Marc Pomerleau L'interviewé |
Isabelle Pouliot |
Marc Pomerleau, Ph. D., notre invité ce mois, est traducteur agréé, chargé de cours au Département de littératures et de langues du monde et au Département de linguistique et de traduction de l’Université de Montréal, ainsi qu’au Département des langues modernes et de traduction de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), au Québec.
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Notre fidèle contributrice, Isabelle Pouliot, elle aussi Montréalaise et traductrice agréée de l'anglais vers le français, membre de l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ) et également de la Northern California Translators Association (NCTA), a bien voulu s'entretenir avec Marc. Marc Pomerleau a accepté de répondre à nos questions par courriel, entre deux participations à un symposium (« La traduction comme acte politique », Università di Perugia, mai 2019), et au 32econgrès de l’Association canadienne de traductologie qui se déroule du 2 au 4 juin à Vancouver, Colombie-Britannique. |
Isabelle : Pouvez-vous nous dire quel a été votre parcours pour devenir traducteur?
Vous avez travaillé comme traducteur en pratique privée plusieurs années avant d’entamer des études supérieures en traduction qui ont mené à une thèse doctorale intitulée La traduction comme instrument paradiplomatique : langues, publics cibles et discours indépendantiste en Catalogne. 1) Qu’est-ce qui a provoqué ce changement de parcours? 2) Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la « La traduction comme instrument paradiplomatique »? Comment en êtes-vous venu à cerner un tel sujet?
Marc : J’ai commencé à travailler en pratique privée très tôt dans ma carrière. Étant donné que ce travail est relativement solitaire, même si on est en contact (surtout virtuel) au quotidien avec des collègues et des clients, je continuais à suivre des cours à l’université. Même si cela me permettait d’acquérir de nouvelles connaissances et compétences, je le faisais surtout pour sortir de chez moi et rencontrer des gens.
Après quelques années à suivre des cours que je qualifierais « de base » dans des domaines connexes à la traduction (sociolinguistique, histoire du français, langues étrangères, etc.), j’ai eu envie de pousser plus loin la réflexion et de me lancer dans un programme de maîtrise en recherche en traduction. J’ai donc décidé de travailler sur un sujet qui rejoignait mes intérêts et ma formation antérieure, soit les études latino-américaines, plus précisément l’histoire de l’Amérique latine, mais cette fois d’un point de vue traductologique. J’ai donc réalisé une recherche sur l’histoire de la traduction du Popol Vuh, un important document maya que j’avais eu l’occasion de lire plusieurs années auparavant. J’ai eu la chance de travailler avec le professeur Georges L. Bastin à l’Université de Montréal, l’un des plus grands experts de l’histoire de la traduction en Amérique latine, et d’intégrer son groupe de recherche Histal (www.histal.net).
Ce projet m’a donné la piqûre pour la recherche et la diffusion des connaissances. Je n’ai toutefois pas entamé le doctorat immédiatement après avoir obtenu mon diplôme de maîtrise en 2011. J’ai préféré prendre une pause de près de deux ans afin de m’accorder le temps de bien réfléchir à un sujet qui me passionnerait suffisamment pour y consacrer plusieurs années de ma vie.
À la même époque, je suivais des cours de catalan, une langue qui m’intriguait depuis un premier séjour en Catalogne en 1995, séjour suivi de plusieurs autres au fil des ans. En suivant à distance la situation politique en Catalogne, j’ai commencé à observer la publication de nombreux documents sur la question, dont bon nombre en traduction. J’ai donc commencé à recueillir ces documents, au point de constituer un corpus suffisamment imposant pour transformer cette simple observation en véritable recherche scientifique.
