- l'apercu d'un anglophone
Un grand nombre de nos lecteurs se sont sans doute heurtés aux obstacles à l’apprentissage de l’anglais, tant écrit que parlé, et ont parfois eu du mal à établir un lien entre les deux. Dans le texte qui suit, nous présentons un aperçu des réflexions inspirées à un Anglo-Saxon (en l’occurrence un Sud-Africain), Denis Hirsten, par ses contacts avec la langue française, telles qu’elles ressortent de son livre Ma Langue au Chat, Tortures et délices d'un anglophone à Paris (Éditions Points, 2017), avec l’autorisation de l’auteur.
Denis Hirson est né en 1951 à Cambridge en Angleterre. Il a vécu jusqu’à l’âge de 22 ans en Afrique du Sud, où son père a passé 9 ans en prison pour ses activités contre le régime de l’apartheid. Il a fait des études d’anthropologie avant de s’installer définitivement en France en 1975. Il a été acteur pendant dix ans, et enseignant d’anglais dans plusieurs établissements, y compris l’École polytechnique pendant vingt ans.
En tant qu’écrivain, il a publié sept livres qui portent sur la mémoire des années d’apartheid, dont, en français, La maison hors les murs (éd. Autrement, 1988) et un recueil de poèmes, Jardiner dans le noir (Le Temps qu’il fait, 2007). Il a dirigé trois anthologies en français, Poèmes d’Afrique du Sud (Actes sud, 2000), Afrique du sud, une traversée littéraire (Philippe Rey/ Institut français 2010) et Pas de blessure, pas d’histoire (Maison de la poésie Rhône-Alpes/ Biennale internationale des poètes en Val-de-Marne, 2013). Son roman The Dancing and the Death on Lemon Street a été publié par Jacana (Johannesburg) en 2011. Ma langue au chat, le premier livre qu’il a écrit directement en français, est sorti aux éditions Points en octobre 2017. Footnotes for the Panther, dix conversations avec l’artiste William Kentridge, paru fin 2017 en Afrique du Sud, a été traduit en français comme À pas de panthère aux éditions Dilecta en 2021.
Photo : Adine Sagalyn.
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- À la fin d’une journée entière passée à s’efforcer de parler français, on a mal à la bouche.
- On se rend compte que la prononciation du u dans tu n’est vraiment pas la même que celle du ou dans vous.
- Sans connaître le genre du mot pizza, on s’obstine à construire une phrase toute entière pour en commander une au restaurant.
- Débordé par tout ce qu’il y a à apprendre, on se blottit contre sa langue maternelle comme contre un parent. On lui trouve des qualités jusque-là insoupçonnées que ne possède évidemment pas la langue française.
- En regardant un film documentaire sur Sartre et Beauvoir, dont on ne comprend pas grand-chose, on remarque tout de même que les deux protagonistes se vouvoient. On se dit qu’on a encore du chemin à faire dans la compréhension des codes linguistiques.
- On ressent un plaisir libérateur à jurer en français avec une violence dont on serait incapable en anglais.
- On tombe amoureux en français.
- On ne veut plus entendre des gens parler anglais. Devant des touristes qui cherchent leur chemin dans cette langue, on fait semblant de ne pas comprendre.
- On tombe des nues en découvrant un jour que même un enfant de trois ans peut se servir du subjonctif.
- On réalise à quel point les Français sont affligés dès qu’on commet une faute de grammaire : ils font une grimace à peine dissimulée, comme s’ils venaient de mordre dans un ver au cœur d’une châtaigne grillée.
- On comprend, grâce à des commentaires sur les prouesses linguistiques du président Mitterrand, à quel point les français admirent celui qui sait utiliser l’imparfait du subjonctif. Voilà donc ce qu’il faut pour devenir président de la République française, l’équivalent, disons, d’un triple axel en patinage artistique.
- Suite à un entretien télévisé de Jane Birkin, on se demande si l’accent d’un anglophone en français peut être aussi chic que celui d’un francophone en anglais. Puis on se résigne à l’idée que, finalement, même en étant anglophone soi-même, on n’aura jamais l’allure de Jane Birkin, ni son accent non plus.
- On se rend compte que son anglais s’appauvrit, le français est en train de le grignoter de l’intérieur, on ouvre la bouche et il en sort du franglais.
- On remplit un constat d’accident en français.
- On réussit sans rougir à convaincre un policier de ne pas poser un papillon sur son pare-brise, en revenant essoufflé du tabac où l’on vient d’acheter une nouvelle carte de parking.
- On rêve en français.
- On compte en français sans y penser.
- On se fait corriger en français par son enfant de cinq ans.
- Les années passent.
- On parvient de temps à autre, mais rarement, à corriger le français de son enfant.
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