e n t r e t i e n e x c l u s i f
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Notre invité ce mois a fait ses études (histoire et psycho-pédagogie) en Angleterre, son pays d’origine. Il est titulaire d’un “honours degree” de l’Université de Londres.
Arrivé en France en 1970, il n’est jamais plus reparti. Il a commencé sa carrière d’enseignant à la prestigieuse école préparatoire aux grandes écoles de Sainte-Geneviève à Versailles. Il est titulaire d’une maîtrise d’anglais de la Sorbonne Paris IV. Pendant 25 ans il fut responsable du Département Langues et Traductions à la Direction Générale de France Télécom à Paris.
Ses lettres et ses articles ont été publiés en Angleterre dans The Financial Times et dans The Linguist (le magazine de l’Institut britannique des linguistes) et en France dans Le Monde, Télérama, Marianne and dans la presse locale, La Provence.
The Routledge Dictionary of Cultural References in Modern French, (Routledge, Londres et New York), constitue un pont culturel entre les francophiles et les anglophiles. Ce livre vient de sortir en sa deuxième édition. Michael a également publié plusieurs ouvrages chez l’éditeur Belin, Paris, listés ci-dessous.
Michael vit avec son épouse Danielle, dans un petit port en Provence (Bouches-du-Rhône).
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Quel est votre lieu de naissance et où avez-vous grandi ?
Je suis né dans le comté de Middlesex, en Angleterre en 1947 et j’ai grandi dans une petite ville de ce comté qui s’appelle Mill Hill dans la grande banlieue du nord-ouest de Londres, où j’ai vécu jusqu’à la fin de mes études en 1970.
Quel a été votre parcours universitaire ?
J’ai fait mes études au « college » de St Mark et St Jean, un « college » anglican qui faisait partie (à l’époque) de la faculté de l’enseignement de l’Université de Londres. Je me rendais tous les jours à la Kings Road, Chelsea le centre même de « swinging London » entre 1966 et 1970.
Ma matière « académique » fut l’histoire, avec une spécialisation en histoire socio-économique du 19ème siècle. Il y avait les matières dites « professionnelles » à savoir la psychologie de l’enfance, la psychologie sociale, la philosophie de l’enseignement, la sociologie et l’histoire de l’enseignement. À partir de la deuxième année j’ai pris une spécialisation en psychologie. Chaque année pendant 3 ans il fallait faire un stage pratique dans une école de la région.
Vous étiez venu en France pour apprendre le français. Comment se fait-il que 50 ans plus tard vous êtes toujours là ?
La langue française ne s’apprend pas en une année ! Je me suis inscrit à L’Alliance française. J’avais la possibilité à la fin de ma première année de proroger mon contrat de travail à Ste Geneviève. Je l’ai prorogé à deux reprises. Après avoir vécu trois ans à Paris et à Versailles, il me semblait impossible de retourner en Angleterre. La vie à l’étranger est tellement stimulante. Je me suis rendu compte que mon destin allait se jouer en France.
Pour quelle raison avez-vous choisi de prendre votre retraite dans un petit port de pêche en Provence ?
Mon épouse est originaire de Marseille et, jeune fille, elle a passé de nombreuses vacances dans le village où nous habitons aujourd’hui. Nous avions notre maison secondaire dans ce village et au moment de prendre notre retraite, le choix de ce village s’imposait.
Quel était votre position à France Télécom et en quoi consistait votre travail.
J’étais responsable du Département Langues et Traductions que j’avais créé à la Direction Générale des Télécommunication en 1981. Mon travail portait sur :
La formation en anglais (initialement) du président et des cadres dirigeants de l’entreprise.
La traduction pour les besoins de la présidence et du secrétariat général.
Le management d’une équipe multiculturelle de 12 enseignants - 6 anglais, 3 allemands, et 3 espagnols. Les investissements de FT en Argentina et au Mexique nous ont conduit à proposer des cours d’espagnol, ainsi que des cours d’allemand suite à l’alliance stratégique conclue entre FT et Deutsche Telekom.
La recherche linguistique et pédagogique. Ces recherches ont conduit à la publication de trois livres chez l’éditeur Belin, Paris.
Quels sont les livres dont vous êtes l’auteur ? Décrivez-les brièvement.
Deux des trois livres publiés chez Belin ont été co-écrits avec une collègue de mon équipe, Anne Paquette, un professeur d’un talent exceptionnel.
L’Anglais à Haute Fréquence 1987
L’Anglais des Ressources Humaines 2003
Ces livres étaient destinés à nos étudiants cadres de l’entreprise mais visaient également les élèves en préparatoire. L’aspect fonctionnel et notionnel de la langue a toujours primé dans la conception de nos ouvrages et la maîtrise de l’art de faire des présentations en anglais. Nos élèves étaient souvent appelés à faire des présentations ; le contenu technique était acceptable mais la technique oratoire faisait cruellement défaut. Donc, nous avons beaucoup investi dans le domaine de l’analyse du discours.
