Le 30 juin 2012, nous avions publié en article intitulé « À la une - les oies de Californie fêtent le 1er juillet 2012 ». Pendant plus de six ans, cette loi a fait l’objet de recours devant les tribunaux californiens, jusqu'à ce que l’affaire vienne devant la Cour suprême de Californie, qui a tranché en 2017 en faveur des oies, et maintenant devant la Cour suprême des Etats Unis, qui n'a pas contredit les premiers juges . [1]
Après l'article que nous venons de publier, intitulé « Arrêtons d’avoir d'autres chats à fouetter », nous ne voulons pas impliquer à nouveau notre lectorat dans le débat sur le délicat équilibre qu’Il convient de rechercher entre la liberté d’expression et de comportement des êtres humains et le respect que ceux-ci doivent aux animaux. Donc, nous nous permettons seulement de profiter que ce thème soit à nouveau à l'ordre du jour pour reproduire la note linguistique qui avait accompagné notre article sur la prohibition du foie gras. La voici :
Si l'oie n'a plus son foie à offrir aux gourmets, il ne lui restera plus grand chose pour plaire. En effet, en anglais comme en français, son image est plutôt négative. Citons quelques locutions courantes.
- All his geese are swans : textuellement, toutes ses oies sont des cygnes ; Il prend des vessies pour des lanternes.
- Don't be such a goose! Ne soit pas si bébête, si idiote ! Là, on se rapproche de l'expression française « bête comme une oie ».
- To kill the goose that lays the golden eggs. L'oie joue ici le rôle que le français impartit à la poule dans la locution « Tuer la poule aux œufs d'or ». À noter que cette substitution se produit dans au moins une autre expression : to come out in goose pimples : avoir la chair de poule.
- What's sauce for the goose is sauce for the gander, ou plus simplement: What's good for the goose is good for the gander, textuellement: ce qui est bon pour l'oie est bon pour le jars. Si un comportement est jugé bon pour un individu, il doit l'être pour l'autre, ce qui est bon pour l'un est bon pour l'autre.
- Enfin, anglais et français se retrouvent dans l'expression to goose step along : avancer au pas de l'oie, c'est-à-dire défiler au pas de parade de l'armée prussienne, également adopté dans d'autres pays et notamment en Russie. [2]
Gageons que l'interdiction du foie gras n'a pas fini de faire du bruit de part et d'autre de l'Atlantique, et d'inciter aux jeux de mots. Ainsi, Reuters titrait : French cry foul as California foie gras ban nears. Le calembour un peu facile sur foul et fowl (oiseau de basse-cour) permet un titre accrocheur. Alors que la Californie va interdire le foie gras, les Français crient au coup bas ! En France même, et pour ne pas être en reste, d'aucuns demandent – toujours au nom du respect des animaux – que les canards ne puissent plus être enchaînés et que notre confrère satirique modifie au plus vite son titre !
On est contre le gavage |
Les producteurs de foie gras, notamment gersois (France), avaient la chair de poule à l'annonce de cette décision, parce que, ce faisant, le Cour Suprême a tué la poule aux œufs d’or. Il leur reste à espérer que d’autres États de l'Union ne décident pas, eux aussi, d’avancer au pas de l'oie. [3]
Quant aux intéressées, celles que nous avons pu interroger se réjouissent, mais avec un petit regret, celui de ne pas pouvoir voler à tire d'aile jusqu'à Washington pour manifester devant la Cour Suprême !
Jonathan Goldberg, Jean Leclercq
[1] Nous voulons profiter de l’occasion pour clarifier les procédures juridiques dont la loi faisait l’objet. Le texte en question a été promulgué en 2004 et est entré en vigueur le 1er juillet 2012. En 2015, un juge de district a décidé que les articles de la loi californienne interdisant la vente de foie gras dans l'État de Californie (article 25982 du Code californien de la Santé et de la Sécurité) étaient rendus caducs par la Loi fédérale sur l'inspection des produits volaillers, enjoignant au Procureur général de Californie de ne pas les faire appliquer. Cette décision fut à son tour censurée en appel, en 2017. Mais il fut sursis à ce jugement d'appel, le 17 décembre de la même année, afin de permettre aux parties demanderesses de solliciter une ordonnance de certiorari (petition of certiorari) à la Cour Suprême des États-Unis, - c'est-à-dire l'acte par lequel elle ordonne à la juridiction inférieure de lui adresser le dossier d'une affaire à des fins de révision. Le terme latin certiorari ne désigne pas un appel au sens classique du terme, mais plutôt une ordonnance rendue par un tribunal supérieur aux fins d'évoquer une affaire dont un tribunal inférieur a été dessaisi. Il s’agit d’un processus de demande de révision judiciaire. La Cour suprême américaine n'est nullement tenue de se saisir de ces affaires et, habituellement, elle ne le fait que si l'affaire peut avoir un retentissement national, si elle est susceptible d'harmoniser des décisions conflictuelles rendues par des tribunaux itinérants fédéraux, et/ou si elle pourrait avoir valeur de précédent. En fait, la Cour accepte d'évoquer de 100 à 150 des plus de 7.000 affaires dont elle est saisie chaque année. Dans le dossier en question, la Cour Suprême des États-Unis n’a pas rendu une ordonnance writ of certiorari ni même une ordonnance de non-lieu, mais a simplement considéré que l’affaire ne méritait pas de retenir son attention. En pratique, le résultat est le même que si la Cour Suprême avait rendu une ordonnance de non-lieu.
[2] Au XVIIIe siècle, lorsque les souverains russes ont voulu moderniser leurs armées, ils ont fait appel à des instructeurs prussiens. La Prusse de Frédéric II apparaissait alors comme le modèle d'organisation militaire. L'armée russe adopta donc l'ordre serré prussien : le pas de l'oie et le maniement d'armes à l'allemande. Après la Révolution, l'Armée rouge conserva cet usage, tout comme les armées des pays satellites. Actuellement, la Corée du Nord, entre autres pays, perpétue la tradition.
[3] Le 23 novembre 2018 le site https://stop-foie-gras.com a soutenu que "4 Français sur 10 refusent d'acheter du foie gras pour des raisons éthiques".
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