Nous sommes heureux de retrouver notre contributrice fidèle, Pascale Tardieu-Baker, traductrice et interprète indépendante qui travaille à Paris de l’anglais vers le français (et vice-versa à l’oral). La traduction aide à étancher sa curiosité naturelle et sert d’alibi à sa boulimie de films, livres et magazines.
Pascale a bien voulu rédiger l'article ci-dessous à notre intention.
Dernièrement, la revue britannique The Economist a fait sa couverture d'une caricature de Twitterdum (Donald Trump) et Twaddledee (Boris Johnson). Ces pseudonymes sont un jeu de mots sur, respectivement, Tweedledum et Tweedledee dont le sens et l'étymologie sont exposés ci-après. Twitterdum se compose de Twitter, allusion à la méthode que Trump utilise pour communiquer ses orientations, et dum, mot qui se prononce comme dumb dont le b final est muet [1] . Les deux composants de Twitterdum sont aisément attribués à Trump. Quant à Twaddle, cela signifie bêtises, âneries, alors que dee n'a pas de signification particulière. Johnson est souvent accusé de parler Twaddle, c'est-à-dire de débiter des âneries (ou pire encore), qui sont souvent déguisées dans un langage grandiloquent. [2]
Autrement dit, The Economist a transposé et actualisé le traditionnel duo de patronymes popularisé par l’écrivain anglais-irlandais, Lewis Carroll (1832-1898), ainsi qu'on le verra plus loin, pour le restituer dans le contexte de l'actualité politique insensée et déjantée que connaissent simultanément les États-Unis et le Royaume-Uni, du fait des bouffonneries de leurs dirigeants flamboyants et blondinets.
Tweedledum et Tweedledee [3] sont des personnages jumeaux, surtout connus des lecteurs francophones pour leur apparition dans les pages du roman de Lewis Carroll [4] « De l'autre côté du miroir » (1872), la suite des « Aventures d’Alice au pays des merveilles », ou bien dans le film de Tim Burton, « Alice au pays des merveilles » (2010) Ces deux noms sont à l’origine sortis d’un épigramme moqueur du poète John Byrom (1692 – 1763) [5] (ou y ont peut-être été ajoutés par Jonathan Swift ou Alexander Pope) avant d’être utilisés dans une comptine britannique. Quel que soit le contexte, il ne s’agit pas d’un sobriquet flatteur, puisqu’il évoque des personnages qui se querellent sans raison. Suivant les traductions ils portent différents noms, Tralalère et Tralala, ou bien Bonnet blanc et Blanc bonnet.
Ces traductions, en utilisant des paires de mots très proches, reprennent ce qui constitue la caractéristique principale des deux personnages qui sont toujours dépeints comme se ressemblant énormément et agissant de façon identique. Notre paire de bonnets, en particulier, est une expression moqueuse connue depuis le XVIIème siècle, et utilisée pour décrire deux choses ou personnages qui - bien
que présentés comme différents - sont en fait identiques. Un peu plus près de nous, en 1969, l’expression bonnet -blanc et blanc -bonnet est remise à l’honneur quand elle est utilisée par Jacques Duclos, homme politique communiste, à propos de Georges Pompidou et Alain Poher, tous deux candidats à l’élection présidentielle, qu’il a décrit durant l’un de ses discours comme « des jumeaux ou des siamois ». Il serait à l’origine de l’utilisation de l’expression « bonnet blanc et blanc bonnet » sur les affiches électorales en référence aux deux rivaux.
Quant à Tralalère, il s’agit d’une version de tralala, onomatopée utilisée pour fredonner ou remplacer des paroles de chanson oubliées, et dont Tralali semble être une variante.
Pour en revenir à la couverture de The Economist, le mot reckoning mérite également une brève analyse linguistique. Normalement, reckoning se traduirait en français par compte, calcul, estimation, (voire liquidation dans le cas du calcul des droits à pension). Mais, en pareil cas, et dans le contexte des événements qui tombent sur les têtes de Trump et de Johnson, il évoque la pesée des âmes, le Jour de vérité de la Bible et du Coran, et renvoie au Jugement de Dieu des chrétiens et des musulmans, c'est-à-dire au moment où chacun est appelé, après sa mort, à rendre compte des actions qu'il a commises pendant sa vie. L’expression anglaise “time of reckoning “ fait allusion au moment où l'on rend des comptes de ce que l'on a fait, où l'on paie ses dettes, où l'on exécute ses promesses et où l'on remplit ses obligations et - pour certains politiciens - au jour de leur destitution.
[1] La signification littérale du mot dumb est muet/te mais pendant des années le mot s’est employé également de façon péjorative pour signifier idiote ou stupide. Cet usage est aujourd’hui considéré comme politiquement incorrect ou, plus précisément, socialement inacceptable car blessant pour la communauté des muets. Pour l'étymologie du mot, voir https://www.etymonline.com/search?q=dumb
[2] Alexander Boris de Pfeffel Johnson a la langue bien pendue
Le mot juste en anglais, 24.07.2019
[3] Dans d'autres langues :
Espagnol: Patachunta y Patachún
Espéranto: Fingrumad kaj Fingrumid
Italien: Pincopanco e Pancopinco / Dindino e Dindello
Russe: Траляля и Труляля (Tralyalya i Troulyalya)
[4] Il convient de rappeler qu'il était Lewis Carroll qui celui, en 1882, a inventé le terme anglais “portmanteau word” (en français « mot-valise » ), choisissant paradoxalement le mot français « portmanteau « . Selon Etymonline.com le mot français est entré en anglais dans les années 1540 pour désigner une personne chargée de porter le manteau d’un prince, mais sa signification est devenue « grande valise » quelque 40 ans plus tard. Carroll l’a apposé avant le mot « word » pour créer ce nouveau terme.
[5] John Byrom inventa une méthode révolutionnaire de sténographie.
Lecture supplementaire :
The Curious Origins of Tweedledum and Tweedledee
Alice au pays des traductions
Le mot juste en anglais - 29.10.2015
Dans son excellent commentaire de l'expression « blanc bonnet et bonnet blanc », Pascale Tardieu-Baker a, fort opportunément, rappelé que, lors de l'élection présidentielle de 1969, on l'avait vue refleurir pour désigner le tandem constitué par Georges Pompidou et Alain Poher. À l'époque, on avait également comparé les deux candidats à Janus, cette divinité romaine à deux visages.
Parmi les tandems de ce genre, n'oublions pas les ineffables Dupont & Dupond des aventures de Tintin. Semblables en tous points, exception faite de la dernière lettre de leur nom et de la taille de leur moustache, on pourrait dire d'eux qu'ils sont Dupont & Dupond et Dupond & Dupont !
Rédigé par : Jean Leclercq | 10/10/2019 à 07:42