L'article qui suit a été rédigé par notre fidéle collaboratrice, Joëlle Vuille. Diplômée en droit suisse et titulaire d'un doctorat en criminologie, Joëlle est actuellement chargée de recherche à l’École des sciences criminelles de l’Université de Lausanne.
Joëlle est l'auteure de plusieurs articles que nous avons publiés au fil des années, entre autres : « Les mots anglais du mois : Manterrupting, mansplaining & manspreading », mots qui reflètaient des usages sexistes, souvent l'apanage des hommes. Cette fois-ci, honneur à ces mêmes hommes, avec une série de néologismes intéressant spécifiquement ces messieurs.
Bromance est un mot valise composé de « bro », une abréviation familière de « brother », et de « romance » (« bromance » est employé tel quel en français, au féminin : une bromance). Dans une recherche scientifique sur le sujet, la « bromance » a été définie comme une « highly close and intimate friendship, where both parties are emotionally invested in each other’s well-being » [1] . Une bromance s’exprime usuellement par des marques physiques d’affection, tel que le « hug ». Deux hommes étant dans une « bromance » peuvent d’ailleurs parfois se donner un « bro hug » [2], défini comme une accolade virile entre deux hommes hétérosexuels se saluant, se disant au revoir ou se congratulant de quelque chose. Barak Obama et son ancien vice-président Joe Biden, par exemple, ont une relation qui a souvent été
qualifiée de « bromance » [3] , tout comme David Beckham et Gary Neville, Matt Damon et Ben Affleck [4], ou encore les anciens présidents américains John Adams et Thomas Jefferson [5] A noter que l’adjectif « bromantic » [6] est également régulièrement employé dans la presse anglophone [7].
Le concept de bromance semble dériver de la tolérance toujours plus grande de l’homosexualité masculine dans les sociétés occidentales modernes ; il est désormais acceptable pour deux hommes d’exprimer de l’affection l’un pour l’autre sans craindre d’être traité de « gay ». Impliquant des échanges émotionnels sur des sujets délicats, la bromance encourage les hommes à développer des relations au sein desquelles ils peuvent révéler leurs vulnérabilités ou leurs anxiétés. Battant en brèche les représentations traditionnelles toxiques sur la masculinité, le concept de bromance pourrait ainsi contribuer à diminuer le risque de violence et de suicide chez les jeunes hommes, et à améliorer leur santé mentale de façon générale. [8]
Selon comment évolue la bromance entre deux hommes, il se pourrait qu’un jour l’un considère l’autre comme son « frenemy ». Mot porte-manteau de « friend » et « enemy », frenemy désigne la personne (homme ou femme) avec laquelle on entretient des relations amicales tout en étant un rival ou un concurrent. Apparu pour la première fois par écrit en 1953, le mot frenemy peut désigner aussi bien une relation personnelle que professionnelle, entre des individus, des entreprises ou même des Etats [9]. Pour des couples de frenemies célèbres, on pensera notamment à Lindsey Graham et Donald Trump, Beyoncé et Kim Kardashian, ou encore à Colonel Hogan et Colonel Klink dans la série Hogan’s Heroes (connue dans le monde francophone sous le titre de « Papa Schultz »). En termes plus abstraits, on pourrait aussi dire que la presse et les politiciens de façon générale entretiennent des relations de frenemies [10] . Une variante (moins fréquente, semble-t-il) est le porte-manteau « brenemy », contraction des mots « brother » et « enemy ».
J’ai lu pour la première fois le mot « himpathy » dans une lettre à l’éditeur publiée dans la revue scientifique « Science » [11] . Dans leur missive, les auteurs dénonçaient le soutien apporté par de nombreuses personnalités du monde scientifique à un professeur de biologie de l’Université de Californie à Irvine, Francisco Ayala, poussé à la démission après avoir été mis en cause pour des comportements inappropriés envers le sexe dit faible [12] . La « paternité » du terme « himpathy » est attribuée à une professeure de philosophie de l’université Cornell, Kate Manne, pour désigner l’empathie disproportionnée et inappropriée dont semblent jouir les hommes puissants lorsqu’ils sont accusés, de façon crédible, d’agressions sexuelles, de violence domestique ou même de meurtre [13]. Fait preuve de « himpathy » celui (ou celle) qui met en avant la réussite professionnelle de l’accusé et les conséquences dramatiques que peut avoir la dénonciation sur sa vie privée et sa carrière, en passant sous silence les conséquences que le crime et la procédure judiciaire (ainsi que l’exposition médiatique) auront sur la victime des faits allégués. On pensera notamment aux déclarations de Donald Trump [14] et d’autres commentateurs [15] au sujet de Brett Kavanaugh, accusé d’agression sexuelle par plusieurs femmes durant sa procédure de confirmation comme juge à la Cour suprême américaine. A l’heure où le mouvement #MeToo prend toujours plus d’ampleur, nul doute que la démonstration de « himpathy » envers les accusés deviendra également plus fréquente.
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[1] Robinson S., Anderson E., White A. (2018). The bromance : Undergraduate male friendships and the expansion of contemporary homosocial boundaries, Sex Roles 78/1, 94-106.
[2] The Bro Hug: Embracing a Change in Custom,
New York Times
[3] This Is Why the Obama-Biden Bromance Is Surprising, TIME
[4] From Joe and Barack to Ant and Dec: the famous bromances that show the rest of us how it's done, The Telegraph, January 13, 2017
[5] Matt Damon And Ben Affleck Have The Best Bromance Ever, Grazia Daily
[6] https://www.theadultman.com/live-and-learn/best-bromances/. Dont on peut d’ailleurs aussi dire qu’ils étaient « frenemies » : The Greatest Frenemies in Political History, Mental Floss
[7] The 20 Most Bromantic Celeb Bromances Of All Time, BuzzFeed, October 10, 2014
[9] Winchell, Walter (19 May 1953). "Howz about calling the Russians our Frienemies?". Nevada State Journal. Gannett Company.
[10] Best Frenemies: politicians and the press, The Guardian
[12] Report gives details of sexual harassment allegations that felled a famed geneticist, Science, July 20, 2018
[13] Brett Kavanaugh and America’s ‘Himpathy’ Reckoning, New York Times
[14] “I feel so badly for him. This is not a man who deserves this.” Voir https://www.nytimes.com/2018/09/26/opinion/brett-kavanaugh-hearing-himpathy.html
[15] Certains se sont par exemple demandé si une agression sexuelle commise adolescent devrait mettre en péril la carrière future de l’agresseur. (Ari Fleischer, Press secretary sous George W. Bush).Why Kavanaugh should make men question 'himpathy', CNN
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