L'article qui suit a été publie en anglais dans le journal londonnien, The Financial Times, et traduit par notre contributrice fidèle, Magdalena Chusciel. Magdalena fut notre traductrice du mois de mars 2013.
Voici un lien a l'article original.
Godfrey Chuo se souvient encore de la réaction de ses élèves du primaire il y a trois décennies lorsque, alors jeune enseignant dans le nord-ouest du Cameroun, il est passé de l'explication des idées en anglais - la langue officielle d'enseignement - à sa langue maternelle, le kom.
« Les enfants étaient tellement excités et motivés », dit-il. « Lorsqu'on enseigne dans leur propre langue, ils travaillent même au-delà de ce que demande l'enseignant. C'est juste fantastique."
En revanche, Chuo a constaté que lorsque les élèves commencent à apprendre dans une langue étrangère, leur éducation ralentit. « Ils apprennent mieux dans leur langue maternelle, la langue du cœur, qui n'est pas apprise mais héritée de leurs parents », constate-t-il.
En fait, dans de nombreux pays à faible revenu à travers le monde, en particulier ceux d'Afrique, il existe un fort chevauchement entre les mauvais résultats scolaires globaux et l'utilisation prédominante d'une ancienne langue coloniale dans les écoles (voir le graphique). Ceci s'applique à l'utilisation de l'anglais, du français, du portugais, de l'espagnol ou de l'arabe.
Alphabétisation par langue d’enseignement, Afrique*
Capable de lire une phrase (%) |
Age en 2018 |
Source : Rajesh Ramachadran, Financial Times
*Echantillon de plus d’un million dans 30 pays africains, avec 5 ans de scolarisation
Certains parents et décideurs pensent toujours que l'immersion dans l'une de ces langues à l'école est essentielle à la maîtrise linguistique et à la réussite futures de leurs enfants. Mais d'autres soutiennent que les élèves ont du mal à apprendre dans une langue inconnue souvent mal parlée par leur propre famille, leur communauté voire même par les enseignants eux-mêmes.
En atteignant une plus grande maîtrise de leur langue maternelle, ils peuvent au contraire gagner en confiance, affirmer leur identité et poser les bases pour développer une capacité d'apprentissage plus profonde, soutiennent les partisans. Cela peut même permettre le passage à une autre langue pour la scolarisation, dans les années primaires ultérieures.
Comme le souligne Barbara Trudell, consultante auprès de SIL, une organisation confessionnelle à but non lucratif qui a soutenu le programme en faveur du kom au Cameroun : « L'anglais est la langue du contenu incompréhensible, de la punition pour les mauvaises réponses, des examens qui déterminent son avenir. La langue maternelle est la langue de la maison, du jeu, du réconfort et de la compréhension. Lorsque les élèves commencent à interagir avec un enseignant dans leur langue maternelle, ils se relâchent visiblement ».
Rajesh Ramachandran, chercheur à l'Université de Heidelberg, a également étudié l'héritage des systèmes coloniaux et observé un effet positif de l'introduction de l'enseignement de la langue maternelle, notamment le kom au Cameroun. « Vous pouvez très bien réussir à scolariser les enfants, mais une fois en classe, il sera difficile de les préparer au monde s’ils peinent à lire une phrase », dit-il.
Les lycéens de retour en classe après les fermetures de la Covid. Les élèves qui commencent à apprendre dans les langues locales peuvent par la suite suivre également des cours dans les anciennes langues coloniales © AFP via Getty Images
Dans une recherche internationale publiée par l'Unesco, Ramachandran a calculé que 69 pour cent des adultes ayant suivi cinq ans de scolarité dans des systèmes utilisant des langues autochtones pouvaient lire une phrase entière, contre 41 pour cent dans les systèmes coloniaux ou mixtes. Tenant compte de l'âge, de la religion et du lieu de résidence, cet écart dans les résultats en littératie est passé de 28 à 40 points de pourcentage.
Ironiquement, les lois de l'ère de l'apartheid conçues pour discriminer les Sud-Africains noirs dans la province du Natal – en insistant sur le fait qu'ils n'apprennent que dans les langues locales – ont eu un effet positif. Ils ont entraîné, dans l’ensemble, un taux d'alphabétisation plus élevé par rapport aux autres provinces du pays.
