Les deux articles qui suivent ont été traduits et adaptés à notre intention par Isabelle Pouliot, le premier à partir d'un reportage sur le site de la B.B.C., redigé par Jessica Bown, journaliste, Affaires et technologies, 21 février 2020 et le deuxième à partir d'un reportage de CNN Business, rédigé par Claire Duffy, le 11 mars 2010.
Isabelle est membre de l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ) et également de la Northern California Translators Association (NCTA).
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La traduction automatique surpassera-t-elle la maîtrise d'une langue étrangère ?
Inscrivez « crottin de chèvre » dans Google Translate et vous aurez le résultat « goat dung » en anglais.
Un Anglais qui voit « crottin de chèvre » dans un menu en France et consulte Google Translate, pourrait passer outre et commander autre chose. Mais il perdrait la chance de goûter à un délicieux fromage de chèvre, souvent servi en entrée en France.
Ce genre d'erreurs explique pourquoi Google admet que son application gratuite, utilisée par près de 500 millions de personnes, n'est pas conçue pour remplacer les véritables traducteurs.
Les touristes peuvent s'accommoder de quelques erreurs parce que cette technologie est pratique et peu coûteuse. Mais lorsque les enjeux sont plus importants, comme dans le milieu des affaires, du droit ou de la médecine, ces services ne donnent pas souvent les résultats escomptés.
« Utiliser Google Translate peut entraîner de graves erreurs, surtout lorsque des mots ont plusieurs sens, ce qui est souvent le cas dans des domaines comme ceux du droit et de l'ingénierie », explique Samantha Langley, une ancienne avocate qui est désormais une traductrice juridique de l'anglais vers le français, assermentée par la cour et établie à Meribel en France.
Ce qui ne veut pas dire que les traducteurs professionnels n'utilisent pas d'outils de traduction assistée par ordinateur (TAO). Des outils plus perfectionnés permettent de faciliter la traduction de passages répétitifs.
Ces outils sont même intégrés aux programmes d'études des langues vivantes. Que valent-ils alors?
L'un des nouveaux outils les plus populaires est l'oreillette de traduction. L'oreillette est jumelée à une application de téléphone intelligent; elles reconnaissent les langues étrangères et les traduisent pour l'utilisateur.
Selon Andrew Ochoa, chef de la direction de la jeune entreprise américaine Waverly Labs, laquelle produit des écouteurs de traduction, « il a fallu des décennies de recherche pour créer des cadres algorithmiques qui reconnaissent des formes d'expression de la même manière qu'un cerveau humain, c'est-à-dire par un réseau neuronal.
Jumeler cela à la technologie de reconnaissance vocale nous a permis de faire un immense bon en avant en matière de précision. »
Les outils de TAO ont incontestablement allégé la caractère fastidieux de la traduction de textes tels les manuels d'instructions et les questionnaires, précise Paola Grassi, traductrice professionnelle à Milan et employée de Wordbank, une agence de traduction et de marketing multinationale.
« Les sondages sont parmi les textes les plus répétitifs et un bon outil de TAO accélère grandement le processus. »
Pour des conférences et des réunions, la popularité d'appareils de traduction portables comme ceux de Waverly Labs ne fait pas de doute. Mais même cette technologie de nouvelle génération, laquelle combine des réseaux neuronaux de reconnaissance vocale et des outils de traduction en ligne, a ses limites.
Les utilisateurs doivent attendre quelques secondes pour obtenir la traduction d'une phrase, et plus encore si la connexion internet est mauvaise.
Et les ordinateurs ne peuvent pas rendre les subtilités de la communication humaine.
« La technologie est sans aucun doute un outil utile pour traduire certains types de contenu, comme des manuels », explique Zoey Cooper, directrice, Marques et contenu, Wordbank.