En résumé, j’ai déterminé que ces traductions constituaient une campagne de sensibilisation visant à convaincre la communauté internationale, en particulier l’Europe, que les aspirations d’indépendance de la Catalogne sont légitimes. J’ai qualifié cette campagne de sensibilisation par la traduction de « paradiplomatique » parce qu’elle ne relève pas de relations entre des États, étant donné qu’elle est orchestrée par la société civile catalane. Ce qui m’a le plus fasciné, c’est le nombre de langues dans lesquelles les indépendantistes catalans traduisent leur message, soit une quarantaine, dont certaines auxquelles on ne s’attendrait pas comme le quéchua, le tamazight et l’ukrainien.
Isabelle : Vous enseignez à de futurs traducteurs. Que leur dites-vous sur les nouvelles réalités de la profession?
Marc : Il est difficile de dresser un portrait exhaustif de la réalité professionnelle en traduction parce qu’elle est extrêmement variée et qu’elle est en constant changement. Je leur parle donc des différentes réalités que j’ai vécues et de celles que je connais par mes collègues. Pour offrir aux étudiants d’autres points de vue, j’invite des professionnels ou des gens avec des expertises différentes des miennes à venir en classe parler de leur parcours et de leur travail. J’en apprends probablement autant que les étudiants lors de ces rencontres.
Par ailleurs, j’insiste beaucoup sur le caractère multitâche de notre profession : les traducteurs ne sont rarement que des traducteurs. Ils sont aussi – selon les cas – des réviseurs, des rédacteurs, des interprètes, des terminologues, des conseillers linguistiques, des enseignants, des gestionnaires de projet, etc. L’industrie langagière est extrêmement vaste et je crois que c’est pour ça que je ne m’en tanne pas. En tous cas, personnellement, j’aime toucher à tout. Ces dernières années je me consacre surtout à l’enseignement et à la recherche, mais j’ai aussi besoin de traduire, de faire un peu de révision, de faire de l’interprétation à l’occasion, etc.
Isabelle : Vous parlez du caractère multitâche de la profession : le clivage entre traduction dite spécialisée et généraliste tend-il ou non à disparaître?
Marc : Je ne crois pas. S’il est vrai que les traducteurs sont appelés à accomplir plusieurs types de tâches, il reste que les traducteurs spécialisés demeurent prisés sur le marché.
Par contre, il est surtout question ici des services de traductions internes (ou des pigistes de ces services), par exemple dans les banques pour la traduction financière, dans les cabinets d’avocats pour la traduction juridique, dans les entreprises pharmaceutiques et les centres de recherche pour la traduction médicale, dans les agences de publicité pour la traduction et l’adaptation publicitaire, etc.
Isabelle : Les universités sont-elles outillées pour préparer les futurs traducteurs au marché du travail?
Marc : Dans l’ensemble oui, mais cela varie énormément d’une université à l’autre. Ce que je trouve le plus positif, c’est que les divers départements de traduction sont toujours en train de réévaluer leurs programmes et de les mettre à jour. Au cours des dernières années, à titre d’exemple, on a vu apparaître dans les programmes de cours de localisation, de post-édition, de traduction de jeux vidéo, etc. Les cours offerts sont également nombreux et variés, et tous les domaines de spécialités sont représentés : médical, juridique, économique, littéraire, etc.
L’envers de la médaille, c’est que les universités fonctionnent de plus en plus comme des entreprises et que tout est calculé en nombre d’inscriptions. Résultat : les salles de classe sont bondées. Ce n’est pas tellement problématique dans un cours de théorie, mais dans un cours de traduction pratique il est impossible pour l’enseignant de donner du temps à tous les étudiants. Même chose dans un laboratoire informatique qui déborde.
Isabelle : Vous parlez de classes bondées. Les professions langagières attirent quels types d’étudiants? Des jeunes, des gens plus âgés qui changent de carrière? Qui voyez-vous dans vos salles de classe?
