Bienvenue à notre tout dernier contributeur, Michael Mould.
Le texte ci-dessous est une version abrégée d'un article qui a remporté le Prix dans la section d'humour du Concours international littéraire de REGARDS, Association artistique et littéraire, situee à Nevers. http://2000regards.over-blog.
Michael a fait ses études (histoire et psychopédagogie) en Angleterre, son pays d’origine. Il est titulaire d’un “honours degree” de l’Université de Londres.
Arrivé en France en 1970, il n’est jamais plus reparti. Il a commencé sa carrière d’enseignant à la prestigieuse école préparatoire aux grandes écoles de Sainte-Geneviève à Versailles. Il est titulaire d’une maîtrise d’anglais de la Sorbonne Paris IV. Pendant 25 ans il fut responsable du Département Langues et Traductions à la Direction Générale de France Télécom à Paris.
Ses lettres et ses articles ont été publiés en Angleterre dans The Financial Times et dans The Linguist (le magazine de l’Institut britannique des linguistes) et en France dans Le Monde, Télérama, Marianne and dans la presse locale, La Provence.
The Routledge Dictionary of Cultural References in Modern French, (Routledge, Londres et New York), constitue un pont culturel entre les francophiles et les anglophiles. Ce livre vient de sortir en sa deuxième édition. Michael a également publié plusieurs ouvrages chez l’éditeur Belin, Paris : l’Anglais à Haute Fréquence, Corporate English et l’Anglais des Ressources Humaines
Michael vit avec son épouse Danielle, dans un petit port de pêche en Provence (Bouches-du-Rhône).
Voici son site internet : https://www.language-lighthouse.com/
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J’étais venu en France en 1970 pour apprendre le français, langue dont je ne parlais pas un mot à l’époque. Je comptais rester un an. Trente-six ans plus tard, je suis toujours là ; la langue française ne s’apprend pas en si peu de temps ! Je ne suis jamais reparti malgré les expériences parfois éprouvantes qui furent les miennes à chaque extrémité du spectre de mon apprentissage ; quand j’étais élève à l’Alliance Française au début, et à la fin, quand j’étais étudiant à la Sorbonne.
Le pauvre Anglais que je suis, était mal préparé à voir d’emblée la différence entre les pommes de terre que l’on fait cuire à poil, au poil où à la poêle ! Compte tenu de la similitude sémantique des verbes « allumer » et « éclairer » à l’infinitif, devrais-je qualifier ma sœur de « éclaireuse » (ce qu’elle fut), ou de « allumeuse » (ce qu’elle ne fut point !) Fille, fillette, malle, mallette, pour quelle raison le mot « salopette » ne serait-il pas le diminutif de salope ! Des questions que le Français ne se pose jamais ; des questions qui empoisonnent la vie de l’étudiant étranger qui tente l’ascension de cet Everest linguistique qu’est la langue française.
Maintes fois on m’a parlé de la logique de la langue française. Un soir, pendant ma première semaine en France, alors que je révisais mes leçons de français, deux collègues sont venus dans ma chambre à Ste Geneviève pour m’inviter à prendre un pot. Devant mon refus, ils insistèrent ; « allez, viens » ! Connaissez-vous une langue où, en n’utilisant que deux mots, on arrive, en même temps, à tutoyer et à vouvoyer une personne tout en lui demandant de faire deux choses diamétralement opposées ? Logique, en effet !
En 1970, j’étais en France depuis peu et mon bagage linguistique ne pesait pas lourd. Je passais quelques jours de vacances avec une correspondante dont les parents possédaient une maison dans la Nièvre. L’un des premiers mots français que j’avais appris, comme tout Anglais, était le mot « baguette ». Mais quelques jours avant mon arrivée à Château de la Tour j’avais appris, dans un laps de temps dangereusement court, deux autres éléments de vocabulaire. Je connaissais « baguette » et voilà que « brochette » et « brochet » s’invitaient dans mon cercle lexical. Le coup de grâce me fut donné par la mère de mon amie lorsqu’elle me demanda, par un dimanche matin ensoleillé, d’aller « en ville » acheter deux baguettes et une brioche. Baguette, brochette, brochet et maintenant brioche ! Je lui fis répéter « deux baguettes et une brioche ». « Deux baguettes et une brioche ». En gagnant le village j’avais perdu et ma brioche et même ma brochette qui à mon insu s’est métamorphosée en brochet. « Deux baguettes et un brochet, deux baguettes et un brochet ». Me voilà à la boulangerie ; J’annonce la couleur ; « deux baguettes et un brochet ». Le vendeur me donne les deux baguettes ; je réclame mon brochet. Il jeta un regard derrière lui par l’épaule gauche, puis par l’épaule droite, avec méfiance comme s’il craignait d’en trouver. Puis la réponse claqua « il n’y en a plus ». Je quittai le magasin et le vendeur me souhaita, à la nivernaise, « bon soir », juste au moment où l’église sonnait neuf heures du matin ! Allez comprendre.