« Mais si vous voulez créer une relation avec le lecteur, vous avez besoin d'un traducteur humain pour produire un texte qui semble naturel et pour rendre les nuances émotionnelles, ce qui signifie souvent de restructurer complètement une phrase. »
Antonio Navarro Gosálvez est un traducteur de l'anglais vers l'espagnol qui vit à Alicante en Espagne. « Je crois que les outils de TAO freinent la créativité. Si l'outil vous donne une traduction partielle, je trouve qu'il est plus difficile d'éliminer une partie de la phrase et la reconstruire que créer une phrase à partir de rien. »
Selon M. Ochoa, ce problème pourrait être résolu au cours des 10 prochaines années.
« Lorsqu'il faut exprimer de l'émotion et une intonation, nous avons besoin de l'analyse des sentiments, qui n'est pas encore au point, mais qui pourrait bien l'être d'ici 10 ans. »
Les langues étrangères constituent toujours un atout sur le marché du travail.
Au Royaume-Uni, environ 15 % des offres publiées sur le site de recherche d'emploi Reed exigent la connaissance d'une langue étrangère.
Selon une nouvelle recherche effectuée par l'American Council on the Teaching of Foreign Languages, 75 % des entreprises manufacturières ont besoin d'employés ayant diverses compétences langagières.
Et pourtant, l'apprentissage des langues perd de sa popularité dans les écoles du Royaume-Uni.
Une récente analyse de la BBC a révélé une baisse allant jusqu'à 50 % du nombre d'élèves qui apprennent une langue étrangère dans les écoles secondaires depuis 2013.
Le ministère de l'Éducation du Royaume-Uni prend des mesures pour freiner ce déclin.
« Nous sommes déterminés à faire en sorte que plus d'élèves apprennent des langues, et désormais, il s'agit d'une matière obligatoire du programme national d'éducation pour tous les élèves, de la troisième à la neuvième année » a-t-il indiqué.
Selon Mme Cooper, parler une langue étrangère est une compétence recherchée.
« Il y a encore de nombreuses possibilités pour les diplômés, à la fois dans la traduction spécialisée et dans le marketing mondial. »
Et même si vous n'utilisez pas une langue dans un contexte professionnel, parler une autre langue offre d'autres avantages.
« Comment pouvez-vous connaître un pays et adopter une culture si vous ne parlez pas la langue? », demande Mme Cooper.
« Même avec les applications activées par la voix, il va vous manquer quelque chose. »
Lectures supplémentaires :
Google Assistant : un mode interprète traduit désormais vos conversations en temps réel
Ce qui se passe dans le cerveau des interprètes
IBM veut que les ordinateurs comprennent le langage naturel
IBM commercialise une nouvelle technologie qui facilite la compréhension du langage humain par les ordinateurs.
Les systèmes d'intelligence artificielle ont pris plus d'importance dans le domaine des affaires en raison de leurs capacités améliorées de traitement de grandes quantités de données et d'apprentissage fait à partir de ces mêmes données. Mais ces systèmes avaient du mal à comprendre les nuances de la communication entre humains qui se fait au jour le jour.
IBM bonifie son système d'IA, Watson, avec de nouveaux outils pour traiter ce problème et mieux comprendre le langage humain. La technologie de traitement automatique du langage naturel a été mise au point dans le cadre du projet de recherche d'IBM intitulé Project Debater [1] lequel a été le premier système d'IA à débattre contre un expert humain l'an dernier.
Pour débattre de façon autonome, Project Debater devait être capable d'écouter son adversaire, de comprendre ses arguments et de formuler rapidement une réponse, tout cela sans accéder à internet. L'ordinateur devait donc être capable de déterminer et de comprendre des expressions familières ou idiomatiques, tout comme certaines expressions ou certains termes employés dans un secteur précis, par exemple, « c'est dans la poche » ou « pas d'un grand secours » (auparavant, un système d'IA aurait pu penser que quelqu'un cachait quelque chose dans sa poche).
Les entreprises pourront désormais utiliser les outils de traitement du langage naturel d'IBM pour améliorer le dépouillement de documents et la recherche, pour mieux filtrer la communication entrante et améliorer leur service à la clientèle.
