Comment aider nos collègues d’Ukraine ?
par Hanneke van der Heijden, traduit de l'anglais par Corinna Gepner
Hanneke van der Heijden | Corinna Gepner |
L'article qui suit a été publié dans numéro no, 7 de Contrepoint (2022), la revue du Conseil Européen des Associations de Traducteurs Litteraires. Nous le reproduisons ici avec l'autorisation amiable des interviewés et de la revue. (Les images qui figurent ici ne faisaient pas partie de l'article original.) Sa publication ici continue une série de textes [1] que nous avons commencé à consacrer à l’actuelle invasion de l’Ukraine par la Russie (ainsi qu’à l’occupation de la Crimée en 2014). Les médias publient de nombreuses analyses politiques et historiques [2] sur ces questions, mais celles-ci ne portent guère, voire pas du tout, sur les aspects linguistiques de la crise internationale actuelle provoquée par la Russie. Nous espérons que nos lecteurs apprécieront notre contribution au débat.
Parmi tous ceux qui subissent les effets de la guerre en Ukraine, il y a de nombreux traducteurs. En tant que collègues, nous souhaitons savoir concrètement quelle est leur situation et, si possible, les aider. Contrepoint était présent au sommet annuel du CEATL, qui s’est tenu du 18 au 21 mai à Sofia. Trois collègues ukrainiens y avaient été invités à parler du sort dramatique des traducteurs de leur pays.
En direct de l’Ukraine
Le poète, essayiste et traducteur Ostap Slyvynsky, vice-président du PEN Club ukrainien, et Natalia Pavliuk, présidente de l’Association des traducteurs et des interprètes d’Ukraine, l’UATI, nous ont rejoints par Zoom.
Ostap Slyvynsky | Natalia Pavliuk |
La traductrice ukrainienne Oksana Stoianova, réfugiée en Bulgarie, était présente à Sofia. Ils nous ont livré une description impressionnante et émouvante de la situation. Ainsi que Slyvynsky l’a rapporté depuis Lviv, la plupart des éditeurs ukrainiens ont suspendu leur activité. Ceux qui annoncent tout de même des parutions ne sont guère en mesure de publier quoi que ce soit, une grande imprimerie ayant été détruite et les matériaux essentiels tels que le papier faisant défaut pour des raisons de logistique. Indépendamment des multiples épreuves auxquelles tout le monde est confronté, les difficultés des éditeurs placent les traducteurs d’édition dans une situation financière très délicate. C’est particulièrement vrai pour ceux qui n’ont pas d’autres sources de revenus.
Comment les aider?
Nos trois collègues ont suggéré différents moyens d’aider les traducteurs ukrainiens.
S’informer
Le PEN Club ukrainien a créé en anglais un site internet très documenté, qui propose un grand nombre d’informations sur la situation actuelle en Ukraine. Parmi les multiples sources, une série d’entretiens sur Zoom baptisée « Dialogues sur la guerre ». Dans chaque épisode, des intellectuels ukrainiens et étrangers (dont Olga Tokarczuk et Margaret Atwood) parlent de l’expérience de la guerre et partagent leurs observations. Ces entretiens sont consultables sur le site du PEN Club ukrainien et sur Facebook.
Traduire des livres et informer
Le site comporte aussi une liste d’ouvrages récents d’auteurs ukrainiens accompagnée d’informations utiles : ouvrages de non-fiction, romans, mémoires, pièces de théâtre et livres pour la jeunesse. Les rendre disponibles dans d’autres langues pourrait contribuer à mieux faire comprendre la situation.
Du travail pour les traducteurs ukrainiens
Comme l’ont souligné nos trois collègues, la meilleure façon de soutenir les traducteurs privés de travail et/ou qui ont dû fuir leur pays est de leur proposer des traductions. Les associations de traducteurs ou les personnes individuelles pouvant les aider à cet égard en dehors de l’Ukraine trouveront leurs noms et leurs coordonnées dans cette base de données. Par ailleurs, nos interlocuteurs ont suggéré que les associations européennes de traducteurs se manifestent auprès des traducteurs ukrainiens à la fois pour les aider à trouver du travail et à rencontrer des membres du même milieu professionnel. On trouvera un exemple de la manière de procéder sur le site de l’association des traducteurs polonais, la STL. On peut également s’adresser directement au PEN Club ukrainien ou à l’UATI (Ukrainian Association of Translators and Interpreters), qui s’efforceront d’établir le contact avec les traducteurs réfugiés dans d’autres pays. Donner Le PEN Club ukrainien a ouvert avec les PEN Club biélorusse et polonais et l’Open Culture Foundation un compte spécial afin d’aider la communauté des créateurs ukrainiens ainsi que leurs familles (faire défiler pour arriver sur la version anglaise). À l’initiative de l’Institut ukrainien du livre et de la Fédération européenne des éditeurs, des livres pour enfants et pour jeunes adultes seront traduits en ukrainien et distribués gratuitement aux enfants des familles réfugiées. Pour plus d’informations, cliquez ici. L’UATI (Association des traducteurs littéraires d’Ukraine) a également mis en place un fonds de soutien aux traducteurs et interprètes ukrainiens.
Continuer à faire circuler la littérature
Dans ce contexte, on mentionnera aussi #FreeAllWords, le projet du Conseil des écrivains européens (EWC) de faire traduire des textes d’écrivains ukrainiens, biélorusses et d’opposants russes à la guerre dans le plus grand nombre de langues européennes possible et de diffuser leurs œuvres, leurs opinions et leurs témoignages. Ce projet a été lancé à l’initiative de l’Association des autrices et auteurs de Suisse A*dS, de l’association norvégienne Forfatteforbundet et de l’Union des écrivains biélorusses. Le CEATL en est partenaire. Une campagne de seed funding lancée par les fondations Landis+Gyr et Sophie et Karl Binding, toutes deux situées en Suisse, et par la fondation Fritt Ord en Norvège a permis de rassembler 44 000 €. L’objectif est de publier de courts textes, des interviews, des rapports, des essais et des poèmes d’auteurs biélorusses, ukrainiens, et d’écrivains russes opposés à Poutine dans des langues européennes et, au-delà, du monde entier et de les diffuser par de multiples canaux, numériques et autres. Les premiers textes et premières traductions de trente auteurs devraient être publiés dans trente et un pays dans le courant des mois de juin et juillet 2022.
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[1] Reportages précédents :
Mots anglais liés à l'invasion russe - aperçu langagier
Annonce d’emploi sur un site ukrainien
Cannot, may not, will not, should not, must not.............
La guerre en Ukraine - reportage en six langues par un seul journaliste
[2] Le mot français « historique » peut se traduire de deux façons en anglais : historical et historic. Le premier de ces deux termes signifie « à caractère historique » (un roman historique, par exemple), tandis que le second met l’accent sur la portée historique d’un événement (réforme historique, par exemple).
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