Nous sommes heureux de retrouver notre fidèle contributeur, Grant Hamilton, Anglo-Québécois, auteur de « Les trucs d’anglais qu’on a oublié de vous enseigner » (Éditions de l'Instant Même, 14 mars 2011). Il a exposé ses points de vue linguistiques et politiques dans ses contributions précédentes, à savoir :
Le sacrilège d’un Anglo-Québécois
À tout seigneur, tout honneur...
Grant est Président d’Anglocom, Inc., bureau de traductions, Québec, rédacteur-traducteur agréé-réviseur de langue, vice-président de la division Entreprises de traduction de l’American Translators Association (ATA), membre du conseil de l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec, président de la division du Québec du programme Le Prix du Duc d’Édimbourg et formateur en traduction. Voici ses conseils concernant les meilleures ressources linguistiques en ligne.
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À question simple, réponse nuancée
Je n’étais pas certain d’être la bonne personne pour répondre à cette question quand le magazine Circuit me l’a soumise. En ma qualité de propriétaire de cabinet, je ne traduis plus beaucoup. Certes, j’enseigne la traduction et j’embauche et forme des traducteurs, dont je révise parfois les travaux. Mais d’autres sont sans doute mieux placés que moi pour parler de traduction.
Et puis, est-ce bien la bonne question?
Elle donne l’impression qu’il existe quelque part une liste des meilleurs et des pires ressources en ligne et qu’il suffit de la trouver. À mon avis, c’est bien plus compliqué que ça.
Je consulte de moins en moins de dictionnaires, de lexiques [1] et de guides de rédaction. Je ne conteste pas leur utilité et je m’y réfère pour de la terminologie spécialisée et des points précis de grammaire et de style. Mais je préfère observer la langue dans des sites unilingues qui n’ont pas à voir avec le domaine langagier, car ma préoccupation première est l’usage à l’oral et à l’écrit.
Typiquement anglophone
J’ai constaté au fil des ans que le respect de l’usage est typique du monde anglophone, qui préfère généralement une approche descriptive à une approche normative de la langue.
Normal, puisque l’anglais est une langue vivante et mouvante, qui emprunte sans vergogne à d’autres langues et accepte l’éloignement de la norme. Aucune autorité ni région du monde ne fixe ses règles. L’idée même d’une Académie ou d’un Office de la langue anglaise tiendrait d’ailleurs de l’aberration.
N’y a-t-il pas des règles en anglais?
Bien sûr. Mais même les règles qui semblaient les plus immuables il y a trente ans bougent aujourd’hui, façonnées et transformées par la force de l’usage.
Adolescent, j’aurais été très agacé par le slogan de McDonald « I’m lovin’ it », car les verbes attributifs comme « to love » ne se conjuguaient pas au présent progressif (en –ing). Par ailleurs, un abonné de mon fil Twitter me signalait récemment que mon emploi du subjonctif avec « It is recommended that » et « It is suggested that » avait un je-ne-sais-quoi de suranné.
Le bon ou le mauvais usage
En anglais, le bon et le mauvais usage s’établit donc comme au tribunal : en fonction de l’expérience et des connaissances cumulatives et en constante évolution de ceux à qui nous demandons de trancher. Et les magistrats de la langue de Shakespeare, ce sont les journalistes, les rédacteurs, les enseignants, les annonceurs, les communicateurs et, oui, les traducteurs qui manient la langue au quotidien.
C’est donc à nous d’observer attentivement ces arbitres de la langue et de déterminer où s’établit le consensus. Peut-on insérer un adverbe ou une locution adverbiale entre le « to » et le verbe à l’infinitif? L’usage du pronom à la troisième personne (he/she) est-il permis avec un sujet singulier dont on ne connaît pas le genre? « Beg the question » et « raise the question » peuvent-ils être synonymes? Comme en common law, nos réponses s’ajouteront à celles des autres, et ainsi s’enrichira l’usage de l’anglais.
Et le traducteur dans tout ça?
On pourrait donc dire que l’anglais repose davantage sur des préférences stylistiques que sur des règles. Pour le trait d’union, par exemple, il n’y a pas de règle à proprement parler; ce signe typographique s’emploie de toutes sortes de façons. Le traducteur doit donc connaître les diverses écoles et choisir son camp.
Voyez quel guide de rédaction reflète le mieux votre philosophie et votre démarche, et suivez-le pour chaque mandat. (Ne me demandez pas de choisir. Faites confiance à votre jugement professionnel!)
Par exemple, j’ai rédigé cet article en anglais à l’origine, sans mettre de majuscule à « anglophone » et à « francophone », comme le fait le Globe and Mail, quotidien de référence au Canada. Pourtant, dans mon dernier article pour Circuit, le réviseur a mis la majuscule à ces mots. Il n’y a pas de bonne et de mauvaise réponse. Ce sont simplement deux visions différentes.
S’en tenir à son choix
On peut être BCBG ou grunge, contemporain ou classique, mais pas les deux en même temps. Il faut choisir le style qui nous convient et qui marche pour nous.
Voici un autre conseil : ayez une opinion raisonnée sur tout. En matière d’habillement, vous connaissez vos propres goûts, non? De même, vous devriez savoir si vous préférez écrire Washington, D.C. (avec une virgule et des points) ou Washington DC. Faute d’avoir réfléchi à la question, vous risquerez de pécher par manque d’uniformité. Et votre client aura tôt fait de vous signaler que vous avez écrit « D.C. » au premier paragraphe et « DC » au quatrième.
Le français, une autre approche
La langue française, comme la société qui la parle, est davantage codifiée. Le monde francophone est naturellement porté à s’en remettre à une autorité et à résister au changement. Il confie même à des terminologues la mission de proposer des néologismes aux traducteurs. Il a donc tendance à vérifier les règles et à les suivre à la lettre.
Il n’y a aucun mal à ça. Et ça va de soi pour un groupe linguistique qui ne jouit pas de la même force que l’anglais et dont la langue se parle principalement en Europe, où elle est née. Rappelons également que c’est ainsi que les Français ont tendance à organiser la société. Ils ont leur « code civil » de la langue : Le Petit Robert, le Grévisse, etc.
Les meilleures ressources en ligne en français et en anglais?
Le fait est qu’aucune ressource n’est fiable en tous points. Il faut donc consulter chacune d’entre elles avec prudence, et certaines avec plus de prudence que d’autres, car même les meilleures ont des lacunes.
Mais cela a quelque chose de très stimulant. Car jour après jour, le traducteur exerce son jugement professionnel. Il fait partie du jury dont les décisions orientent l’évolution de la langue
Ayez confiance en votre jugement, en vos intuitions linguistiques. Soyez intimement convaincus de votre expertise, parce que vous avez examiné ces questions sous toutes leurs coutures et que vous vous êtes prononcé sur elles. Si vous y arrivez, vous serez un meilleur traducteur et vous contribuerez aussi au rayonnement de votre univers linguistique.
[1] Les avantages insoupçonnés des glossaires.
Audrey Pouligny, mars 2018
Lectures supplémentaires :
Finding Fossilized Words in Phrases Frozen in Time
Visual Thesaurus
A World Without "Whom": The Essential Guide to Language in the BuzzFeed Age
Emmy Favilla, November 2017. Bloomsbury USA
Bravo, Grant. Merci pour votre texte. #translator #montreal #teacher
Rédigé par : Radfordka | 26/09/2019 à 06:03