Le livre | L'auteure - Kory Stamper |
René Meertens, lexicographe - notre Linguiste du mois de janvier 2019 |
René est l'auteur, notamment, du "Guide anglais-français de la traduction", dont une édition numérique et une nouvelle édition papier sont parues récemment, ainsi que du « Dictionnaire anglais-français de la santé et du médical », publié chez Chiron. René a bien voulu rédiger la recension suivante à notre intention. Pour retrouver des contributions précédentes de René, cliquez sur son nom sous la section "Catégories" dans la colonne à droite du site. |
Pour Kory Stamper, lexicographe américaine, les mots avaient toujours été une passion. Elle avait lu les classiques anglais mais s’était intéressée plus aux mots qu’aux récits. Au cours de ses études, qui avaient un caractère littéraire prononcé, elle s’était passionnée pour l’ancien anglais.
Une fois son diplôme en poche, quand elle vit que Merriam-Webster, le plus ancien éditeur américain de dictionnaires encore en activité, recrutait une lexicographe, c’est-à-dire une personne chargée de participer à la rédaction de dictionnaires, elle n’hésita pas à poser sa candidature. Les exigences n’étaient pas rigoureuses : il suffisait d’avoir l’anglais pour langue maternelle et d’être titulaire d’un diplôme universitaire.
Engagée quelque temps plus tard, elle fut formée par des collègues plus expérimentés. Elle apprit ainsi que le premier dictionnaire explicatif anglais fut publié en 1604 par Robert Cawdrey. Intitulé « Table Alphabeticall », il ne contenait que les mots difficiles. L’apparition tardive de dictionnaires en Angleterre est due au fait qu’avant le XVe siècle, l’anglais n’était pas utilisé dans les textes officiels ou littéraires (malgré quelques exceptions pour ces derniers). Le latin et le français étaient préférés. Henry V ne commença qu’en 1417 à utiliser l’anglais dans sa correspondance officielle. La normalisation de l’orthographe ne débuta qu’à cette époque.
Merriam-Webster publie toute une série de dictionnaires, en particulier le Merriam-Webster's Collegiate Dictionary, ouvrage abrégé issu du Webster's Third New International Dictionary of the English Language, qui date de 1961 et dont la quatrième édition ne sera sans doute pas publiée avant de longues années.
La formation de Kory Stamper a ensuite porté sur les parties du discours (noms, verbes, etc.), la consultation et l’alimentation d’un vaste recueil de citations, et le style des définitions.
Merriam-Webster est descriptif, pas prescriptif. En d’autres termes, ses dictionnaires se bornent à décrire l’état de la langue, le sens des mots tels qu’ils sont utilisés, et ne sont pas des guides de la langue telle qu’elle devrait être employée. Des lecteurs ont protesté contre l’inclusion du mot « irregardless », censé être synonyme de « regardless ». « Regardless of » signifie « en dépit de » ou « indépendamment de ». Le préfixe « -ir » devrait donner au mot le sens contraire. Telle n’est cependant pas la façon dont ce mot est utilisé et c’est tout ce qui compte pour Merriam-Webster.
La tâche des lexicographes consiste principalement à mettre à jour des dictionnaires. Pour ce faire, ils passent le plus clair de leur temps à lire des textes très divers. Chaque fois qu’ils repèrent un mot ou un sens nouveau, ils font une fiche, qui est relue et modifiée par plusieurs collègues.
Les critères d’inclusion d’un mot ou sens nouveau sont la fréquence des occurrences et la probabilité d’une utilisation prolongée.
Les définitions doivent être conformes à certaines règles. Un simple synonyme peut convenir, mais il n’est acceptable que lorsqu’il est toujours possible d’utiliser, dans une phrase quelconque, ce synonyme pour remplacer le mot à définir. Par exemple, un des sens du mot « lip » est défini par le synonyme « embouchure ». Cette définition n’est valable que parce que, quand le mot « lip » est utilisé dans ce sens, on peut le remplacer par « embouchure » et conserver un texte aisément compréhensible.
Les définitions peuvent faire usage de certaines formulations. Par exemple, on peut définir le mot « devotion » comme suit : The quality or state of being devoted. Une formulation correspondante en français serait : Le fait d’être dévoué.
En général, les lexicographes de Merriam-Webster ont recours à des définitions dites « analytiques ». Pour ce faire, il faut partir d’un terme qui corresponde à une catégorie supérieure à celle du terme à définir. La définition de « cat » comprend le mot « mammal » (mammifère). Il faut évidemment donner des précisions : a carnivorous mammal (Felis catus) long domesticated as a pet and for catching rats and mice. Plus un dictionnaire a du volume, plus le lexicographe peut donner des détails.
