé, avec le lexicographe Alain Rey, un parcours de création dans le corps du dictionnaire Le Petit Robert dont on fête, cette année, les 50 ans. Jean Leclercq
La République des dictionnaires
(de Voltaire à Alain Rey)
Exposition du 3 novembre 2017
au 10 décembre 2017
Vernissage le 2 novembre à 18h
P. S. Suite au succès rencontré par l'exposition Fabienne Verdier, l'expérience du langage. La République des dictionnaires (de Voltaire à Alain Rey), une semaine supplémentaire est ajoutée afin que le plus grand nombre puisse en profiter jusqu'au 17 décembre 2017.
J'ai reçu hier l'édition 2017 du "Guide anglais-français de la traduction" (auteur René Meertens). Je possédais déjà l'édition 2010. Plus qu'un guide, c'est un véritable dictionnaire et une source précieuse de traductions de termes, expressions, etc., le tout s’appuyant sur une longue expérience de traducteur professionnel. Je le recommande très vivement car il n'est pas réservé aux seuls traducteurs "non littéraires".
On peut consulter un extrait de l'édition 2014 sur Amazon.fr
Rédigé par : Jean-Paul Deshayes | 22/10/2017 à 11:13
Passionnant. A écouter le clip de France Inter, il m'est revenu un souvenir d'enfance: dans ma Silésie natale, le bureau de mon père, scientifique, ne nous était pas franchement accessible, aux enfants, mais je me souviens que c'est un dictionnaire illustré, en français, langue qui m'était alors totalement étrangère, qui y était mon ouvrage favori. A ce jour, j'ai beaucoup d'amour, presque tactile, pour les dictionnaires. Merci, MM. Larousse, Robert et les autres. Merci, M. Meertens.
Rédigé par : Magdalena | 23/10/2017 à 06:03