ou la vérité toute crue
L'article qui suit a été adapté par notre fidèle contributrice, Magdalena Chrusciel, à partir d'un article sur le site The Phrase Finder.
Quelle est la signification de l’expression « Warts and all » ? La chose telle quelle, « avec les verrues et tout «
L’origine de l’expression
Ce sont les instructions d’Oliver Cromwell au peintre Sir Peter Lely, lors de la commande de son portrait, qui seraient à l’origine de l’expression.
A l’époque où il aurait prononcé ces paroles, Cromwell était Lord Protecteur d’Angleterre, soit le chef du gouvernement. Quant à Lely, devenu portraitiste attitré de Charles I après la restauration de la monarchie en 1660, il fut ensuite nommé peintre principal ordinaire de Charles II.
Comme c’était l’usage de son temps, il cherchait par son style de peinture à flatter son modèle. Les membres de la royauté, notamment, s’attendaient à ce que leurs portraits les représentent sous le meilleur jour possible, voire plus beaux que nature. Ainsi, le portrait de Charles II par Lely le montre tel que ce qu’on pouvait attendre d’une peinture de chef d’Etat au 17e siècle. Les mollets royaux bien formés y sont dépeints à leur avantage – une caractéristique très recherchée à l’époque.
Cromwell, lui, préféra être montré comme un gentilhomme à l’allure martiale ; il était réputé pour être réfractaire à toute forme de vanité personnelle. On oppose souvent le puritain à la tête ronde au fringant cavalier pour rendre compte de la différence de style entre les deux camps opposés dans le Commonwealth britannique, et par la suite à la Restauration. Il est tout à fait plausible qu’il instruisit d’exécuter son portrait sans embellissement d’aucune sorte, tout comme il est peu probable que Lely eût modifié son style en exécutant un portrait « nature » de Cromwell si cela ne lui avait pas été expressément demandé.
A ce titre, le masque mortuaire de Cromwell sert de référence. On y voit en effet clairement que le portrait de Lely est une réplique fidèle de l’apparence réelle du modèle.
Bien que les faits semblent plausibles, aucune preuve ne vient corroborer que Cromwell ait jamais parlé de « verrues et tout ». C’est Horace Walpole [1], dans ses Anecdotes of Painting in England, with some account of the principal artists, qui lui attribua ces paroles pour la première fois, en 1764. Walpole semble se référer à des propos tenus par John Sheffield, duc de Buckingham, premier locataire de la Maison Buckingham, devenue aujourd’hui Palais de Buckingham, et par l’architecte de la maison, le capitaine William Winde. Winde prétendait que :
Sans doute assis à ses côtés, Oliver lui aurait dit ceci : « M. Lely, je désire que vous vous serviez de tout votre talent pour peindre mon portrait fidèle à moi-même, sans flatterie aucune, en faisant ressortir toute aspérité, boutons, verrues et toute chose telle que vous me voyez. Si vous y échouiez, vous n’en toucherez pas un centime. »
Ces mots ne furent publiés qu’en 1764, soit plus de cent ans après que Lely ait exécuté le portait de Cromwell. Walpole n’apporta aucune preuve de ses allégations, ni aucun élément expliquant pourquoi ces paroles n’avaient jamais été citées au cours des cent années précédentes, alors que nombreuses recherches historiques détaillées ainsi que plus de 160 biographies avaient été consacrées à la vie de Cromwell. Nous ne pouvons que supposer qu’il se livrait là à de la spéculation littéraire plutôt que de rapporter des faits historiques. La première fois que l’expression « les verrues et tout » se voit imprimée, c’est dans un document confidentiel chinois rapportant les propos de Walpole, via un discours prononcé en 1824 par Alpheus Cary, dans le Massachusetts :
« Lorsque Cromwell prit place pour son portait, il demanda <Peignez-moi tel que je suis, avec les verrues et tout ! >»
Et même s’il est bien possible qu’Oliver Cromwell ait exigé que ses portraits lui soient fidèles, il est peu probable qu’il ait jamais prononcé les mots « les verrues et tout ».
Qu’il ait prononcé ou non ces paroles, l’expression “warts and all” est largement utilisée en anglais en parlant d’une personne ou d’une situation qui affiche ses défauts et imperfections - en bref, qui dépeint la vérité toute crue.
[1] Note du blog :
Horace Walpole (né Horatio) 1717-1797, 4e comte d'Oxford, plus jeune fils de Robert Walpole (Premier ministre britannique), est un homme politique, écrivain et esthète britannique. Auteur du Château d'Otrante (publié en 1764), qui inaugure le genre du roman gothique (gothic tale en anglais), on lui doit également le concept de serendipity, ou fortuité en français.
Robert Walpole, 1676-1745, fut le premier à occuper les fonctions de Premier ministre, dans des conditions qui inspirèrent peut-être à son fils le concept de fortuité. En effet, Georges 1er, Électeur de Hanovre, héritier de la couronne d''Angleterre, ne s'intéressait guère à son pays d'adoption et ne savait pas l'anglais. Il choisit donc un fondé de pouvoir, en la personne de Robert Walpole. Ainsi s'institua fortuitement la fonction de Premier ministre, pour des raisons pratiques et non idéologiques. Lorsque Georges III, premier hanovrien à se sentir anglais, voulut reprendre les choses en main, il était trop tard !
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