Pour définir « surfboard », le lexicographe est parti du schéma suivant : « a […] used for surfing ». Mais a what ? A plank, a panel, a platform, a slab ? Le choix s’est porté sur « board ». Il a ensuite fallu donner des précisions, et la définition finalement retenue a été : a long, narrow and buoying board used for the sport of surfing. Le mot « sport » a été ajouté pour écarter la navigation sur Internet, qui se dit aussi « surfing » en anglais.
La définition de certains mots pose des problèmes délicats. Prenons « bitch », par exemple. Ce mot désigne une chienne mais aussi une sorte de femme pas nécessairement recommandable. Dans son célèbre dictionnaire publié en 1755, Samuel Johnson est prudent : « a name of reproach for a woman ». Le Collegiate Dictionary est plus direct : « a woman who is malicious, spiteful or overbearing », une femme malveillante, méchante ou dominatrice.
Une fois un mot défini, il est souvent utile d’illustrer son emploi. A cet effet, le lexicographe peut recourir à des citations ou forger lui-même des exemples. Les citations ont souvent l’inconvénient d’être trop longues ou de manquer de clarté, le contexte n’étant pas connu du lecteur. Lorsque l’on forge un exemple, il faut veiller à ne vexer personne. Si le sujet est une femme, par exemple, ne va-t-on pas mal interpréter ? « La femme lava la vaisselle. » N’est-ce pas une façon de confiner les femmes aux tâches ménagères ? Il faut ménager toutes les personnes qui font partie de l’une ou l’autre catégorie de la population : les policiers, les homosexuels, les personnes âgées, etc.
Lorsqu’un mot a été défini et son emploi illustré, il faut encore indiquer son étymologie, sa date de naissance et sa prononciation.
L’étymologie est une discipline périlleuse et les auteurs de certains dictionnaires indiquent parfois des origines inexactes, fantaisistes ou simplement douteuses. Ainsi, le mot « posh » (luxueux, élégant) est censé être l’abréviation de « port out, starboard home » (bâbord à l’aller, tribord au retour). Les personnes fortunées choisissaient, dit-on, une cabine à bâbord pour se rendre en Inde (soleil le matin, fraîcheur l’après-midi) et à tribord pour en revenir, et ce pour des raisons de confort. Cette étymologie est probablement fausse. On n’a retrouvé aucun ticket de traversée portant le cachet « POSH » censé y figurer.
Les dictionnaires les plus complets indiquent la première apparition écrite d’un mot. Si vous pensez que l’abréviation « OMG » (Oh my God) est née sur les réseaux sociaux, détrompez-vous : elle est attestée pour la première fois en 1907, dans une lettre adressée à Winston Churchill.
Il reste au lexicographe à indiquer la prononciation des mots, une tâche difficile pour la langue anglaise. Quand j’avais une dizaine d’années, mon père m’a appris qu’en anglais, « élastique » se prononçait « caoutchouc ». Le mot « lingerie » a pas moins de 16 prononciations dans une des éditions du Collegiate Dictionary. Si vous devez prononcer ce mot aux Etats-Unis, vous avez une chance d’être compris si vous le prononcez « langerè ».
Une fois le dictionnaire publié, l’éditeur doit s’attendre à des réactions de lecteurs. Nombre d’entre eux ont protesté lorsque le Collegiate a indiqué que le mot « marriage » pouvait être autre chose que l’union entre un homme et une femme. Un lecteur mécontent a soutenu que ce mot ne pouvait en aucun cas désigner « a same-sex perversion ».
Depuis les années 1990, les dictionnaires sont entrés progressivement dans l’ère numérique. Les recherches des lexicographes sont facilitées, car il existe des sites portant sur tous les sujets. Les citations peuvent être multipliées.
De nombreux dictionnaires sont disponibles en libre accès sur Internet. La publication de dictionnaires imprimés n’est-elle pas menacée ? Quand l’auteure a commencé à travailler chez Merriam-Webster, l’entreprise comptait 40 lexicographes. Leur nombre est tombé progressivement à 25. Dans le dernier chapitre, Kory Stamper annonce de nouveaux licenciements.
Son livre passionnera les mordus des dictionnaires. Il contient de nombreuses informations qui seront utiles à ceux qui souhaitent rédiger un dictionnaire dans les règles de l’art. Il ne présente pas l’information de façon très systématique, mais de nombreuses anecdotes amusantes et des traits d’humour en rendent la lecture agréable.
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