Nous souhaitons la bienvenue à notre collaboratrice américaine, Donna Scott. Donna et son mari habitent Los Angeles (Californie) où elle écrit des nouvelles et des essais. Son intérêt pour la France et sa langue naquit lorsqu'elle commença à étudier le français dans le système scolaire new yorkais, à l'âge de 13 ans. Toutefois, elle ne put jamais concrétiser son rêve d'aller vivre et étudier en France. Au fil des ans, elle a passé des vacances en France, toujours soucieuse de s'imprégner d'une diversité culturelle en constante évolution, mais demeurant partout fière de son passé. Chaque année le couple loue un appartement à Paris pendant un mois, explorant avidement les réalités culinaires, artistiques et sociétales de la ville.
Dans le passé Donna a rédigé pour ce blog des analyses de livres écrits en anglais, comme "The Life before Us (Madame Rosa)" de Romain Gary et "An Officer and a Spy" de Richard Harris, – sur l’affaire Dreyfus. Cette fois-ci Donna a bien voulu analyser deux films diffusés à Los Angeles au même temps - The Wife et Colette -, ayant un thème commun.
Nous sommes également heureux de recevoir, une fois encore, l'aide précieuse de notre collaboratrice fidèle, Michèle Druon, qui a bien voulu traduire la recension redigée par Donna Scott. Michèle est professeur émérite à la California State University, Fullerton, où elle a enseigné la langue, la culture et la littérature françaises. Mme Druon a fait ses études universitaires d'anglais (spécialisation : Littérature & Culture Américaine, Licence) à l'Université d'Amiens, et en Lettres modernes, (Licence, mention très bien), à l'université d'Aix-en-Provence. Elle a obtenu son Doctorat en Littérature française à l'University of California at Los Angeles (spécialisations: le Nouveau roman; Théorie et critique littéraire contemporaine; philosophies post-modernes).
Michèle a publié des articles en français et en anglais dans de nombreuses revues littéraires universitaires et philosophiques (French Review, Stanford French Review, L'Esprit Créateur, Problems in Contemporary Philosophy), ainsi que dans des livres publiés aux États-Unis, en France et au Japon.
Dans le passé Michèle a rédigé des articles sur la litterature, la musique et les films pour ce blog (e.g. « De George Gershwin à Django Reinhardt ») et pour nous, (e.g. « Colette : École Buissonnière à New York » et « Camus, de Saint-Exupéry et Genet - toujours populaires dans le monde anglo-saxon »).
Michèle a aimablement trouvé le temps, parmi ces multiples activites litteraires, de traduire l'analyse qui suit.
RECENSION
Les deux mots : « épouse dévouée » sont depuis longtemps un cliché culturel, et sont devenus indissociables l’un de l’autre. L’art peut constituer un outil utile pour élucider cette expression qui reflète un contexte culturel spécifique au moment de son émergence. Traditionnellement, le rôle d’épouse dévouée consiste à être maitresse de maison, ce qui permet au mari de se livrer librement aux quelconques affaires qui sont censées être l’affaire de l’homme dans le monde. La tradition considère qu’une femme qui crée un contexte domestique harmonieux afin que son mari puisse s’épanouir est le sommet de la perfection pour une épouse et l’aboutissement de son rôle dans un heureux mariage.
Deux films récemment sortis: Colette (inspiré par la célèbre écrivaine française Sidonie-Gabrielle Colette) et The Wife (basé sur le roman du même titre de Meg Wolitzer (2003)) traitent d’un sujet analogue, tout à fait dans l’air du temps : des femmes mariées à des écrivains renommés se révèlent posséder plus de talent littéraire que leur rustre, égoïste et narcissique époux : Henry Gauthier-Villars, ou Willy de son nom-de-plume dans le cas de Colette, et Joe Castleman dans le cas de Joan Castleman. Crucialement les deux films, comme le roman, portent sur le même contrat secret entre mari et femme : chacune des deux femmes présentées dans Colette et The Wife ont écrit des livres à succès publiés sous le nom de leur mari. Ce contrat, qui d’abord cimente leur union, finira par la pourrir et la mener à la ruine. Les deux films, comme le livre, partent du point de vue des épouses, et éclairent leur décision initiale d’être complices de la tromperie littéraire de leur mari - jusqu’à ce que cela leur devienne impossible.
Le film, Colette, chronique du mariage de celle-ci avec Willy, est d’abord un plaisir visuel par la splendeur de ses décors et costumes de la Belle Époque. Keira Knightley déploie juste le bon mélange d’innocence et d’impétuosité pour que son parcours et son mûrissement, en si peu de temps, soient crédibles. Colette n’avait que 20 ans lorsqu’elle s’est mariée avec Willy, qui en avait 34, et il se sont séparés juste 13 ans plus tard. Le mariage change peu les choses pour Willy : il continue d’avoir des liaisons, continue d’aboyer ses idées à une série de prête-plume qui produisent histoires et articles publiés sous son nom. Son accommodement au mariage consiste à se faire accompagner de Colette dans les salons d’écrivains, artistes et intellectuels qu’il adore fréquenter, et d’encourager sa femme à faire partie de son écurie d’écrivains. Quand elle commence à s’éprendre d’une série de femmes avec qui elle a des liaisons, Willy déclare son approbation parce qu’il juge inoffensifs ces badinages avec le même sexe, et parce qu’ils représentent un merveilleux matériau pour les livres qu’il l’encourage à écrire.
