...des néolgismes anglais
Nous sommes heureux de retrouver notre contributrice fidèle, Joelle Vuille. Joëlle est juriste et criminologue et habite en Suisse. Toutes les contributions de Prof. Vuille sur ce blogue se trouvent a https://www.le-mot-juste-en-anglais.com/joelle-vuille/
Joëlle fut notre linguiste du mois d'avril 2021
Dans cette contribution, il sera question de blanchiment, dans le sens moralement répréhensible du terme, et qui se décline depuis quelques années en différentes couleurs et arôme de sirop, comme nous le verrons.
Nos lecteurs connaissent certainement les significations conventionnelles du mot “whitewashing”, à savoir blanchir (à la chaux, par exemple) ou dissimuler (une action illicite). Mais le mot est aussi utilisé depuis environ un siècle pour désigner le fait de faire incarner au cinéma des personnages non blancs à des acteurs et actrices d’origine caucasienne. [1] Dès les années 1910, en effet, certains producteurs de cinéma demandent à leurs acteurs blancs de se grimer en noir (« blackface ») ou en jaune (« yellowface ») afin d’incarner des personnages afro-américains ou asiatiques, respectivement. Cette pratique perdurera jusque dans les années 1960, à l’image de Laurence Olivier incarnant le rôle-titre dans Othello, décrit par Shakespeare comme étant un « maure ».
Aujourd’hui, il serait impensable de faire jouer des acteurs et actrices en « blackface » [2]. Pourtant, les comédiens et comédiennes issus des minorités ethniques sont encore souvent cantonnés à des rôles secondaires. Les réalisateurs justifient le fait de construire leurs films autour de personnages centraux blancs par le fait qu’il serait soi-disant impossible d’obtenir des financements si le film n’est pas porté par une superstar du grand écran (encore majoritairement blanche), et que c’est ce que le public voudrait voir. Le même raisonnement s’appliquerait aux acteurs et actrices LGBTQIA+, qui seraient délaissés car ils ne sont pas assez connus. C’est la raison pour laquelle, par exemple, la célébrissime Scarlett Johannsen a été pressentie pour jouer un homme trans dans le film “Rub and Tug”, avant qu’une vague d’indignation du public ne fasse capoter le projet [3].
Mais l’argument de la rentabilité financière est problématique car il est circulaire : les investisseurs souhaitent financer des films portés par des acteurs et actrices connus, qui attireront le public et permettront de générer des revenus. Or, si on n’emploie jamais d’acteurs et d’actrices asiatiques ou trans, ceux-ci n’auront jamais de notoriété, et n’auront donc jamais cette capacité à générer des revenus. À l’inverse, on voit bien que des acteurs et actrices très célèbres comme Halle Berry, Idris Elba, ou encore Laverne Cox, génèrent de très gros revenus lorsqu’ils jouent dans un film. Par ailleurs, une étude menée par l’Université de Californie à Los Angeles a montré que le public souhaite voir de la diversité dans le cinéma ; cette excuse semble donc avoir un fondement empirique peu solide [4].
Qu’il s’agisse d’acteurs blancs qui incarnent des personnages relevant d’une minorité ethnique, ou des actrices cisgenres jouant des personnages trans, le problème est toujours le même : ces acteurs et actrices déjà très connus volent des rôles très rares à des personnes qui sont sous-représentées dans l’industrie du cinéma, et qui ont besoin de cette représentation afin de faire entendre leur voix et normaliser leurs talents.
A partir du mot “whitewashing” a été créé le terme de “pinkwashing”, qui est apparu pour la première fois sous la plume de Sarah Schulman dans le New York Times en 2011 [5].
Le « pinkwashing » désigne l’hypocrisie de certaines institutions, personnes ou entreprises qui semblent prendre le parti des personnes LGBTQIA+, mais le font superficiellement et principalement pour s’attirer la sympathie des clients, alors qu’elles conservent par ailleurs des pratiques qui nuisent concrètement à la communauté LGBTQIA+. Par exemple, on habille son logo des couleurs de l’arc-en-ciel au mois de juin (mois des fiertés), tout en investissant massivement dans une usine en Hongrie, où les droits des personnes LGBTQIA+ sont quotidiennement bafoués.
Le « pinkwashing » est lié au concept d’homonationalisme [6], terme créé par la théoricienne queer Jasbir Puar en 2007. Cette dernière emploie le mot pour désigner l’attitude de certains Occidentaux qui utilisent la défense des droits LGBTQIA+ pour attaquer d’autres communautés sous prétexte que celles-ci seraient homophobes, alors que la motivation véritable de ces personnes seraient racistes ou xénophobes. Par exemple, certains partis européens d’extrême droite, habituellement peu sensibles aux droits des minorités sexuelles, dénoncent l’Islam comme étant archaïque et intolérant aux droits des minorités sexuelles ; il s’agit alors moins de défendre la cause LGBTQIA+ que d’attaquer les musulmans. L’homonationalisme est donc dénoncé comme une hypocrisie, la plus grande tolérance de l’Occident envers les personnes LGBTQIA+ étant instrumentalisée pour discriminer des migrants soi-disant homophobes.
