Nous sommes heureux d’accueillir nos nouveaux contributeurs, Denise Morel et Serge Ferla. Denise a signé, entre autres livres, Le Voyage des Mots, dont nous avons publié une recension sous le titre : Des mots en balade...
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Le 18 de ce mois, la presse annonçait la décision, approuvée par le Président de la République, de prêter la tapisserie de Bayeux à la Grande Bretagne. Le Monde se demande dans sa rubrique intitulée « La France va prêter la tapisserie de Bayeux aux Britanniques », publiée la même date, si cette décision historique, annoncée à l’occasion du 35e sommet franco-britannique, est susceptible de raviver une “entente cordiale”, ternie par le Brexit.
Après le don d’un cheval de la Garde républicaine au président chinois Xi, le prêt de la tapisserie de Bayeux confirme l’habileté d’Emmanuel Macron à poser des gestes symboliques.
Le nexus entre la tapisserie et la bataille d’Hastings en 1066 avec le roi saxon, Harold, un événement qui préluda à une domination française de l’Angleterre pendant plus de trois siècles, est bien connu. Nous rappellerons par la suite les faits saillants de cette bataille, selon la version classique, mais nous mentionnerons aussi une autre version, celle d'un historien et auteur anglais récemment parue dans le journal londonien, The Times.
La tapisserie de Bayeux relate la bataille d'Hastings en 1066 avec le dernier roi saxon, Harold, au terme de laquelle le duc de Normandie, Guillaume le Conquérant, prit possession de l'Angleterre.
La tapisserie est l'ancêtre de la bande dessinée. L'histoire de ce haut fait d'armes est racontée en 58 scènes . Elle mesure 68 m. de long sur 50 cm. de haut et pèse 350 kilos.
Elle aurait été commandée par Odon de Bayeux, demi-frère de Guillaume et qui a participé à la bataille, dans les années suivant la conquête de l'Angleterre. La tapisserie aurait été brodée à Canterburry ou à Winchester, où il existait de nombreuses brodeuses. Elle est cependant restée en France depuis 950 ans. Elle a d'abord été exposée à la cathédrale de Bayeux où le peuple ne sachant lire pouvait alors comprendre la genèse de la conquête. Elle est, maintenant, conservée dans un musée sis à Bayeux, près de Caen où Guillaume est enterré.
La tapisserie relate la bataille et les faits antérieurs ayant provoqué la colère de Guillaume. Car, Harold lui avait promis, sur les saintes écritures, de le soutenir dans sa volonté de monter sur le trône d'Angleterre après la mort d'Édouard le Confesseur, qui l'avait désigné comme successeur. Or, violant sa promesse, Harold s'était emparé du trône à la mort d'Édouard.
Statue de Guillaume le Conquérant,
duc de Normandie dans sa ville natale, Falaise
Photograph courtesy of Keith 1999.
C'est ainsi que Guillaume prit la décision de débarquer en Angleterre pour y faire valoir ses droits. Et c'est à la suite de la bataille d' Hastings (en 1066) et de la victoire de Guillaume « le Conquérant » qu'est née la dynastie angevine des Plantagenets, venus au pouvoir en 1154 avec Henry II, arrière-petit-fils de Guillaume. Les nobles français ont ainsi régné plus de trois siècles sur l'Angleterre.
Cette conquête fut aussi à l'origine de nombreux conflits entre les deux nations, du fait de la prétention des rois anglais, compte tenu des liens familiaux, à réunir les deux couronnes sous un même sceptre, dont notamment la Guerre de Cents ans aux 14éme et 15éme siècles. D'ailleurs, le roi d'Angleterre porta longtemps le titre de roi de France jusqu'à ce que Bonaparte, à la Paix d'Amiens (1802), exige que la couronne britannique y renonce formellement.
Revenons au thème de la tapisserie et notons l'article auquel nous avons déjà fait allusion, intitulé « France may be sending us a tapestry of lies », rédigé par l'historien et chroniqueur britannique Ben Macintyre. Auteur de plusieurs ouvrages historiques. Macintyre, dans son analyse, conteste, entre autres faits, l'anecdote selon laquelle le roi Harold II, le dernier roi anglo-saxon, aurait reçu une flèche dans l'œil, entraînant sa mort sur le champ de bataille.
