Dans notre dernier article intitulé : « C'est bonnet blanc et blanc bonnet », nous avons fait allusion à deux chefs d'État enfantins (dont nous ne répéterons pas les noms ici).
L'article narrait l'histoire de la comptine anglaise Tweedledum et Tweedledee qui remonte à Lewis Carroll, en 1872 et, avant cela, au poète anglais John Byrom, au 18e siècle.
Toujours sur le thème des comptines anglaises, nous traiterons aujourd'hui de Little Miss Muffet, œuvre d'un auteur inconnu, qui a été publiée pour la première fois en 1805 bien qu'elle remonte au seizième siècle. Cette comptine fait partie d'une collection dite de Mother Goose (Ma Mère l'Oie), l'auteur imaginaire d'une collection de contes de fée français et, plus tard, de comptines anglaises.
Le nom de Mother Goose est apparu dans la langue anglaise au début du 18e siècle lorsque parut la collection de contes de fée de Charles Perrault (membre de l'Académie française qui s'est occupé de la collecte et la retranscription de contes issus de la tradition orale française) intitulée « Les Contes de ma Mère l'Oie ». Elle fut d'abord traduite en anglais sous le titre de Tales of Mother Goose. Par la suite, une compilation de comptines anglaises intitulée : Mother Goose's Melodies, ou Sonnets for the Cradle, contribua à perpétuer le nom, tant en Grande-Bretagne qu'aux États-Unis. Ces comptines sont passées de génération en génération et de famille en famille à de jeunes enfants des deux côtés de l'Atlantique.
Dans la comptine, Little Miss Muffet, (La petite demoiselle Muffet) assise sur un tabouret, mange son caillé et son petit lait :
Little Miss Muffet, Sat on a tuffet, Eating her curds and whey; Along came a spider, Who sat down beside her, And frightened, Miss Muffet, away. |
La petite demoiselle Muffet Assise sur un tabouret* Mangeait son caillé et son petit-lait**. Vint une araignée Qui s'assit à côté Mademoiselle Muffet partit tout effrayée. |
Le terme curds, en français le caillé, est au cœur du présent article. Avec le petit-lait (whey), le caillé (curds) est un produit de la fabrication du fromage. Lorsqu'on ajoute de la présure (une enzyme provenant des ruminants ou des nombreuses autres sources d'enzymes qui peuvent se substituer à la présure animale, allant des plantes et des champignons aux sources microbiennes) au lait, celui-ci caille. Ces morceaux de caillé (encore appelé caillebote) sont ce que l'on appelle curds en anglais. Le petit-lait (whey) est alors le sous-produit de ce processus.
De nos jours, le fromage frais s'apparente au caillé et petit lait que l'on consommait couramment il y a quatre cents ans, à l'époque de la composition des comptines.
Il faut bien faire la différence entre le mot curds et son homophone Kurds (les Kurdes, en français), ces populations de langue indo-européenne et majoritairement de confession musulmane sunnite, essentiellement établies dans quatre pays : Turquie, Iran, Irak et Syrie.
Ces présentations étant faites, examinons le dessin ci-dessous, paru dans le quotidien britannique The Times du 10 octobre 2019.
Les mots :
Little Miss Muffet
Sat on a tuffet
Giving the Kurds away…"
sont une allusion a la réorientation de la politique étrangère des Etats-Unis décidée par le Président Trump (Twitterdum) lorsqu'il fit part de son intention de laisser les forces turques pénétrer dans les territoires du nord de la Syrie habités par les Kurdes, en ordonnant le retrait des troupes américaines qui s'y trouvaient jusque-là. Les mots «giving the Kurds away » font allusion a l'abandon des Kurdes par leurs allies, les Etats-Unis. Le Président turc apparait sous les traits de l'araignee de la comptine.
L'identité du personnage vêtu de jaune ne laisse aucune place à l'imagination.
Jonathan Goldberg & Jean Leclercq
Note linguistique :
Realpolitik : (avec une majuscule) Stratégie politique qui s'appuie sur le possible, négligeant les programmes abstraits et les jugements de valeur, et dont le seul objectif est l'efficacité.(Dictionnaire Larousse)
Jonathan Goldberg
Note historique :
À l'époque ottomane, le problème des nationalités ne se posait pas dans les mêmes termes qu'aujourd'hui. Les populations non-turques (Grecs, Arméniens, Kurdes, Assyro-chaldéens, Circassiens, Juifs, etc.) devaient allégeance et tribut au sultan, mais elles pouvaient conserver leur langue, leur religion et leurs institutions traditionnelles. En outre, le sultan étant également khalife, il s'attachait les minorités de confession musulmane. Avec l'avènement du kémalisme, il n'en fut plus de même, l'État devenait laïc et tout le monde devait être turc. Les Alliés de 14-18 avaient fait des promesses d'indépendance aux Kurdes, mais ils ne les tinrent pas. Les Kurdes furent éconduits et sans doute auraient-ils dû s'en souvenir à notre époque !
Jean Leclercq
Lectures supplementaires :
Chansons et comptines
Commentaires