Article rédigé par Océane Bies, traductrice littéraire de l'anglais vers le français. Après un master en Langues, littératures et civilisations étrangères à l'université Michel de Montaigne, à Bordeaux, et une année d'études à l'Université de Winnipeg, Manitoba, Canada, elle se forme petit à petit à la traduction avec sa mère, Nadine Gassie. Ensemble, elles ont notamment traduit plusieurs romans et nouvelles de Stephen King. Elles étaient nos « Linguistes du mois d'avril 2017 ».
Nous savons tous ce qu'est la procrastination (du latin « procrastinatio », ajournement, délai), cette tendance à repousser au plus tard et par tous les moyens une tâche que l'on rechigne à exécuter, cette difficulté à se mettre au travail. [1] Les procrastinateurs seront d'ailleurs ravis d'apprendre que depuis 2010, le 25 mars est décrété journée mondiale de la procrastination.
One good thing about PROCRASTINATION is that you always have something planned for tomorrow. |
Mais connaissez-vous la précrastination, ce comportement psychologique peu connu mais de plus en plus répandu résultant lui aussi d'un trouble de l'organisation ? C’est en effectuant un test auprès de dizaines d’étudiants que des chercheurs en psychologie de l’université de Pennsylvanie ont dévoilé ce travers (étude publiée dans la revue scientifique Psychological Science en 2014 [2] Des étudiants devaient marcher dans une allée, choisir un seau plein sur leur chemin, puis le porter jusqu’au point d’arrivée. D'un côté, un seau placé près de leur point de départ, de l’autre près du point d’arrivée. Ils avaient pour consigne d'aller au plus simple.
À la grande surprise des chercheurs, la majorité des étudiants a pris le seau le plus proche de la ligne de départ et non celui le plus proche de l'arrivée. En faisant ce choix, ils pouvaient ainsi éliminer plus rapidement la tâche de leur liste mentale de choses à faire, même si l’effort physique s’est révélé être plus intense.
La précrastination est donc la tendance à accomplir, ou du moins commencer, une tâche le plus rapidement possible afin de s'en débarrasser au plus vite, au prix d'efforts supplémentaires inutiles.
Inaction d'un côté, impulsion de l'autre, deux comportements radicalement opposés face à une même situation souvent génératrice d'angoisse et de stress. D'une part la remise systématique au lendemain, d'autre part l'action immédiate irréfléchie. Dans les deux cas, le comportement adopté est symptomatique de notre société, une société allant à l'encontre de l'épanouissement personnel où l'on est fréquemment contraint de se plier à des occupations déplaisantes et où la philosophie ultra-productiviste de notre modèle économique nous pousse vers le toujours plus, toujours plus vite.
Saurez-vous à présent déchiffrer le sens caché derrière le mot procaféination, mot-valise composé de procrastination et caféine ? Si le terme prête à sourire, il n'en est pas moins révélateur lui aussi d'un mal de notre époque. En effet, la procaféination est l'attitude consistant à différer une tâche par la préparation et la consommation d'une tasse de café. Substance pour le moins addictive et nocive (surtout si elle est combinée à du sucre). Mais si la tendance semble très répandue de nos jours, le mot, lui, a une valeur principalement humoristique, source de railleries entre collègues (en témoignent les produits dérivés du type t-shirts et tasses à café).
Ce que nous retiendrons surtout avec ces deux nouveaux concepts dérivés du même mot, c'est la flexibilité et l'inventivité dont peut faire preuve une langue face aux mutations sociales et professionnelles de la société.
Alors, à quand la journée mondiale de la procaféination ? [3]
[1] Le verbe anglais "to futz" exprime un état proche de la procrastination, en ce sens qu'il désigne l'action de "glander et de s'intéresser à des niaiseries, alors qu'il faudrait se grouiller" (du yiddish arumfartzen, glander).
[2] Pre-Crastination, https://bit.ly/2xyFopj
[3] le 1 octobre - journée mondiale du café
Voir aussi : prof...crastination
Un article aussi instructif qu’amusant. J’ignorais le mot « précrastination »… qui décrit fort bien mon attitude (hélas !) envers diverses tâches. Entre pro- et précrastination, le mieux est de suivre ce diction bien sage et qui, en cinq mots, peut être érigé un véritable mode vie : « Chaque chose en son temps. » J’avais lu ce graffiti assez génial dans le métro à Londres : « Tomorrow, I shall procrastinate ! » À quand « prothéination » pour ceux qui préfèrent le thé au café ?