Le « purple-washing » renvoie au violet symbolisant le féminisme, et est aussi appelé « femvertising » en anglais. Le concept est proche du « pink-washing » et de l’homonationalisme, en ce qu’il sert à dénoncer un féminisme de façade, se glorifiant des acquis occidentaux en matière d’égalité entre les genres (toujours pas atteinte) pour dénoncer la condition des femmes qui seraient bien pire dans d’autres parties du globe (notamment dans les pays musulmans). [7]
Pour continuer dans les couleurs de l’arc-en ciel, on parle de « greenwashing » (aussi appelé « ethical-washing », traduit par éco-blanchiment en français) lorsqu’une entreprise axe son discours publicitaire autour d’une action éco-responsable (unique) pour s’attirer la bienveillance du public ou de nouveaux investisseurs, alors que la majorité de ses activités commerciales demeurent très nocives pour l’environnement et/ou les droits de l’homme.[8]
C’est ainsi que de nombreux marques de vêtements – l’une des industries les plus polluantes de la planète - se sont dotées ces dernières années de collections soi-disant respectueuses de l’environnement, qui font l’objet d’un marketing intense, alors que la majorité des vêtements produits par la marque continuent à être fabriquées dans des conditions abjectes.[9] D’autres marques inventent des labels éco-responsables qui n’existent pas, mentent sur la composition des produits vendus, jouent sur les mots (« conçu en France », pour un produit dessiné dans un atelier parisien mais fabriqué en Chine), mettent l’accent sur un aspect positif du produit pour mieux cacher le reste (mention « sans parabens » alors que le produit contient de nombreux autres polluants), soulignent une qualité sans pertinence par rapport à la nature du produit (estampiller « vegan » un produit en polyester), ou encore adoptent des slogans vagues qui n’ont aucune réalité concrète sur le terrain (« nous nous engageons pour la nature ») [10]
Citons encore le « blue-washing », terme très récent qui désigne le fait de s’associer au logo bleu des Nations-Unies et aux valeurs que celles-ci représentent dans le but de promouvoir son entreprise [11]. En cas de « blue-washing », l’entreprise dit publiquement adhérer au « Pacte mondial » de l’ONU et à ses 10 principes fondamentaux, comme l’interdiction du travail des enfants, l’interdiction de l’esclavage, la lutte contre la corruption, la protection de l’environnement, etc., sans toutefois les respecter en réalité, ou pas complètement.
Et pour terminer, sortons du registre des couleurs pour évoquer le « maplewashing », en référence au drapeau canadien et à sa feuille d’érable, qui désigne la propagande culturelle qui voudrait que le Canada serait exemplaire dans son système politique, et notamment dans son traitement des populations autochtones, et aurait donc des leçons à donner, notamment à ses voisins états-uniens, sur la gestion des relations entre communautés ethniques et culturelles [12]. La découverte récente des tombes de près de 1’100 enfants autochtones enlevés à leurs familles au cours du XXème siècle et placés dans des homes gérés par l’État (et l’Église catholique) dans le but de les acculturer à la culture blanche [13] montre que ceux qui souhaitent « blanchir » l’image des institutions canadiennes ont encore du pain sur la planche…
[1] Merriam-Webster Dictionary: A New Meaning of 'Whitewashing' Old word. New meaning.
[2] Il y a toujours des exceptions à la règle. Récemment, un magazine a fait poser en couverture la jeune mannequin caucasienne Ondria Hardin sous le titre « African queen » : White Model Ondria Hardin poses as “African Queen” in Numéro Magazine
[3] Scarlett Johansson, and the old issue of white-washing
[4] UCLA's 2019 Hollywood Diversity Report is hopeful for a more inclusive future in the industry
[6] Homoliberalism is not the answer to homophobic nationalism
[7] Féminisme Washing -
Quand les entreprises récupèrent la cause des femmes
Comment traduire « greenwashing » : écoblanchiment ou verdiment ?
[8] Qu’est-ce que le «greenwashing»? Cinq indices qui vous permettent d’identifier ce procédé
[9] Greenwashing : 5 exemples des pires pratiques en la matière
[10] 12 PRATIQUES DE GREENWASHING ET ETHICALWASHING
[11] After greenwashing, blue-washing?
[12] Uniting against corruption
[13] Maplewashing
[14] Why Canada is mourning the deaths of hundreds of children
Note du blog - réponse d'une lectrice :
Parmi les lecteurs et lectrices qui ont apprécié l'article ci-dessus, figure Mme. Christy Simon, Brand content manager chez Greenly (www.greenly.earth).
Nous attirons l’attention de nos lecteurs et lectrices à l’article intitulé « Le Greenwashing, c’est quoi ? définition et exemples », publié le 13/7/21 sur le site de Greenly.
Lecture supplémentaire :
Le langage des couleurs - un aperçu politique et historique
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