Le film, comme les romans de Claudine qui vont suivre, est essentiellement l’histoire d’un apprentissage. Telle l’un des prête-plume de Willy, Colette est amenée à produire en série des romans dont tout le crédit est accordé à son mari. Pour vaincre sa réticence initiale à écrire, Willy l’enferme dans sa chambre dans une maison de campagne qu’il a achetée pour lui faire plaisir et l’éloigner des distractions de Paris. Les quelques courtes scènes où nous voyons Colette dans l’acte d‘écrire et l’entendons en voix off nous font mieux comprendre pourquoi ses histoires sont devenues un tel phénomène. Nous suivons le parcours de Colette tandis qu’elle se transforme en vraie libertine en prenant des amants des deux sexes, jusqu’au moment où elle quitte finalement son mari égoïste et volage après qu’il lui eut refusé de partager publiquement le crédit de ses œuvres. Dominic West, dans le rôle de Willy, incarne parfaitement le personnage charmeur et plus grand que nature qui avait d’abord attiré Colette, aussi bien que ce qui la répugne ultimement. Et le prix à payer pour un comportement féminin si peu traditionnel ? Un grand succès pour Colette et la consécration publique de son vivant. Le personnage complexe recréé par Keira Knightley nous donne envie de suivre plus longuement le cheminement de la femme extraordinaire qu’était Colette.
Le film de Jane Anderson, The Wife, condense considérablement notre découverte de Joan Castleman en omettant son rôle dan,s la production des romans de son mari, jusqu’au moment où le secret en est pleinement révélé dans une scène hautement dramatique où l’altercation verbale entre Joan et Joe atteint des sommets dignes de George et Martha dans Qui a peur de Virginia Woolf. Les spectateurs les plus avisés auront probablement percé ce secret bien avant cette scène.
Comme dans le livre de Wolitzer, le film nous fait d’abord découvrir Joan au moment où elle a déjà accumulé 40 ans de désillusions, de rage et de ressentiment, et nous révèle très peu du personnage avant cela. Glenn Close rend brillamment le personnage à travers son visage et son corps, appuyée par des close-ups claustrophobiques qui permettent de mieux observer chaque tressaillement facial, chaque serrement de lèvres ou plissement des yeux. [1] Hormis quelques courtes scènes qui nous présentent Joan et Joe plus jeunes, le film se passe essentiellement après des décades de compromis et d’accommodements. La version filmée nous montre que cette situation avait débuté pour Joan comme un moyen de faire réussir son mari, aspirant romancier fragile et peu doué : meilleure écrivaine que lui, elle s’était offerte à « arranger » son misérable manuscrit.
Le livre qui en résulte connait un énorme succès, et c’est ainsi que commence le marché qui les amènera des décades plus tard à Stockholm, en Suède, pour l’acceptation du prix Nobel de littérature par Joe. Joan a mis ainsi son propre talent à l’écart, précocement découragée par une écrivaine lessivée qui l’avait assurée de l’impossibilité pour une femme d’appartenir au club exclusivement masculin des écrivains publiés. Pour la plupart du reste du film, nous voyons Joan, femme parfaitement dévouée à son génie de mari, prendre soin de chaque petit détail de son confort et bien-être. Son rôle consiste à abandonner sa propre carrière et à consacrer ses efforts à la construction de l’icône littéraire que son mari aspire à devenir
La plupart du film se passe dans le présent, à Stockholm, pour la cérémonie de remise du Prix Nobel de Joe. Le Nobel signifie pour Joan le pinacle dévastateur du manque de reconnaissance dont elle est victime, ce qui scelle le sort de son mariage. Elle ne peut plus porter le poids de son « grand bébé », comme elle l’appelle. Le personnage de Joe, joué par Jonathan Price, cumule les comportements exaspérants, scène après scène, durant leur court séjour à Stockholm, ce qui illustre le fardeau supporté par Joan 40 années durant. Et comme le film ne nous révèle pas en quoi Joe a pu l’attirer lors de leurs premières années ensemble, le comportement de celui-ci finit par nous épuiser autant qu’elle finit par l’être quand elle déclare son indépendance à la fin du film. Son refus dans le film d’être perçue comme victime ne correspond pas à ma propre impression. Un autre procédé dramatique qui n’a pas marché pour moi est le personnage du fils, mis en avant-plan dans le film dans une intrigue surdéveloppée qui rappelle l’histoire-cliché du fils ignoré et inapprécié qui cherche en vain l’approbation d’un père célèbre.
Même en fonction des standards actuels, Colette sort du lot. On n’avait pas trompé Joan Castleman sur la difficulté de poursuivre une carrière littéraire dans les années 50. Il y a très peu d’icônes féminines en littérature, fait regrettable qui a un peu changé mais qui est encore apparent dans la répartition des prix Nobels en littérature depuis leur création originelle; des 114 lauréats du prix Nobel en littérature, seuls 14 ont été accordés à des femmes. Le Prix Pulitzer révèle des statistiques encore plus frappantes: entre les années 2000 et 2015, la majorité des lauréats étaient des auteurs masculins qui écrivaient sur des personnages masculins. Aucun des 15 livres qui ont gagné le prix n’a été écrit entièrement par le point de vue d’une femme ou d’une fille. Le Prix Goncourt, le plus prestigieux des prix littéraires français, établi 2 ans après le Nobel, a été accordé aux hommes 89% du temps, et n’a récompensé sa première écrivaine qu’en 1944.
[1] Le 7 janvier 2019 Glen Close a remporté le prix Golden Globes decerné à la meilleure comédienne de l’année 2018 pour son rôle dans « The Wife ».
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