« En affaires, tout est lié à la communication, la communication entre les employés, avec les partenaires d'affaires, avec les clients, et elle prend la forme de courriels, de clavardages, de messages texte, de documents », comme l'a expliqué à CNN Business le directeur général des données et de l'IA d'IBM, Rob Thomas. « Certaines des données les plus intéressantes d'une entreprise sont encodées dans tous ces supports, tout ce langage. »
Environ 48 % des directeurs du placement du monde entier examinent la possibilité de déployer des systèmes d'IA dans leurs entreprises cette année, selon un sondage de 2019 réalisé par la firme Gartner. Selon les données d'un sondage d'IBM effectué en janvier auprès de 4500 décideurs en matière de technologie au sein d'entreprises du monde entier, 45 % des entreprises ayant plus de 1000 employés ont adopté l'IA.
Une amélioration considérable par rapport aux systèmes d'IA existants est la capacité du système d'analyser les sentiments, d'examiner ce qu'une personne dit ou écrit et comprendre ce qu'elle tente réellement de communiquer et quel est le contexte. Par exemple, le système peut désormais comprendre la véritable signification lorsqu'une personne dit qu'elle a « la tête dans les nuages », c'est-à-dire qu'elle est distraite, au lieu de prendre cette expression au pied de la lettre.
Selon Rob Thomas, « souvent, quand on parle ou interagit, surtout dans le service à la clientèle, on utilise beaucoup d'expressions et de termes propres à un secteur ».
L'intégration de cette capacité d'analyse à Watson Discovery [2], un système d'IBM, facilite la recherche, et la cueillette de données précieuses, dans une multitude de documents et d'autres sources de communication écrite d’entreprises.
Le système peut mieux comprendre les thèmes et points principaux de documents et les classer ensuite dans des catégories plus précises, ce qui les rend plus utiles. Il peut aussi générer de brefs résumés à partir d'une multitude de données. Le système peut aussi distinguer si deux documents font une analyse similaire d'un même sujet, mais avec un vocabulaire différent.
« Si Watson analyse un million de documents, il peut déterminer l'information la plus pertinente en raison du problème qu'on tente de résoudre », illustre M. Thomas.
Ce genre de tâches pourrait être pratique dans le cas d'une entreprise qui doit filtrer les demandes de service à la clientèle et les diriger où elles pourront être traitées adéquatement. Un cabinet d'avocat pourrait aussi s'en servir pour analyser des documents et en tirer des conclusions et faire une découverte dans le cas d'une cause; ce qui exigerait d'un avocat des jours ou des semaines de travail serait effectué en quelques minutes par un système d'IA.
L'un des aspects les plus préoccupants dans le domaine de l'intelligence artificielle : il a été démontré que dans certains cas, des systèmes reproduisaient des préjugés humains envers certains groupes, dont les personnes de couleur.
Thomas insiste sur le fait que la confiance est essentielle pour les entreprises qui utilisent l'IA, tout comme pour leurs clients. Il explique qu'IBM a une plateforme appelée Watson OpenScale [3] et parmi ses fonctions, elle peut détecter les préjugés et dérives de systèmes d'IA d'entreprises.
« La confiance est essentielle, d'être capable d'utiliser une IA dont vous pouvez expliquer le fonctionnement, qui est libre de préjugés, digne de confiance », dit Rob Thomas.
Et même si l'intelligence artificielle peut changer la manière dont les humains travaillent, il est très peu probable qu'elle élimine la nécessité de recourir au travail des humains. Selon Rob Thomas, ce serait le contraire, que ces systèmes pourraient plutôt rendre les gens plus efficaces.
« Peut-être qu'un problème peut être trop difficile à résoudre par l'IA, mais si on jumelle cette technologie à un humain, sa capacité et sa rapidité à trouver une solution augmentent rapidement. »
[1] IBM Project Debater 57:52 minutes
[2] Why you should use Watson Discovery - 1:45 minutes
[3] Operationalize Trusted AI with IBM Watson OpenScale
Lectures supplémentaires :
Quel est le meilleur service de traduction en ligne ?
Une société européenne vient de lancer un service de traduction automatique qu’elle estime être « trois fois plus performant que celui de Google ». Nous avons vérifié.
Le Monde, 29 août 2017
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