Marc : Il y a deux types d’étudiants. Au premier cycle (baccalauréat ou majeure), il s’agit d’étudiants relativement jeunes (18 à 25 ans) qui s’intéressent aux langues en général et à la langue française en particulier, notamment à l’orthographe, à la grammaire, mais aussi à la rédaction. Parmi ceux-ci, il y a aussi ceux et celles qui ont fait des études littéraires ou en langues étrangères et qui souhaitent s’orienter vers une application davantage pratique de leurs intérêts, c’est-à-dire vers un domaine où il y a de bonnes possibilités d’emploi.
Ensuite, il y a les étudiants de deuxième cycle (DESS, maîtrise) qui sont plus âgés (de 25 à 50, voire 60 ans). Parmi ceux-ci, plusieurs ont déjà de l’expérience en traduction, en révision ou en rédaction, mais n’ont pas de diplôme dans ce domaine. Ils veulent donc en obtenir pour améliorer leurs possibilités d’avancement professionnel, se perfectionner ou pour faire une demande d’agrément à l’OTTIAQ. Les étudiants les plus âgés de ce groupe ont souvent une formation dans un autre domaine (médical, économique, juridique, journalistique), et souhaitent faire un changement de carrière tout en mettant à contribution leurs connaissances dans un domaine de spécialité en traduction.
L’un des points que la plupart des étudiants ont en commun, peu importe l’âge et les expériences ou études préalables, c’est l’envie d’être leur propre patron. Ils sont très au courant des possibilités qu’offre la traduction en ce sens et de la liberté que cela peut donner. Ils ont envie de flexibilité, de pouvoir bouger, de choisir le type de contrats, etc.
Isabelle : Les étudiants craignent-ils le phénomène de l’intelligence artificielle ou sont-ils disposés à travailler avec celle-ci?
Marc : Les étudiants d’aujourd’hui ont grandi avec l’informatique et l’intelligence artificielle et cela fait partie de leur vie. Je dirais que dans l’ensemble ils aiment utiliser les outils informatiques et les maîtrisent de plus en plus, mais qu’il y a quand même une petite inquiétude quant à la direction que prendra la traduction dans un avenir rapproché. Ils n’ont pas envie de devenir de simples réviseurs ou post-éditeurs de traductions faites par des machines. Cela étant dit, ils ne voient absolument pas les machines comme des adversaires. Ils savent aussi que les machines existaient il y a 50 ans et qu’elles seront encore là dans 50 ans et qu’à toutes les époques on a cru que les traducteurs seraient remplacés. Ce qu’on voit, c’est plutôt une profession en constante redéfinition. En fin de compte, c’est toujours dynamique et jamais ennuyeux.
Isabelle : En terminant, avez-vous des conseils ou suggestions pour des traducteurs et autres langagiers moins expérimentés? Qu’auriez-vous voulu savoir à vos débuts dans la profession?
Marc : La première chose que je dis à mes étudiants, c’est d’être visible, du moins à ceux et celles qui veulent travailler à leur compte. C’est un domaine qui fonctionne beaucoup de bouche à oreille : il faut que les gens sachent qu’ils sont traducteurs, que ce soit la famille éloignée, les amis, les voisins, les collègues dans d’autres domaines, etc. Presque tout le monde a besoin d’un traducteur un jour ou l’autre. À ce moment-là, ils penseront à vous.
Même si beaucoup de jeunes rêvent d’être leur propre patron, je leur recommande d’aller travailler en cabinet ou en entreprise. On y travaille sur toutes sortes de textes et on apprend énormément des collègues.
Ce que j’aurais voulu savoir, c’est qu’on peut dicter, du moins en partie, nos conditions. On n’est pas obligé de dire oui à n’importe quel client et à n’importe quel tarif. Il faut se faire respecter en tant que professionnel et avoir confiance en notre capacité à avoir parfois le gros bout du bâton.
Veiller me rappeler au 819-536-9600 j'aimerais beaucoup vous parler et poser question sur ce génie Mr Pommerlo merci
Rédigé par : M.P Shaw | 03/04/2020 à 04:50