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Sophie Pedder, cheffe du bureau parisien de la revue The Economist, et auteure de Revolution Française : Emmanuel Macron and the Quest to Reinvent a Nation (Bloomsbury, 2018), nous a aimablement accordé une interview exclusive à l'occasion de la sortie d'une édition poche actualisée de son livre jusqu'en février 2019, avec le suivi et l'analyse d'événements plus contemporains, notamment du mouvement des gilets jaunes. Cet ouvrage, hautement apprécié par la critique [*] a été publié le 5 mai 2019 au Royaume-Uni et il est sorti aux Etats-Unis, le 2 juillet dernier.
Personnellement, j'ai eu la satisfaction d'apprendre de Madame Peddler qu'elle avait vu ma traduction de Révolution d'Emmanuel Macron dans des librairies du Royaume-Uni, à côté de son livre. Comme je l'ai indiqué dans mon « auto-interview », ce qui m'anime bien égoïstement en gérant le blog, c'est qu'il est un moyen et un prétexte pour communiquer avec quelques acteurs de la crème de la crème des linguistes anglophones et francophones. Ce cercle s'élargit aujourd'hui en admettant en son sein une prestigieuse journaliste, doublée d'une auteure qui, comme Emmanuel Macron, a fait Sa révolution.
[*] Les médias ont chaleureusement salué l'ouvrage de Mme. Peddler lors de sa première publication. Voici quelques extraits de ces analyses :
« Bien enlevé, spirituel et élégamment rédigé... une bouffée de fraîcheur, de par le calme et l'intelligence avec lesquels elle déchiffre et dissèque l'homme et le politique.» The Times
« Un formidable premier jet d'une histoire qui revêt du sens bien au-delà des frontières de la France » Wall Street Journal
« Un des tous meilleurs livres sur Macron » - Etienne Gernelle, France Inter
I N T E R V I E W E X C L U S I V E
Traduction: Jean Leclercq ORIGINAL INTERVIEW
Jonathan Goldberg : Au risque de vouloir couper les cheveux en quatre, je me suis demandé pourquoi le titre de votre livre emploie l'orthographe anglaise de Revolution (sans accent) et ensuite l'adjectif française (avec une cédille) ?
Sophie Pedder : J'en ai discuté avec l'éditeur à l'époque de la publication. En fin de compte, nous avons décidé que le titre était en anglais et non en français. Aussi, il ne faut-il pas l'écrire comme deux mots français, mais plutôt comme une expression anglaise utilisant des mots français, comme dans l'expression « à la française ».
Jonathan Goldberg : Comment vous est venue l'idée d'écrire ce livre ?
Sophie Pedder : En 2017, je couvrais l'élection présidentielle française pour la revue The Economist. Au fil des semaines de ce début d'année, il est progressivement apparu que le pays était le témoin d'un phénomène politique à la fois extraordinaire et irrésistible. Un homme de 39 ans, qui n'avait jusque-là jamais détenu de mandat électif, donnait de plus en plus l'impression de devoir ravir la présidence et de bouleverser complètement la politique française des partis. J'avais fait la connaissance d'Emanuel Macron en 2012, lorsqu'il était conseiller du président socialiste, François Hollande, et j'ai continué à m'entretenir avec lui régulièrement au cours des années qui suivirent. Aussi avais-je un tas de calepins de conversations avec lui qui pouvaient m'aider à synthétiser la pensée sous-jacente d'un leader politique qui était une sorte d'énigme pour les Français. C'était une histoire qui ne demandait qu'à être écrite !
JG : Dans la conclusion de votre livre, vous écrivez que « Macron semble moins improbable en français, la langue dans laquelle nous conversions, et qui convient bien à ses ambitions exaltées et à ses glorieuses abstractions ». Que voulez-vous dire par là ?