Selon l'auteur : « La magnifique tapisserie de Bayeux, qui va maintenant prendre, pour la première fois, le chemin de l'Angleterre, est une œuvre de désinformation, un instrument de propagande française, vieux de près de mille ans, qui véhicule une fausse version de l'épisode le plus important de l'an 1066... Car les choses ne se sont pas déroulées ainsi. Très vraisemblablement, Harold a été assailli par une troupe de seigneurs normands qui avaient débordé les lignes anglo-saxonnes. L'histoire de la flèche dans l'œil a probablement été concoctée après-coup, pour conférer une légitimité religieuse et politique à la nouvelle dynastie, alors en situation de précarité. Elle a été ensuite brochée sur la grande tapisserie lors de sa profonde restauration au 19ème siècle. À peu près à tous égards, la tapisserie donne lieu à un débat historique, consistant notamment à se demander quand, où et pour qui elle a été brodée ? Ce ne fut pas seulement une œuvre d'art, mais aussi un instrument politique destiné à renforcer la domination normande : la scène où Harold fait allégeance à Guillaume, par exemple, est dépeinte comme une cérémonie officielle, en présence de saintes reliques et de nombreux témoins. « Les restes d'Harold se trouvent peut-être à Bosham (Ouest-Sussex) où il est né, ou à Waltham Abbey, dans l'Essex. Jusqu'ici, toutes les demandes d'exhumation ont été refusées. Pourtant, la découverte des restes de Richard III, sous un parking de Leicester, nous a fait voir ce monarque autrement. En exhumant les restes d'Harold, on apporterait peut-être la preuve définitive qu'il n'est pas mort d'une seule flèche visée par Dieu, mais sous les estocades des Français. Ce serait une révision de notre histoire nationale attendue depuis trop longtemps et un démenti à la face de Guillaume et de ses propagandistes omni-conquérants. »
Note linguistique :
À la suite de cette conquête, l'anglais, langue germanique, fut imprégné de mots d'origine latine par l'intermédiaire du français. Ce phénomène a été accentué par la dynastie angevine des Plantagenets venus au pouvoir en 1154 avec Henry II, arrière-petit-fils du Conquérant. Les nobles français ont ainsi régné plus de deux siècles sur l'Angleterre. Le français est alors devenu la langue de la cour d'Angleterre et de l'élite, l'anglais étant le parler vernaculaire. Soixante à soixante-dix pour cent du vocabulaire anglais est ainsi d'origine française. Les traces les plus ostentatoires de ce passé linguistique sont les devises des armes royales du Royaume-Uni « Dieu et mon droit' » et celles de l'Ordre de la Jarretière : « Honni soit qui mal y pense ».
Denise Morel & Serge Ferla.
Quelques expressions anglaises contenant le mot eye/s :
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Apple of Someone's Eye. ...
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Bird's-eye View. ...
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Catch Someone's Eye. ...
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Cry One's Eyes Out. ...
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Eagle Eye. ...
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Feast One's Eyes on Something. ...
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Get a Black Eye. ...
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Get Stars in One's Eyes.
Note de Jean Leclercq :
Monsieur MacIntyre a raison de dire que la Tapisserie de Bayeux est une œuvre de propagande, ou plutôt que c'est la version normande de la bataille d'Hastings, de sa genèse à son aboutissement : la mainmise du duc de Normandie sur le royaume d'Angleterre. C'est normal puisque l'histoire est toujours écrite par le vainqueur. Mais, il juge la légende à l'aune de la vérité historique objective. Il est vrai que, depuis la découverte des restes de Richard III sous un parking de Leicester et leur étude scientifique, notre vision de ce souverain n'est plus la même. Ce n'est plus le poltron, prêt à troquer son royaume pour un cheval, c'est un roi mort l'épée à la main. Mais, la légende se doit d'être merveilleuse et, dans le climat mystique du Moyen-Âge, la victoire ne peut être due qu'à l'intervention divine, que ce soit la flèche mortelle qui tue Harold II à Hastings ou Saint-Jacques chargeant les Maures à Cavadonga. Tous les récits légendaires, de la légende du Roi Arthur à la Chanson de Roland, prennent ainsi de grandes libertés avec l'histoire scientifique. Dans le cas d'Hartold, la pilule est difficile à avaler pour les Saxons et il s'est trouvé des historiens « survivantistes » pour soutenir qu'il n'avait été ni tué par une flèche, ni trucidé par des seigneurs normands, mais qu'il avait encore vécu longtemps, en ermite dans un endroit écarté du royaume d'Angleterre. On l'a prétendu aussi pour l'empereur Alexandre 1er de Russie. Les moyens scientifiques dont on dispose désormais – notamment l'étude de l'ADN – permettront de rétablir certaines vérités historiques, mais si l'objectivité y gagne, la poésie y perd beaucoup !
Articles pertinents parus dans ce blogue :
- Comment le français a influencé la langue anglaise
- Honni soit qui mal y pense
- l'incroyable histoire d'amour entre le francais et l'anglais
- Un roi d’Angleterre en stationnement abusif ?
Lecture complémentaire :
Denise Morel & Marie France Le Clainche.
Les Brodeuses de l'Histoire. Kerangwenn, 24540 Spizet, Coop Breizh, 2006, 338 p.
Timbre britannique qui commémore le 950ème anniversaire de la bataille d’Hastings :
. Bayeux Tapestry nudity censored by Victorian English (2:33 minutes)
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