Entretien avec Jennifer Croft et Mark Haddon, de la campagne #TranslatorsOnTheCover
L'entretien qui suit a été publié dans numéro no, 6 de Contrepoint (2021 32), la revue du Conseil Européen des Associations de Traducteurs Litteraires. Nous le reproduisons ici avec l'autorisation amiable des interviewés et de la revue.
La Journée mondiale de la Traduction 2021 a vu le lancement de #TranslatorsOnTheCover qui appelle tous les écrivains et écrivaines à demander à leurs éditeurs de faire figurer le nom de leurs traductrices ou traducteurs en couverture de leurs œuvres. Jennifer Croft et Mark Haddon, à l’origine de cette campagne, ont gentiment (et quasiment du jour au lendemain) accepté de répondre aux questions de Contrepoint.
Contrepoint : Comment vous, traductrice et écrivain, avezvous été amenés à lancer ensemble cette campagne ?
Mark : Je connaissais le travail de Jennifer surtout par sa traduction du polonais à l’anglais de Flights, d’Olga Tokarczuk, lauréate du Booker International Prize. Par la suite, j’ai lu son article publié dans le Guardian sur l’invisibilité des traducteurs. Elle y expliquait que leur difficile travail créatif revenait à faire un choix pour chaque mot d’un livre et que par conséquent, leur nom devrait apparaître sur sa couverture. À cette lecture, je me suis senti coupable. En effet, bien qu’en contact avec certains de mes traducteurs (Harry Pallemans aux Pays-Bas, Hamid Dashti en Iran…), j’avais envers la traduction une attitude semblable à celle du monde du livre en général : pour moi, c’était un phénomène invisible, lointain. Mon accès de culpabilité a cependant laissé place à une phase d’éclairement : tandis que les traducteurs n’ont guère le pouvoir de changer le statu quo, les éditeurs, eux, ont ce pouvoir mais pas la motivation. Je me suis dit que si les auteurs se souciaient davantage du traitement accordé à leurs traducteurs, un changement serait possible. J’ai alors demandé à mes agents, Aitken Alexander Associates, si je pouvais peser pour que toute future traduction porte le nom de son traducteur ou de sa traductrice en couverture. Comme ils m’ont assuré de leur soutien, je me suis mis en rapport avec Jennifer et nous avons dressé une liste d’écrivains que nous pensions disposés à agir dans le même sens.
Mais la machine s’est véritablement lancée quand j’ai pris contact avec Nicola Solomon, formidable directrice de la Society of Authors. Nous avons élaboré à quatre mains un manifeste que l’association a adressé par courriel à tous ses membres. Avant même que nous ayons obtenu 1 000 signatures, Pan Macmillan s’engageait à mentionner le nom de ses traducteurs sur ses couvertures.
Quant à Jennifer et moi, nous ne nous sommes toujours pas rencontrés, hormis lors d’une brève réunion tactique en ligne et d’une interview radiophonique réalisée par la BBC de part et d’autre de l’Atlantique. Mais nous nous sommes bien promis de partager un café et un gâteau quand nous coïnciderons dans le même fuseau horaire.
Contrepoint : Comment allez-vous transformer cette énorme vague de réponses positives en conversion avérée de nouveaux éditeurs ?
Mark : La campagne a maintenant [NdlR : début novembre 2021] réuni 2 300 signatures. Nous venons d’envoyer à tous nos soutiens des suggestions de courriers à adresser à leurs agents et/ ou éditeurs, les exhortant à indiquer le nom de leurs traducteurs sur leurs couvertures. Bien entendu, cela ne va pas sans complications. Certaines maisons d’édition campent sur leurs positions, sans qu’aucune n’avance pour autant d’arguments réellement solides. La palme revient à Pushkin Press, qui répond ceci à cette lettre envoyée par les auteurs : « On omet le fait que le traducteur n’est pas l’auteur, dont il conviendrait de connaître l’avis sur la question. » Par ailleurs, il existe évidemment des territoires où l’on traduit des titres commerciaux en masse, en interne et de manière collective. Par conséquent, nombre de ces livres n’ont pas de traducteur attitré. Cependant, si une majorité de nos signataires tiennent la promesse qu’ils ont publiquement exprimée, nous espérons que Pan Macmillan sera le premier de nombreux éditeurs à changer de politique, dans le meilleur des cas pour des raisons éthiques ou, du moins, pour suivre le mouvement.
Contrepoint : Que répondriez-vous aux objections selon lesquelles une rémunération correcte et des contrats équitables importent davantage qu’un nom sur une couverture ?
Jenny : Les contrats deviennent équitables lorsqu’on reconnaît aux traducteurs un rôle de créateurs à part entière. En mettant en avant leur identité, les éditeurs qui mentionnent leur nom sur la couverture de leurs livres prouvent leur engagement en faveur de la reconnaissance de ces professionnels et permettent aux lecteurs d’en faire autant. Si personne ne sait qui est le traducteur ou la traductrice, pourquoi lui verser des droits ? À l’inverse, si tout le monde sait que telle personne a écrit chaque mot de tel livre, a défendu son auteur auprès des éditeurs, agents, journalistes ou fondations ainsi que sur les medias sociaux, a organisé des lectures de ses œuvres… ne devient-il pas évident qu’il faut le payer à la hauteur de ses mérites ?
Traduit de l’anglais par Marie-Christine Guyon
Lectures supplémentaires :
The movement to put translators’ names on book covers is working.
Literary Hub, October 12, 2021
Très intéressant . Il est tout à fait normal - vu que l'auteur étranger n'a pas écrit en français - que le nom du traducteur figure sur la couverture de l'ouvrage qu'il a traduit. Cela semble être une évidence et, pourtant, il a fallu une forte mobilisation des personnes concernées pour que les éditeurs comprennent enfin que sans traducteurs, il n'y aura pas de traductions! Il serait bon aussi que les éditeurs n'imposent pas "leur" titre français qui, plus d'une fois, est sans rapport avec le titre du texte en langue étrangère.
Rédigé par : jean-paul | 19/02/2022 à 00:59