Mon ultime leçon d’humilité me fut donnée à la Sorbonne. La révolution puritaine, la moralité victorienne et les écoles unisexes, ont conduit beaucoup de mes compatriotes dans l’impasse ridicule de la pudibonderie. Ainsi, mes études littéraires en Angleterre avaient été singulièrement amputées de la dimension sexuelle. J’étais mal préparé à faire mes études littéraires à la Sorbonne dans le sillage des évènements de 1968.
Je m’étais inscrit à la Sorbonne Paris IV en troisième année et je n’ai pas pu m’empêcher de sourire en voyant l’un des titres qui figurait au programme de la littérature anglaise ; Tess d’Urbervilles de Thomas Hardy. Je connaissais bien son œuvre poétique et romanesque et surtout son chef d’œuvre « Tess d’Urbervilles » qui fit parti du programme du bac anglais que je passais en 1966 après l’avoir décortiqué deux ans durant. Je me suis dit en moi-même, non sans une certaine suffisance ; « un professeur français, que peut-il m’apprendre sur Tess, un livre que je connais comme ma poche ». Le maître de conférences en question devait me faire comprendre que ma poche présentait des recoins que j’étais encore très loin de connaître.
Le sujet de nos travaux dirigés ce jour-là : la rencontre de Tess et de l’homme qui devait la « déshonorer », la scène au cours de laquelle il force Tess à avaler des fraises. Calquant le contenu de ma présentation sur celle de mon prof d’anglais du bac, je fis ma présentation. Je parlais du brouillard qui tombait au moment de l’agression, brouillard qui masquait une scène que les Victoriens n’auraient pas accepté de voir en tant que telle ; à chacun donc d’imaginer le viol. « Pas mal » je me suis dit en moi-même en regagnant ma place. Le silence qui suivit me fit comprendre que le Maître de Conférences, Mademoiselle Ott, ne partageait pas du tout mon avis. Avec le détachement et la précision gestuelle d’un médecin légiste elle se mit à décortiquer la scène au scalpel de son analyse et à dégager tout le symbolisme dont je ne soupçonnai guère l’existence. Son analyse résonnait comme les douze coups de minuit de Big Ben ; cette expérience devait me donner le bourdon !
DONG : « Bien sûr, la plupart d’entre vous ont compris que la mise en bouche des fraises est une métaphore de la pénétration, de l’acte sexuel ». (Bien sûr mon œil me suis-je dit en moi-même !)
DONG : « Il ne vous aurait pas échappé non plus (mais voyons !) que le fruit en question, la fraise, n’a pas été choisi au hasard ». (Pour moi une groseille à maquereau aurait pu bien faire l’affaire, mais nenni !)
DONG : « La similitude entre la forme de la fraise et la tête du pénis est saisissante ». (Mon dieu !)
DONG : « Ainsi la fraise du séducteur est un symbole phallique puissant, mais j’annonce là une évidence ». (Mais où est ce qu’elle est allée chercher tout ça ?). Toujours abasourdi par cette révélation, je ne voyais pas venir le coup de minuit ;
DONG : « la fraise bien évidemment est un fruit rouge, son jus est la couleur du sang. Le jus qui coule sur les lèvres de Tess symbolise le sang de la consommation de l’acte sexuel, le sang résultant de la rupture de son hymen, symbole de sa virginité perdue ». (Doux jésus, elle le croit en plus ! !)
Aucune annale du bac en Angleterre n’a fait allusion à de telles choses ; mon prof ne m’en avait jamais parlé ; avait-il ne serait-ce que le plus petit soupçon de l’existence de telles explications, qui, à la réflexion, tenaient si bien la route ? Je me suis senti ridicule et légèrement trahi par mon prof d’anglais ; à l’époque du bac j’avais tout de même 18 ans ! J’étais vexé devant mon ignorance de cette dimension métaphorique d’un livre que je me targuais de connaître, et aussi par le fait qu’il a fallu que ce fût une Française qui me l’apprît, une mademoiselle de surcroît !
