L’article suivant a paru dans le quotidien britannique « The Times » le 3 décembre 2018 et a été traduit par Isabelle Pouliot, traductrice agréée de l'anglais vers le français de l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ). http://traduction.desim.ca
Man shall not live by bread alone (Ce n'est pas seulement de pain que l'homme vivra). Mais il serait sage que l'homme n'y ajoute ni beurre, jambon ou fromage afin d'éviter d'offenser ses semblables.
Les expressions renfermant des références à la viande, aux produits laitiers et à la cruauté envers les animaux seront sacrifiées, ou plutôt soustraites de la langue anglaise, puisque le végétalisme fait en sorte que des gens s'abstiennent d'utiliser des expressions comme « bringing home the bacon » (traduction littérale : ramener du bacon à la maison); mettre du beurre dans les épinards, selon une universitaire.
bringing home the bacon | mettre du beurre dans les épinards |
De telles références affligeantes sont abondamment employées depuis des siècles en anglais, dans la langue écrite et la langue parlée. Elles vont de taking a bull by the horns (prendre le taureau par les cornes) à letting the cat
out of the bag (traduction littérale : laisser le chat sortir du sac; vendre la mèche) ou encore putting all one’s eggs in one basket (mettre tous ses œufs dans le même panier). Le grand lexicographe Samuel Johnson ne faisait pas que recenser ces expressions, mais a aussi déjà dit « Any of us would kill a cow, rather than not have beef » (N'importe lequel d'entre nous tuerait une vache plutôt que de se priver de bœuf).
« Feeding two birds with one scone » (nourrir deux oiseaux avec un scone) est une image plus forte que « killing two birds with one stone » (traduction littérale : tuer deux oiseaux avec une même pierre; l'expression consacrée est « faire d'une pierre deux coups »), selon une universitaire.
Cette chercheuse de l'université Swansea, Shareena Hamzah, prédit cependant que le lexique va se modifier à mesure que la sensibilisation augmentera envers les enjeux du végétalisme et qu'on discutera davantage de la cruauté envers les animaux, d'une saine alimentation et des répercussions sur les changements climatiques qu'engendre la demande pour la viande. Une avenue pourrait être l'emploi d'expressions dénuées de cruauté envers les animaux, comme le suggère l'organisme de défense des droits des animaux, PETA, lequel milite pour l'adoption de ces expressions en milieu scolaire. Par exemple, « flogging a dead horse » (traduction littérale : cravacher un cheval mort; s'acharner inutilement) devient « nourrir un cheval repu ».
« Si le végétalisme nous force à affronter la réalité des origines de notre nourriture, cette sensibilisation accrue se reflètera forcément dans notre langue et notre littérature », expliquait Mme Hamzah sur le site The Conversation, où écrivent des universitaires. « La sensibilisation accrue envers les enjeux du végétalisme va s'ancrer dans les consciences et produira de nouvelles expressions. »
La phraséologie* plus attentionnée de l'avenir ne diluera pas la puissance d'évocation de la langue, argumente Mme Hamzah, parce qu'éviter d'employer des expressions violentes inutilement renforcera leur puissance lorsqu'elles seront utilisées avec soin dans la fiction.
Comme elle l'explique, « L'image de tuer deux oiseaux avec une même pierre frappe encore plus les esprits par le contraste avec l'expression plus soucieuse du bien-être animal nourrir deux oiseaux avec un scone. »
Mme Hamzah cite une suggestion de PETA : en plus de remplacer stone par scone, les enseignants devraient éliminer l'expression « taking the bull by the horns » et la remplacer par « taking the flower by the thorns » (prendre la fleur par les épines).
De même l'expression « more than one way to skin a cat » (traduction littérale : plus d'une manière d'écorcher un chat) devrait être « plus d'une façon d'éplucher une pomme de terre ».
Voici l'explication tirée du site Web de l'organisme : « Même si ces expressions peuvent sembler inoffensives, elles sont porteuses de sens et peuvent envoyer des messages contradictoires aux élèves à propos de la relation entre l'humain et l'animal et normaliser les mauvais traitements [envers les animaux]. Le fait d'enseigner aux élèves un vocabulaire respectueux du bien-être animal peut cultiver des relations positives entre tous les êtres vivants. »
Dans son article, Mme Hamzah plaide également que la viande représente une source d'emprise et de « pouvoir social ».
