Le droit et la littérature s’affrontent parfois dans des circonstances étranges [1], notamment dans le cas d’un litige de droits d’auteur. [2]
Un livre rédigé par Mary Trump, la nièce de Donald Trump, intitulé Too Much and Never Enough: How My Family Created the World’s Most Dangerous Man, traite d’une famille tout à fait « dysfonctionnelle » (pour employer un mot français emprunté à l’anglais). Selon le dictionnaire Larousse, ce mot « Se dit de quelque chose, particulier d'un système de relations, d'une structure (familiale, sociale), dont le fonctionnement est problématique ». La Maison Blanche a récemment entamé un procès pour bloquer la publication du livre qui scandalise la famille Trump, mais le tribunal a rejeté sa réclamation. À première vue, le livre, qui sortira la semaine prochaine, n’a rien à voir avec la littérature.
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Pourtant, lorsque l’on connaît mieux la vie de l’auteure, notamment la période de ses études de premier cycle à l’université, il est possible de mieux comprendre l’influence de l’auteur américain, William Faulkner (1897-1962) [3] sur Mary Trump.
Faulkner vivait la plupart de sa vie dans le comté rural de Lafayette [4] (Mississippi), dans le Sud profond des États-Unis. [5] La famille que Faulkner a inventée s’appelle les Compson, nom qui apparaît brièvement dans le premier chapitre de Requiem for a Nun (Requiem pour une nonne). Présente dans The Sound and the Fury (Le Bruit et la Fureur), cette famille fait aussi des apparitions dans Absalom, Absalom ! (Absalon, Absalon !) et dans des nouvelles comme That Evening Sun (Soleil couchant).
Dans un article paru dans le Washington Post le 2 juillet, qui relève les similitudes entre la famille Compton et celle de Trump, est cité l’ex-professeur de Mary Trump, pour qui toutes les deux familles ont été « déchirées par la dysfonction ».
Il peut surprendre que Mary Trump soit décrite par ce professeur comme une « étudiante brillante » alors que, sachant que Donald Trump est de cette famille, on est plutôt amené à se dire que les mots « Trump » et « brillant » sont un oxymore. Selon son professeur, Mary fut la meilleure étudiante de sa classe d’anglais. Elle obtiendra par la suite un doctorat en psychologie clinique.
Psychologue, Mary Trump étudia des patients atteints de délires, schizophrénie et hallucinations. On ne saurait imaginer une meilleure expérience pour analyser celui qui est son oncle. [6] Selon ses propres termes, l’élection de Trump comme président des États-Unis fut « la pire nuit de ma vie ».
Un des traits de caractère souvent attribués à Donald Trump est le narcissisme. Dans le trouble de la personnalité narcissique, un individu se manifeste par le besoin excessif d'être admiré et par un manque d’empathie. Le sujet narcissique recherche une gratification en lui-même, et s'attachant peu au jugement des autres, est très focalisé sur ses problèmes d’adéquation personnelle, de puissance et de prestige. Le trouble de la personnalité narcissique est étroitement lié à l’égocentrisme. Selon la mythologie grecque, Narcisse était un chasseur qui passait son temps à se contempler dans l'eau de la source.
Revenons à William Faulkner avec une citation du site oprah.com à propos du langage de l’auteur - comme préface à « The Faulkner Glossary » :
« En lisant Faulkner, ne vous découragez pas si vous trébuchez sur quelques mots inconnus - l'auteur est connu pour traiter la langue anglaise comme sa propriété personnelle. Alors si vous, citadins, ne faites pas la différence entre un "hitch-reign" et un "plowline", ou que vous soyez rendus perplexes par un mot prétentieux, ce glossaire vous aidera – d’acalculie à zain. »
Note linguistique :
Les mots lunatic (substantif ou adjectif en anglais) (fou/folle, en français) et lunatique (synonyme de capricieux, selon l'Internaute.com), sont de faux amis. Ce ne fut pas toujours le cas, comme l'explique Guillaume Terrien, champion de France d'orthographe dans un vidéo clip :
Autrement dit, le français, en évoluant, a abandonné le sens fort de « fou/folle » pour ne retenir que celui de bizarrerie, alors qu'en anglais, le mot d'origine normande est resté figé dans son sens initial de lunatic.