SP : Un certain samedi après-midi, alors que je uittais le Palais de l'Elysée après m'être entretenue avec le Président dans son bureau du premier étage, j'ai eu la nette impression que l'approche hautement conceptuelle de Macron est mieux adaptée au français qu'à l'anglais. Le Président parle l'anglais assez couramment, mais je suis d'avis qu'à ce moment-là, il lui arrive de ne pas exprimer tout ce qu'il voudrait dire. Il est plus subtil et nuancé, en français. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours préféré m'entretenir avec lui dans sa langue maternelle. Lorsque je traduisais un peu plus tard ses propos en anglais, il semblait se passer quelque chose. La langue anglaise semblait rendre son discours alambiqué, pompeux et très intellectuel. À cet égard, je pense qu'il est vraiment un président pour les Français, eux qui aiment bien entendre parler de grandeur et de gloire, d'une manière que les Britanniques, par exemple, jugeraient quelque peu risible.
JG : Quelle est votre formation universitaire, et où avez-vous appris à parler français ?
SP : J'ai étudié le français à l'école, et j'ai donc passé des années à conjuguer des verbes, tout en étant à peine capable de converser. Ce n'est qu'au bout de six mois à Paris, après des études de troisième cycle à l'Université de Chicago (elles-mêmes précédées d'un deuxième cycle à Oxford), que j'ai vraiment appris la langue. Pendant cette période, j'ai suivi un cours à la Sorbonne, intitulé : «la langue et la civilisation françaises ». Je suis également mariée à un Français, et cela aussi m'a aidée.
J.G : Pendant combien de temps avez-vous été correspondante à Paris de The Economist ?
SP: J'ai pris mon poste à Paris au beau milieu de la guerre du Golfe, en 2003, sous la présidence de Jacques Chirac. À l'époque, la France n'était pas le pays européen préféré de George Bush ; souvenez-vous que la cafétéria du Congrès avait rebaptisé freedom fries, les ci-devantes French fries, réponse courroucée à la menace brandie de Jacques Chirac d'opposer son veto à l'invasion de l'Irak, au Conseil de Sécurité des Nations Unies. Mais c'était aussi un de ces moments de l'histoire qui rappelle au monde que la France peut être le plus vieil allié de l'Amérique, mais qu'elle ne craint pas de résister aux États-Unis, si elle considère qu'il y va de l'intérêt de la France ou de telle ou telle autre cause.
JG : À quel autre président de la Cinquième République, Macron ressemble-t-il ?
SP: Je dirais qu'il y a chez Macron des traits qui rappellent divers autres de ses prédécesseurs. Dans ses grandes ambitions et son discours de grandeur de la France, il tente d'emboîter le pas au général de Gaulle. Par sa jeunesse et son énergie, il ressemble à Valéry Giscard d'Estaing qui, comme lui, skiait et jouait au tennis. J'ajouterais que, ces derniers temps, à mesure que se révèle la nature politique plus rusée et secrète de Macron, se profile même l'ombre de Mitterrand, celui qui, pour les Français, était le sphinx.
JG : Quel est l'élément le plus surprenant que vous avez découvert au cours des recherches que vous avez faites ?
SP : J'ai été véritablement surprise de découvrir que l'arrière- grand-père de Macron, George Robertson, était un boucher anglais de Bristol. Macron est originaire d'Amiens, dans le département de la Somme, une région qui porte encore les cicatrices des combats de la Première Guerre mondiale. Après la guerre, le grand-père Robertson est resté en France et a épousé une Française, à Abbeville, localité proche d'Amiens. Si je devais citer la chose la plus surprenante que Macron m'ait dite, je dirais que c'est lorsqu'il s'est comparé à son chien, Némo, un croisement entre un Griffin et un Labrador. Il m'a dit avoir l'impression d'être un « croisement ». Je crois qu'il voulait dire par là qu'il ne se sentait jamais exactement à sa place. Quand il était enfant, il préférait passer son temps à lire avec sa grand-mère plutôt que d'aller jouer avec ses petits camarades après l'école. Par la suite, il quitta un poste de la haute fonction publique pour aller travailler à la banque Rothschild où ses collègues lui ont dit qu'il n'était pas vraiment un banquier. Ensuite, lorsqu'il quitta la banque pour aller travailler au Palais de l'Elysée, ses nouveaux collègues l'ont snobé car banquier. La force de caractère qu'engendre une telle qualité d'étranger, nulle part à sa place, explique en partie, à mon sens, cette croyance en lui-même qui l'a conduit à se lancer, contre vents et marées, dans la course à la présidence – et à l'emporter finalement.
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