Rédigé par : jean-paul | 26/09/2018 à 01:40
Merci, Océane, pour cet article en même temps informatif et amusant. Je n'ai jamais vu le mot précrastination, mais en effet, je comprends bien ce concept. Je préfère terminer une tache aussitôt que possible, pour éviter le sentiment que je dois faire quelque chose plus tard. Très bien écrit!
Rédigé par : Cindy Hazelton | 26/09/2018 à 10:02
Quel heureux rapprochement entre trois termes interdépendants, apparus presque simultanément dans la langue de nos sociétés prométhéennes et productivistes. Car enfin, face à une tâche impérieuse, trois attitudes s'offrent à nous : en remettre l'exécution à plus tard, s'en débarrasser au plus vite, ou encore commencer par « écluser » une tasse de café. Telles sont les trois variantes de cet atermoiement que nous connaissons tous, dont Kafka eut le pressentiment, et que l'article d'Océane Bies nous expose si bien. Bravo Océane !
Rédigé par : Jean Leclercq | 27/09/2018 à 06:02
It has been said that the USA and Britain are two nations divided by a common language (a witticism variously attributed to George Bernard Shaw, Oscar Wilde and Winston Churchill). In Océane's witty (but erudite) article, the three pairs of French/English cognates (mots apparentés)– procrastination/ procrastination, precrastination/ précrastination and procaffination/procaféination are divided by almost identical spellings, while remaining true friends. Is true friendship also a salient characteristic of the contributors to Le Mot juste en anglais, divided by the oceans but all enjoying one another's contributions to the blog over a cup of coffee (or tea), before they undertake the more tedious tasks of everyday life? As for the serious question raised by Jean-Paul (À quand « prothéination » pour ceux qui préfèrent le thé au café ?), I can only offer two adages on the subject:
"Tea, though ridiculed by those who are naturally coarse in their nervous sensibilities, will always be the favorite beverage of the intellectual."
Thomas de Quincey (a British author who obviously preferred tea to coffee but who is principally associated with opium).
"Love and scandal are the best sweeteners of tea. "
Henry Fielding
For good or for bad, Océane's article contained no love or scandal, but it was short and sweet, and needed no sweeteners.
Rédigé par : Jonathan Goldberg | 27/09/2018 à 06:35
C'est G.B. Shaw qui aurait prononcé les mots mentionnés ci-dessus. Et à propos de boissons nobles, amenant à philosopher, voici une autre maxime pleine de sagesse, celle-ci étant de Dostoïevski, en anglais :
"Is the world going to pot, or am I going to get my tea".
Rédigé par : Magdalena | 28/09/2018 à 07:50
And what would one name a combination of all three tendencies, to precastinate after having procastinated whilst precafeinating? Such a witty and well-written article by Océane. Her literary sensibility shines through. A perfect precursor to the start of the day.
Rédigé par : Susan | 02/10/2018 à 07:50
I like “procaffeination”, which I’d never heard of, and was particularly interested to discover the term “precrastination”, which enabled me to understand why, very unusually for me, I missed a deadline in late September. I'd received a very short job with a deadline the following week when I was due to be away, and did it at once, with the aim of rereading before sending a few days later. I noted it on my schedule, but forgot to check. So I didn't send the job and went away, only to return to an email from the client asking where it was. Of course if I’d left doing it until nearer my deadline, that wouldn’t have happened…
So thanks for that. I now have an identifiable behaviour to avoid!
Rédigé par : Trista Selous | 02/10/2018 à 09:40
I was enticed by Océane's article on "Pre-crastination" to read the original publication in Psychological Science. Océane must be congratulated on capturing in her brief, lucid and humorous article, the essence of a rather complicated and lengthy account of nine experiments. As she indicates, precrastination probably occurs without reflection and in these experiments it did cost extra physical effort. However, as the authors of the original article point out, precrastination does free the cognitive apparatus to deal with unexpected events that might arise.
Rédigé par : Jasper Brener | 05/10/2018 à 16:19