En revanche, les mots lunar et lunaire sont de vrais amis. En ce qui concerne le mot « lunaison », il n'a ni de vrai ni de faux ami en anglais, en ce sens qu’il n'existe aucun mot équivalent en anglais (la plus proche traduction étant lunar month).
En anglais, les synonymes de lunacy sont : madness, insanity imbecility et folly. Ce dernier est évidemment proche de "folie". Mais, le mot imbecile désigne (péjorativement) quelqu'un de plutôt stupide. Au 16e siècle, il s'employait pour désigner une personne de faible constitution [5] (du latin, imbecillus, quelqu'un in baculum, c'est-à-dire sans le soutien d'une canne) mais, au 19e siècle, sa signification a changé et il en est venu à désigner une personne faible d'esprit ou sans intelligence.
Il s'avère qu'étudier l'origine et le parcours des mots en anglais, et essayer de les distinguer de leurs doubles français, c'est de l'imbécillité, sinon de la pure folie.
Mise à jour :
Trump est « cruel »et « menteur » affirme sa sœur dans un enregistrement secret
Le Journal de Montréal, le 22 août 2020
Jonathan G. avec l'aide précieuse de Magdalena Chrusciel.
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[1] Anonyme - L’Escole des filles ou La philosophie des dames, 1655 est considéré comme le premier roman érotique de la littérature française, l’ouvrage indigne le procureur général du roi qui ordonne de saisir et brûler les exemplaires.
[2] L'auteur de cet article recommande un livre rédigé par Maître Jean-Claude Zylberstein qui traite de ce thème:SOUVENIRS D’UN CHASSEUR DE TRÉSORS LITTÉRAIRES, Allary Editions, 2018, 461 pages.
Voir également Elizabeth Ladenson, Dirt for Art’s Sake, Books On Trial from Madame Bovary to Lolita, Cornell University Press, 2007 et
Yvan Leclerc, Crimes écrits : la littérature en procès au XIXe siècle, 1991, Éditions Plon.
[3] Faulkner a reçu le prix Nobel de littérature en 1949.
[4] Ce comté porte le nom de Gilbert du Motier, marquis de La Fayette, dit « La Fayette », officier et homme politique français et américain.
[5] Le livre Three Years in Mississippi a été rédigé par James Meredith, le premier étudiant noir-américain de l’université du Mississippi, dans le comté de La Fayette, jusqu'à 1962 réservée aux étudiants blancs. Le Mississippi était alors l'un des États américains les plus ségrégationnistes du pays. Le Président John Kennedy a envoyé à Meredith en soutien des milliers de soldats de l'armée fédérale pour qu’il puisse assister aux études dans ce bastion de la suprématie blanche du Sud profond.
[6] En octobre 2017 parut le livre The Dangerous Case of Donald Trump, rédigé par 27 psychiatres et psychologues, qui s’accordèrent tous à dire que l’état mental de Trump présentait un danger pour les États-Unis. Dans son édition élargie d’autres professionnels ont ajouté leur analyse du thème.
Le dernier ouvrage rédigé par un psychologue consacré à un président américain fut l'étude de Sigmund Freud intitulée 'Woodrow Wilson : A Psychological Study'.
Lectures supplémentaires :
Décryptage: de la santé mentale de Donald Trump
La Presse, 13.4.2020
Trump is Not Well,
The Atlantic, 9 September, 2019
Un Garfield qui n'était pas le chat éponyme ! 4.4.2016
Enjamber les siècles :
un défi à la démographie 17.11.2014
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