Notre contributrice Françoise Le Meur a bien voulu rédiger l'analyse qui suit à notre intention. Nous la remercions vivement.
Homophilie et homophile
Homophile (subst. et adjectif).
Etymologie : de homo (signifiant « même, égal, comme » (opposé à hétéro), du grec homos + -phile (« celui qui aime, apprécie »)
Dans son usage, largement désuet de nos jours, signifie « celui.celle qui est attiré(e) par un individu du même sexe ou une personne active dans la défense des droits des personnes homosexuelles »
Ce mot n’est pas l’antonyme de homophobe mais le synonyme de homosexuel, un temps préféré par les militants de la cause homosexuelle, parce qu’il évite la référence à la sexualité pour lui substituer celle des affinités et de l’amour.
En effet après la Seconde Guerre mondiale, le mouvement homosexuel international s’était structuré autour du terme « homophile », représenté en France par Arcadie, « Mouvement homophile de France » et sa revue Arcadie (existence de 1954 à 1982).
Ne pas confondre ce terme avec son paronyme hémophile (personne atteinte d’une maladie liée à un défaut de coagulation du sang). [1]
Homophilie (subst. fém.). Attirance sentimentale ou sexuelle d'un individu pour un individu du même sexe. Ce terme est vieilli et est maintenant remplacé par le terme homosexualité depuis les années 70.
Une citation équivalente en français serait « qui se ressemble s’assemble ».
En sciences sociales, l'homophilie est la tendance à s'affilier à ses semblables (pairs). La propension à préférer entretenir des relations avec des personnes qui se ressemblent et ont des caractéristiques communes telles que le lieu géographique, l'origine sociale, la langue ou la race est un indicateur de la persistance des catégorisations sociales globales à l’intérieur des structures relationnelles.
Le sociologue français Pierre Bourdieu a relié en 1980 la tendance à l'homophilie à la notion de capital social et aux autres formes de capital; les gens ont ainsi tendance à s'associer à leurs semblables (en termes de position sociale, de rôle social, etc.).
Dans sa version anglaise, le terme homophily [2] défini par le dictionnaire numérique Lexico.com comme « The tendency for people to seek out or be attracted to those who are similar to themselves », a fait l'objet de plusieurs analyses dans la presse américaine à propos de l'influence des réseaux sociaux (et plus encore à la suite du siège du Capitole, le 6 janvier.)
Dans le journal Foreign Affairs, l’ article «The False Prophecy of Hyperconnection » de Niall Ferguson souligne « Because of the phenomenon known as “homophily”, or attraction to similarity, social networks tend to form clusters of nodes with similar properties or attitudes ».
Un autre mot anglais, groupthink, défini par Lexico.com comme "The practice of thinking or making decisions as a group, resulting typically in unchallenged, poor-quality decision-making” figure dans le même champ lexical.
Cela étant dit, peut-on parler d’homophilie au sujet des supporters de D.Trump ?
Cette homophilie concerne sans doute davantage les opinions émises par les supporters influencés par les réseaux sociaux ou les chaînes TV telles Fox news (même si certaines caractéristiques en termes de sexe, de couleur de peau, de religion, éducation, niveau social peuvent être communes et d’autres plus éloignées (par exemple républicains convaincus ou hommes d’affaires fortunés).
L’homophilie influence l’enfermement dans « une bulle de filtres » (par l’intermédiaire des publications partagées, des échanges avec des contacts/amis/suiveurs sur les réseaux sociaux et à la croyance à des thèses conspirationnistes.
Les fameux algorithmes (Google et Facebook en tête de liste) avaient, à ce titre, été montrés du doigt comme ayant été responsables de la victoire du candidat Républicain à la Maison Blanche en 2016.
De-platforming (ou no Platform)
Méthode de censure par laquelle on refuse au censuré tout moyen d'expression (notamment sur les « plateformes » et réseaux sociaux), en incitant (si nécessaire par le boycott) ses fournisseurs potentiels (hébergeurs, universités...) à ne rien lui fournir (vendre, louer, prêter...).
Suite à l’envahissement du capitole le 6 janvier 2021 et à plusieurs tweets du président Trump le 7 janvier 2021, Facebook, Instagram, YouTube, Reddit et Twitter ont tous privé D.Trump d'accès à leur services, et Twitter a désactivé son compte personnel pour avoir continué à tweeter de faux messages sur la fraude électorale.
« Platform » désigne Twitter etc., mais a surtout le sens de tribune où s'exprimer en public.
Dès les années 1970, des étudiants britanniques avaient instauré, sous le nom de « No Platform », un boycott visant à interdire les campus à tout groupe ou individu jugé fasciste ou raciste.
En 2017 U.C. Berkeley avait déprogrammé Richard Dawkins du séminaire sur la biologie humaine en raison de ses commentaires incendiaires sur l'Islam.
Il n’y a pas pour le moment de traduction officielle reconnue en français
L'idée à retenir étant « priver de tribune », les traductions possibles de « deplatforming » sont nombreuses : refuser de donner la parole à, chasser ou bannir (d'un réseau, d'un lieu), mettre à l'index, censurer.
dédié à la culture de l'annulation par la purge de statues de 2020 |
Le de-platforming ou no-platforming est également lié à la Cancel Culture dont il est une méthode d’action.
La « Cancel culture », soit littéralement la culture de l’annulation, consiste à pointer du doigt une personnalité ou une entreprise dont un propos, ou une action, a été considéré comme répréhensible ou « offensant » et à lui retirer son soutien via les réseaux sociaux.
D’autres méthodes d’action consistent en des dénonciations publiques, le boycott, les procès, le déboulonnage de statues le cyber-harcèlement, les sit-in sur la voie publique.
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[1] L’hémophilie fut aussi appelée « maladie royale », étant donné que la reine Victoria du Royaume-Uni a transmis l’hémophilie aux familles royales d’Espagne, d’Allemagne et de Russie. On notera que sans cette maladie, Grigori Raspoutine n'aurait jamais été aussi célèbre qu'il l'a été. Ce dernier aurait réussi à soulager le tsarévitch Alexis (fils de Nicolas II) de ce mal que les médecins de l'époque connaissaient peu. (Source : Wikipedia)
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