L’article qui suit a été traduit par Océane BIES, à partir d’un article paru dans le New York Times de 18 avril, 2019. Les derniers paragraphes contiennent une mise à jour rédigée par notre traductrice douée.
Océane fut notre linguiste du mois d’avril 2017, avec Nadine Gassie. D’autres articles rédigés ou traduits par Océane sur ce blog :
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SÃO PAULO, Brésil - Amazon est le plus grand détaillant en ligne au monde. C’est aussi la plus grande forêt tropicale du monde, l'Amazonie (Amazon en anglais).
La question est de savoir à qui appartient le nom.
C’est le cœur d’une bataille épique entre Amazon, le géant de la technologie, et huit pays d’Amérique du Sud (le Brésil, le Pérou, la Colombie, l’Équateur, la Bolivie, le Venezuela, la Guyane et le Surinam) qui abritent des parties de la forêt tropicale.
Le nom de domaine .amazon est ici en jeu, ainsi que de savoir qui devrait le contrôler sur Internet.
Amazon pourrait utiliser ce nom pour promouvoir sa marque et sa stratégie de marketing. Mais les pays opposés à la demande de la société craignent que celle-ci prenne symboliquement le contrôle d'un nom synonyme de leur héritage, et soulèvent des questions plus pragmatiques telles que le fait de savoir si leurs propres industries touristiques perdraient la possibilité d'utiliser trip.amazon, hotels.amazon et autres noms de domaine.
« C’est une question technique, mais aussi très sensible », a déclaré Achilles Emilio Zaluar Neto, directeur des technologies du ministère des Affaires étrangères du Brésil, constatant que Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, avait baptisé son entreprise d'après le fleuve Amazone.
« Nous avons pu entendre de poignants discours de la part de politiciens amazoniens, a-t-il déclaré, ils estiment qu'en termes symboliques, l'entreprise les dépossède de leur patrimoine. »« Ce n'est pas le problème classique de deux partis différents qui demandent le même nom », a déclaré Rodrigo de la Parra, vice-président régional pour l'Amérique latine et les Caraïbes chez Icann (l'organisme indépendant qui supervise notamment les adresses Web). « Les gouvernements sud-américains concernés n'ont pas postulé pour le nom de domaine .amazon. Compte tenu de la symbolique culturelle et naturelle de ce nom, ils sont uniquement inquiets de son appropriation par une entreprise privée. »
En 2012 (année où pas moins de 2 000 demandes de domaines de premier niveau ont été effectuées), Amazon a participé de manière très active à la saisie de domaines en ligne visant à s'emparer du cyber-territoire. La société a non seulement postulé pour .amazon, mais également pour .shop, .game, .mobile, .free et de nombreux autres noms de domaine.
« Nous avons passé huit ans à définir les règles et à expulser les cybersquatteurs », a déclaré M. de la Parra. L'une des règles établies est que les demandes impliquant des noms géographiques doivent être approuvées par les gouvernements locaux ou régionaux. Les noms de domaine nationaux avaient quant à eux déjà été attribués.
Des noms comme .nyc et .rio ont été approuvés. Toutefois, dans le cas de .patagonia, par exemple, le fabricant de vêtements de sport Patagonia, Inc. a retiré sa demande de domaine après l’objection de l’Argentine et du Chili.
Mais Amazon a persisté.
La société a refusé de commenter cet article. Mais dans une lettre adressée à Icann en 2017, Brian Huseman, vice-président des politiques publiques d'Amazon, écrit: « Amazon a proposé à plusieurs reprises de travailler avec les gouvernements concernés pour trouver une solution à l'amiable, proposant d'explorer comment utiliser au mieux .AMAZON pour notre entreprise tout en respectant les habitants, la culture, l’histoire et l’écologie de la région amazonienne. »
M. Huseman ajoute que la société avait proposé de créer des noms de domaines dans les langues parlées dans les différentes régions, tels que .amazonia ou .amazonas.
Les pays s'opposant au détaillant, cependant, ont déclaré souhaiter une gouvernance partagée du domaine .amazon, afin de protéger le nom et de s'assurer qu'ils aient leur mot à dire sur la manière dont il serait utilisé à l'avenir.
« Nous aimerions pouvoir soulever des objections sur des noms spécifiques », a déclaré M. Zaluar.
Dans sa dernière contre-proposition, le Brésil a émis l’idée d’un comité réunissant des représentants des huit gouvernements et d’Amazon.com, chargé d’approuver les extensions du domaine.
M. Zaluar a déclaré que le Brésil ne s'opposerait pas à des noms tels que book.amazon ou furniture.amazon. « Mais si demain, ils décidaient d'utiliser hotel.amazon ou trip.amazon ? » questionne-t-il. « Nos opérateurs touristiques seraient alors désavantagés. »
Le différend dure depuis sept ans, avec un certain nombre de propositions et de contre-propositions. L'année dernière, Amazon a proposé 5 millions de dollars de liseuses électroniques Kindle et divers services d'hébergement dans le cadre d'un compromis.
« Nous ne voulons pas de compensation financière », écrit Francisco Carrión Mena, ambassadeur d'Équateur aux États-Unis, dans une lettre adressée à Icann, expliquant que le groupe de huit pays avait rejeté la dernière proposition d'Amazon parce qu'elle ne mentionnait pas de gouvernance partagée du nom de domaine.
Entre autres complications, les huit pays ne participent plus en tant qu’entité unique.
Alors que les négociations sur le contrôle de .amazon semblaient entrer dans la dernière ligne droite, une crise politique a éclaté au Venezuela en janvier dernier, Juan Guaidó se déclarant chef légitime du pays, au mépris du président Nicolás Maduro. Environ 50 pays reconnaissent maintenant M. Guaidó, tandis que d'autres continuent de soutenir M. Maduro.
« Il n’ya pas de différence de points de vue – tous deux veulent défendre le nom Amazon, mais il est impossible de coordonner une contre-proposition commune », a déclaré M. Zaluar. Par conséquent, chaque pays s'est vu contraint de soumettre sa propre initiative.
Amazon et les huit pays ont raté l'échéance du 7 avril pour parvenir à une solution de compromis. Amazon avait donc jusqu’au dimanche 21 avril pour présenter une nouvelle proposition tenant compte des préoccupations des pays. La semaine dernière, après sept années de bataille, L'ICANN a finalement tranché en faveur du géant américain.
En contrepartie, Amazon s'est engagé à ne pas se servir du nom de domaine dans un contexte où il s'agit clairement de l'Amazonie ou encore à laisser aux pays d'Amazonie la jouissance de plusieurs noms de domaine dérivés "à des fins non commerciales" et pour améliorer la visibilité de cette région menacée.
La décision de l'ICANN sera actée après une période de 90 jours
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