Pendant mon année de maîtrise, ce fut une autre femme, plus mûre encore celle-ci, qui allait me prendre en charge et s’occuper de mon « éducation ». La Doctoresse Luce Bonnerot fut ma directrice d’études. Elle me faisait penser à feu la reine mère d’Angleterre ; une ressemblance physique étonnante, une distinction et une douceur aristocratique, pas très grande, et un accent anglais parfait. Nous devions choisir le sujet de mon mémoire de maîtrise. Notre choix fut arrêté ; « Undertones of War de Blunden et Memoires of an Infantry Officer de Sassoon, une étude comparative »
Pendant le premier de nos « tutorials », cette petite dame aux allures de Queen Mum allait achever le travail de dépucelage intellectuel entamé une année auparavant par sa collègue. Peu de temps après le début de mon travail de recherche, je lui avais présenté les grandes lignes de mon projet. Sans me prévenir que le combat avait commencé, cette digne grand’mère m’envoya au tapis avec un coup au plexus qui me laissait sans souffle « Jeune homme, vous semblez avoir totalement occulté la dimension sexuelle de la guerre. Et pourtant, la similitude, voire l’identité des mots utilisés dans le domaine sexuel et dans le domaine martial, n’a pas pu vous échapper. (Mon dieu qu’est-ce qu’elle veut dire par-là ?) Devant mon regard qui devait afficher en lettres majuscules « abonné absent » elle poursuivit. « J’aimerais que ce rapport entre le langage du sexe et celui de la guerre soit convenablement mis en lumière » (et « convenable » avec ça !) « Rappelez-vous, jeune homme, dans la Saga des Forsythe, l’héroïne est décrite comme étant « assiégée » par l’homme qui souhaite la séduire ; le mot « assiégé n’est pas fortuit » (ça y est, c’est reparti pour un tour !) « Une ville, comme une femme est assiégée, elle résiste, elle s’affaiblit, elle capitule, elle cède, et comme une femme, elle est prise, on la pénètre, éventuellement, on la viole » ; avec ce coup droit au menton, alors que j’étais à peine relevé, je suis sonné ! Sans me laisser deux secondes pour que je reprenne mon souffle, Queen Mum revint à l’attaque. « Le viol de la ville de Nanjing, par exemple, doit être compris aussi bien au sens figuré qu’au sens propre » (ce n’est pas vrai !). « Les canons mêmes sont d’éminents symboles phalliques ; (doux Jésus !) « d’ailleurs, faisons abstraction de la forme du canon, jeune homme, sur le plan purement lexical, on « tire des salves » mais chez les jeunes ne parle-t-on pas de « tirer un coup ? » ; j’avais choisi ce moment-là pour tomber en catalepsie. Que cette auguste dame me fasse un cours sur l’argot sexuel des jeunes était aussi incongru que la Reine Mère descendant les escaliers de Montmartre sur un skateboard ! J’étais encore dans les cordes quand elle lâcha le coup final. « Mais dans votre approche de la métaphore sexuelle et la guerre, ne vous laissez pas emporter (je me suis dit en moi-même, venant d’elle, quel toupet !) « Un balai, un seau, une pomme…. tout est symbole phallique, utérin ou mammaire si l’on va par-là ». J’étais KO, mis au tapis par une mamie dont l’uppercut de l’analyse ne me laissait aucune chance. Je suis sorti du cours, sonné, déboussolé, déconfit, et encore une fois, un peu honteux. Ainsi, cette année-là, un voile fut levé, et à la réflexion, je m’estime privilégié d’avoir pu passer des moments passionnants avec un directeur d’études d’une si grande qualité. Pour ma maîtrise j’obtins la note « B ». Je crois sincèrement que sur le fond, ce fut un très bon travail, mais j’avoue que sur le plan de la métaphore sexuelle, ma « puissance de feu » devait laisser à désirer Mademoiselle Ott et Madame la Doctoresse Luce Bonnerot m'avaient ouvert les yeux sur des aspects insoupçonnés de mon propre patrimoine littéraire. A ma décharge, j’appris des années plus tard que l’analyse du symbolisme sexuel de la littérature anglaise était très en vogue à la Sorbonne pendant ces années-là. Toujours est-il, le regard que je pose dorénavant sur les asperges et les bananes, ne sera jamais plus tout à fait le même !
Lectures supplémentaires:
Souvenirs d'un kibboutz en France
Étapes dans l’apprentissage de la langue française
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