L'article qui suit a été traduit par notre fidèle contributrice, Isabelle Pouliot, à partir d'un article qui est paru dans l’hebdomadaire britannique The Economist. Isabelle est traductrice agréée de l'anglais vers le français de l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ). Elle a adoré se colleter à l’humour typiquement british de l’auteur.
DEPUIS le résultat du référendum sur la sortie de l'Union européenne, un nombre saisissant de Britanniques présentent des symptômes d'une nouvelle pathologie du système nerveux, le « Brexit derangement syndrome » (trouble délirant du Brexit). Ce trouble touche certaines personnalités de premier plan du pays. L'ancien ministre travailliste Lord Adonis a soutenu que le Brexit était « principalement une création de la BBC ». L'ancien stratège de Tony Blair, Alastair Campbell, a tonitrué à la cornemuse l'Ode à la joie [NDT : hymne de l'UE] sur une plage de Brighton.
Récemment, c'est Bernard-Henri Lévy qui a nous démontré que le trouble délirant du Brexit n'est pas une pathologie strictement britannique. Suffisamment célèbre pour être connu sous ses seules initiales, BHL cultive soigneusement son image d'intellectuel français de renom. Il porte de coûteux costumes, des chemises blanches déboutonnées presque jusqu'à la taille et arbore une coiffure savamment érigée. On peut lire régulièrement ses opinions sur une vaste gamme de sujets, allant du génocide à la gastronomie. Il est convaincu que le Brexit rendra l'Angleterre plus insulaire et privera l'UE de son « cœur libéral ». Jusque là, cette sensiblerie l'honore. Cependant, BHL s'est aussi convaincu qu'il est l'homme qui étouffera cette révolte populaire.
C'est ainsi qu'il a interprété en solo le 4 juin dernier au Cadogan Hall de Londres une pièce de théâtre intitulée Last Exit Before Brexit. Au bar, la langue la plus communément parlée était le français, suivi de l'allemand. Les quelques spectateurs qui parlaient anglais s'exprimaient avec un accent des plus distingué. La pièce consiste en un monologue de 90 minutes, dont la chute est : « S'il vous plaît, restez; oui c'est possible, dernière sortie avant le Brexit ».
L'idée qu'un Français occupe les planches d'un théâtre de Chelsea et admoneste les Britanniques pour les faire changer d'avis sur le Brexit est déjà on ne peut plus incongrue, mais l'interprétation de BHL n'a fait que renforcer le côté saugrenu de l'affaire. Il jouait son propre rôle, celui de Bernard-Henri Lévy enfermé dans une chambre d'hôtel de Sarajevo qui prépare un discours sur le Brexit. Il arpentait la chambre de long en large, affichait des images sur l'écran de son ordinateur, parlait au téléphone (participation de Salman Rushdie), s'immerge tout habillé dans une baignoire et passe la dernière demi-heure de la pièce totalement trempé.
BHL a servi des morceaux de choix à son auditoire tiré à quatre épingles : il a dénoncé Boris Johnson, ministre des Affaires étrangères, comme étant étroit d'esprit (applaudissements nourris); il a énoncé que le Brexit réduira l'Angleterre au statut de petite île (applaudissements encore plus nourris) et a exigé « l'annulation de cette catastrophe » (salve d'applaudissements). Cependant, la plus grande partie de la pièce mettait en valeur ses marottes : la trahison de l'Europe envers les Balkans, la laideur des billets de l'euro (« donnez-nous des visages, pas des ponts! », les excès du mouvement #MoiAussi, sa superbe chevelure et sa remarquable habileté à rendre les femmes rigides lorsqu'elles jouissent. Ce n'était peut-être pas du grand théâtre, mais, jusqu'à présent, c'est la démonstration la plus spectaculaire du trouble délirant du Brexit.
Lecture supplémentaire :
Ceux-là avaient flairé le Brexit
BREXIT - perspective linguistique
Brexit and standard English
James Nolan
Irish Legal News
Fighting Brexit, with Six Hundred Croissants
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