Depuis lors, d'autres pays ont expérimenté le passage aux langues locales dominantes, au moins au cours des premières années du primaire.
Au Sénégal, par exemple, l'USAID, l'agence d'aide officielle américaine, a suivi l'amélioration des résultats obtenus grâce à Lecture pour Tous, un programme qui propose un enseignement en pulaar, seereer et wolof avant de passer au français pour les élèves plus âgés.
De même, Ben Piper, directeur principal pour l'éducation en Afrique à RTI International, un institut de recherche à but non lucratif, a mesuré des gains importants en matière d'alphabétisation dans les écoles du Kenya qui sont passées de l'enseignement des premières années dans les langues nationales anglais et kiswahili aux langues locales.
Mais Piper prévient qu'il existe peu d'études rigoureuses sur les résultats globaux. De nombreux facteurs peuvent réduire les avantages apparents, notamment la complexité des langues locales, la qualité des enseignants (qui peuvent ne pas les maîtriser) et la qualité souvent médiocre des ressources, y compris les manuels, en particulier dans les langues avec peu de tradition écrite.
D'autres soulignent les difficultés de mise en œuvre dans les pays où se pratiquent plusieurs langues locales, dont le choix peut attiser les tensions ethniques et politiques. Steve Walter, professeur agrégé à l'Université internationale de Dallas, pointe du doigt "un bras de fer politique" au Timor oriental, où il a soutenu un changement mais "des gens influents veulent toujours le portugais".
Néanmoins, Walter voit une évolution vers un intérêt et un débat accrus sur le terrain. « Quand j'ai commencé à assister aux réunions de la Société d'éducation internationale comparée il y a 25 ans, si quelqu'un parlait d'éducation dans la langue maternelle, les gens ricanaient et disaient qu'ils étaient extrémistes », dit-il. « Désormais, 10 à 20 séances seront consacrées à la question. Il y a beaucoup plus d'ouverture. »
L'expérience du Cameroun en matière d'enseignement en langue maternelle dans le nord-ouest a échoué avec une guerre civile qui a entraîné la fermeture des écoles de la région au cours des trois dernières années. Mais Chuo, qui est actuellement basé dans la capitale Yaoundé, reste déterminé.
Il forme une nouvelle génération d'enseignants à ses techniques et espère ouvrir des classes complémentaires de kom aux émigrés. « Les communautés me demandent de revenir et de faire quelque chose », dit-il.
Note du blog : ex Africa semper aliquid novi
Misquotation: ‘Always something new out of Africa’
A proverbial expression, translating the Latin ex Africa semper aliquid novi, used in English from the mid 16th century; since 1937, the phrase has probably also evoked the thought of Karen Blixen’s memoir Out of Africa. The immediate source of the saying is a passage in the Natural History of the Roman scholar Pliny the Elder. Explaining the number of African animals by hybridization (for example, lions breeding with leopards), Pliny explains that this is what gave rise to what he calls a common Greek saying that ‘Africa always brings forth something new.’ The allusion is to a passage in Aristotle’s History of Animals in which he notes that the most numerous forms of wild animals are to be found in Libya, and give the saying ‘Libya is always showing something new.’
From the Oxford Dictionary of Quotations.
Lecture supplémentaire :
Botswana to Introduce 11 local languages in schools
Improving Learning Outcomes through Mother Tongue-Based Education
En Afrique, les langues empruntent les unes aux autre - reportage du Kenya
Je trouve cet article très intéressant.
Le problème, c'est parfois le nombre de langues locales qui se superposent.
Dans la famille de mon mari aux Grisons, le fils de son neveu parlait suisse-allemand à la maison (mère zurichoise), romanche à l'école enfantine, italien avec sa grand-mère (immigrée de la Valteline) et quand il s'agissait d'apprendre à lire, c'était le "bon allemand". Il avait parfois de la peine à s'y retrouver. Mais il me semble bon qu'un retour à la localisation se fasse, sans exclure non plus l'étranger (ou le colon!)
Rédigé par : Elsa Wack | 13/09/2021 à 00:46