L'article qui suit, rédigé par M. Dominique Mataillet, a paru dans FRANCE-AMÉRIQUE (numéro d'octobre 2019), la plus grande publication de langue française aux États-Unis et la seule à être diffusée à travers tout le territoire américain. Nous le reproduisons avec la précieuse autorisation de l'auteur.
Los Angeles est-elle une ville ? La question paraît incongrue. Elle ne l’est pas tant que cela.
Car, aujourd’hui plus que jamais, il est difficile de s’entendre sur les définitions. Se situe-t-on sur le plan géographique ou dans le registre administratif ? À partir de combien d’habitants peut-ton parler de ville ? Est-ce un ensemble d’un seul tenant ?
Selon les points de vue, Los Angeles est soit une agglomération, soit une conurbation, soit une mégapole, soit une aire urbaine. Tout comme New York, qui, en fonction du contexte dans lequel on l’évoque, compte entre 8 et 25 millions d’habitants.
Mais il faut commencer par le commencement : les zones rurales. Le territoire d’un pays comme la France était il y a peu encore constitué pour l’essentiel d’un maillage serré de « villages ». À ceux-ci- s’ajoutaient des « hameaux », regroupant quelques habitations, et des « lieudits » (ou « lieux dits »). Quand le village atteignait un certain niveau de population, on parlait de « bourg ».
On utilise parfois le joli mot de « bourgade » pour désigner un village dont les maisons sont disséminées sur un assez grand espace. Quelques synonymes familiers ont passé l’épreuve du temps, tels « patelin » (de l’ancien français pastiz, « pacage ») et « bled », mot importé du Maghreb où il signifie « terrain », « pays ».
Quand on parle de « ville », on songe d’abord à la taille de la population. Le nombre d’habitants agglomérés (dont les résidences sont distantes de moins de 200 mètres) est en effet un critère déterminant. Encore varie-t-il fortement selon les pays : 200 personnes en Suède, 2 000 en France, 50 000 au Japon ! Les Nations unies, de leur côté, retiennent le seuil de 20 000 habitants.
La ville se distingue aussi du village par sa morphologie, qui se caractérise par un habitat dense et, souvent, vertical. Alors que, traditionnellement, les zones rurales étaient vouées aux productions agricoles, la ville était l’espace privilégié des commerces et des services. Elle cumulait également les fonctions politiques et administratives. Jusqu’à ce que l’industrie, souvent à l’origine du fait urbain lui-même, devienne une activité dominante et redessine les paysages.
On emploie souvent indifféremment les mots « cité » et « ville ». Ils ont pourtant des histoires fort différentes.
Le premier est dérivé du latin civitas, circonscription politique de l’empire romain avant de servir de cadre à l’administration de l’Église chrétienne. C’est pour cela que cité prit le sens de ville épiscopale et resta longtemps marqué par cette fonction religieuse.
Plus trivialement, la ville - du latin villa, « maison de campagne » ou « village » - est, au départ, « un « assemblage de plusieurs maisons disposées par rues et fermées d’une clôture commune, qui est ordinairement de murs et de fossés ». C’est du moins comme cela qu’elle est définie dans le Dictionnaire de l’Académie française de 1694.
Dès lors que, désormais, plus de 55 % de la population mondiale vit en zone urbaine – le taux devrait approcher 70 % en 2050 -, les indicateurs classiques ont forcément volé en éclats. Et le vocabulaire afférent a nécessairement été remis à jour.
Les plus grandes villes sont qualifiées de « mégapoles ». On utilise aussi les termes de « macropoles ». Si l’on retient le seuil de dix millions d’habitants, une trentaine d’agglomérations géantes peuvent être considérées comme des mégapoles. Avec plus de 42 millions d’habitants en 2014, le Grand Tokyo est la plus peuplée de toutes.
Ces cités gigantesques sont des « métropoles », c’est-à-dire des lieux de commandement (économique, politique...) de vastes espaces. Elles sont souvent des « capitales » dans la mesure où elles abritent le siège du gouvernement. Mais cette règle souffre de nombreuses exceptions. Au Brésil, la capitale est non pas Sao Paulo (plus de 10 millions d’habitants) mais Brasilia (2,5 millions). Au Nigeria, c’est Abuja (environ 2,7 millions d’habitants) et non Lagos (plus de 20 millions). Idem aux États-Unis, avec Washington, ville moyenne de quelque 700 000 habitants. On relèvera que dans ce même pays les capitales des États fédérés sont souvent de petite taille. Harrisburg (Pennsylvanie), Jefferson City (Missouri), Dover (Delaware), Annapolis (Maryland) comptent chacune moins de 50 000 habitants. Dans le Kentucky, État de quelque 5 millions d’habitants, Frankfort, la capitale, ne dépasse pas les 25 000 âmes alors que Pierre, capitale du Dakota du Sud, n’atteint pas les 15 000 et Montpelier (Vermont) les 8 000.
De nos jours, les villes se développent surtout par « périurbanisation » et « rurbanisation » *, c’est-à-dire par l’extension de leurs banlieues et des espaces plus lointains, à urbanisme plus aéré. En s’étendant démesurément, certaines villes finissent par se rejoindre et former des « conurbations ». C’est le cas, par exemple, de l’ensemble San Francisco-Oakland-San José en Californie et de celui constitué par Lille, Roubaix et Tourcoing dans le nord de la France.
Ce n’est pas tout ! Une série de conurbations peut former une « région urbaine », comme, aux Pays Bas, la Randstad, qui englobe Utrecht, Amsterdam, La Haye et Rotterdam. Certaines régions urbaines, enfin, font partie d’ensembles urbains encore plus vastes, auxquels on a donné le nom de « mégalopoles ». Ainsi en est-il de la vaste aire du Nord-Est américain s’étendant de Boston à Washington ainsi que du « Tokaido » japonais, axe de circulation qui va de Tokyo à Fukuoka en passant notamment par Kyoto, Osaka et Kobe.
Si elles n’atteignent pas de telles dimensions, certaines villes abritent la plus grande partie de la population de leur pays. Les géographes parlent de « cités-États ». À l’exemple du Koweït, dont la capitale éponyme regroupe, avec quelque 2,4 millions d’habitants, plus de 90 % des habitants de l’émirat. Sans oublier Monaco (39 000 habitants sur 202 hectares) ni le Vatican (44 hectares, 1 000 habitants), où ce taux atteint 100 %.
Dominique Mataillet
- Toutes ces notions sont développées dans l’excellent Dictionnaire de géographie, de Pascal Baud, Serge Bourgeat et Catherine Bras, publié par Hatier.
Article precedent paru sur ce blogue : Langages Yankees : Gringos, Turcos et autres Godos
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