Son explication : « Historiquement, les ressources nécessaires à l'obtention de la viande faisaient en sorte qu'elle était réservée aux classes dominantes, tandis que les paysans avaient principalement une alimentation végétarienne. C'est ce qui explique que la consommation de viande était associée à des structures de pouvoir dominantes de la société, puisque l'absence de viande dans l'alimentation constituait un indicateur d'appartenance à des groupes défavorisés, tels les femmes et les enfants. Maîtriser l'approvisionnement en viande signifiait maîtriser le peuple ».
[*Phraséologie : Ensemble des expressions, locutions, collocations et phrases codées conventionnellement dans la langue générale.]
RÉÉDUCATION DU LANGAGE
Connotation négative bring home the bacon
(Ramener du bacon à la maison)
Connotation positive bring home the bagels
(Ramener des bagels à la maison)
Connotation négative put all your eggs in one basket
(Mettre tous ses œufs dans le même panier)
Connotation positive put all your berries in one bowl
(Mettre tous ses baies dans le même panier)
Connotation négative open a can of worms
(Ouvrir une boîte de vers)
Connotation positive open Pandora’s box
(Ouvrir une boîte de pandore)
Connotation négative flog a dead horse
(Cravacher un cheval mort)
Connotation positive feed a fed horse
(Nourrir un cheval repu)
Connotation négative be the guinea pig
(Servir de cobaye)
Connotation positive be the test tube
(Servir d'éprouvette de laboratoire)
Connotation négative hold your horses
(Retenir vos chevaux)
Connotation positive
hold the phone (Tenir votre téléphone)
Lecture supplémentaire :
LE FRANÇAIS? UNE LANGUE ANIMALE…
Billet d’humour de Jean D’Ormesson
English Idioms and Idiomatic Expressions - Animals
Les métaphores animales dans la langue française : le cheval
FRANCE-AMERIQUE, Novembre 26, 2014
Cette dame a beau être universitaire, je constate que la bêtise humaine est sans limites ! Ses réflexions et prédictions linguistiques – un tissu d’âneries - ne cassent pas quatre (ou trois) pattes à un canard ! Va-t-on maintenant vers le délire de « l'animalement correct ? » Cher Molière, revenez et d’un trait de votre géniale plume, couvrez de ridicule ces précieuses végétivores ! Quant à moi, je continuerai d’appeler un chat un chat et ne manquerai pas d’en fouetter allègrement si l’occasion se présente. À bon entendeur, salut (et pardon si j’ai offensé les sourds !! 😊)
Rédigé par : jean-paul | 05/01/2019 à 07:20
Totalement d'accord avec Jean-Paul. Cela me fait penser au fiasco d'il y a quelques années ici en France où le gouvernement voulait "simplifier" l'orthographe français pour le rendre plus compréhensible aux enfants. C'est ridicule - fouettons les chats, cravachons les chevaux! Vive la révolution !
Rédigé par : D | 06/01/2019 à 01:05
Que propose-t-elle pour remplacer "b...." dans " What she writes is a load of b.....t!" afin de ne pas vexer les taureaux?
Jacques Barzun : "Political correctness does not legislate tolerance; it only organizes hatred".
J'espère que ces commentaires remonteront à Mme Hamzah who'd better bury her head in the sand for fear of having egg on her face " (sorry chicks!)
Rédigé par : jean-paul | 06/01/2019 à 05:40
L'antispécisme imprègne désormais tout le monde occidental. Madame Hamzah, l'auteure de l'article, sera sans doute ravie d'apprendre que, dernièrement, les électeurs suisses ont été appelés à se prononcer sur une initiative tendant à subventionner les éleveurs qui ne coupent pas les cornes de leurs vaches. Le résultat a été négatif, mais l'événement est, en lui-même, significatif. Certes, la compassion pour les animaux est un sentiment parfaitement respectable. Ce qui l'est moins, c'est la volonté d'instituer une police de la pensée et même du langage !
Rédigé par : Jean Leclercq | 06/01/2019 à 07:42
Bonjour,
j'ai eu beaucoup de plaisir à traduire cet article, mais je crois que l'évolution du langage se fait naturellement et qu'il n'y a pas de besoin urgent de nous gaver d'une novlangue aussi artificielle! Tout comme les prénoms Adolf et Benito ou une expression comme "travailler comme un nègre"sont tombés en désuétude, les gens gens abandonneront les expressions qu'ils ne jugent plus utiles ou dépassées.
Rédigé par : Isabelle Pouliot | 07/01/2019 à 09:15
Et vous l'avez très bien traduit, Isabelle! Bravo! Et votre commentaire est plein de bon sens. Popular wisdom will prevail.
Rédigé par : jean-paul | 07/01/2019 à 11:04