Les quatrième et cinquième livres publiés chez Routledge était une ambition que j’avais entretenue depuis très longtemps. En France depuis 5 ans je me suis mis à lire Le Canard enchaîné. Je constatais que ma connaissance de la langue française était insuffisante pour comprendre ce journal. Les mots en eux-mêmes ne posaient pas de problèmes mais je ne comprenais pas la signification de la phrase en question, il y avait des allusions voilées qui m’échappaient totalement. Trente ans plus tard, et à la retraite j’avais le temps de faire des recherches poussées sur les références culturelles du Canard. Pour comprendre le Canard, il faut posséder un très bon bagage culturel: littéraire, biblique, historique, mythologique, théâtral, cinématographique… Il faut de très sérieuses connaissances de la langue française pour saisir les jeux de mots, qui sont légion, sans parler des contrepèteries. Le mot « atmosphère » illustre parfaitement mon propos. Le mot est presque le même mot an anglais. Mes professeurs et mes dictionnaires bilingues ne m’avaient pas appris que le mot « atmosphère » en français :
fait partie de l’un des plus célèbres répliques du cinéma français;
est le mot le plus célèbre jamais prononcé par l’actrice Arletty;
fait partie de la scène la plus célèbre du film l’Hôtel du Nord.
Au début, ne connaissant pas l’œuvre de Fernand Raynaud je ne pouvais pas comprendre pourquoi, lorsque je toussais, tout le monde se mettait à me demander « Pourquoi tu tousses tonton ? »
C’était donc pour donner à l’étudiant étranger de la langue française un raccourci pour acquérir les connaissances qui font défaut dans les cours classiques universitaires et que l’on met des années à comprendre.
Avec mon épouse, nous avons également publié un livre destiné aux profanes sorti en version quadrilingue et portant sur la téléphonie mobile en 1995 « Roaming with GSM ».
Diriez-vous que la langue française s’est détériorée depuis ces 50 dernières années ? Dans quelle mesure attribuez-vous ce phénomène à l’influence négative de la langue anglaise ?
Je me méfie du terme « détériorée ». Si la langue se détériore aujourd’hui, c’est qu’elle se détériore depuis toujours. Cicéron se lamentait de la mauvaise qualité du Latin de son époque ! Chaque siècle pense que le siècle précédant représentait l’Arcadie linguistique… qui n’a jamais existé, soit dit en passant ! Avec le temps une langue se modifie, par ignorance, par paresse, par snobisme, par accident. Par exemple au Moyen Âge, en anglais, l’article indéfini était accolé au mot en question : « a » avec les mots commençant par une consonne et « an » avec les mots commençant par une voyelle. Ainsi le mot « napron » s’écrivait « anapron « . Mais plus tard quand on décida de séparer l’article de son nom, la séparation s’est mal faite et « a napron » est devenu «an apron ». Inversement, toujours au Moyen Âge, le mot pour « salamandre » était ewt. Là aussi l’article indéfini était accolé au mot, soit anewt. Mais quand la séparation s’est opérée plus tard, elle s’est mal faite là encore : au lieu de couper pour que cela donne « an ewt », comme on aurait dû le faire, on a ajouté au nom la lettre « n » de l’article ce qui donne « a newt ».
« Make » était un verbe régulier à l’origine, le prétérit étant « maked »…mais c’est plus facile de dire « made » que « maked » et ainsi de suite…
Les anglicismes constituent, à mon avis, un épiphénomène. N’oubliez pas que 30% des mots de la langue anglaise sont des mots étrangers, français, pour la plupart, ce qui donne à la langue anglaise une puissance et une flexibilité que ne possède pas la langue française, dérivée presque exclusivement des racines latines. Cela dit, il faut que le mot anglais adopté soit justifié. L’emploi du mot « challenge » en français est tout à fait illégitime. Il est plus long que le mot français « défi » qu’il remplace sans apporter un avantage par rapport à la connotation ou à la dénotation. Cela relève, comme c’est souvent le cas, d’une sorte de snobisme linguistique parisien. Par contre, dans le domaine technique, préférez-vous le mot anglais « handover » ou sa traduction française ; « le transfert intra ou inter-cellulaire automatique » qui s’opère lorsqu’un téléphone mobile quitte sa cellule de localisation nominale ! Pour moi, le déclin de la qualité de la langue française peut s’expliquer par quatre phénomènes
Le déclin catastrophique de la qualité de l’enseignement public.
L’utilisation des i-phones/tablettes et les réseaux sociaux où un « ersatz » de la langue s’est imposé.
Le niveau linguistique médiocre des journalistes qui s’adressent à des millions de Français et qui quotidiennement contaminent les téléspectateurs avec leurs « légèrement catastrophique, et « assez unique ».
La correction politique, le « wokism » et l’écriture inclusive constituent des aberrations dangereuses à mon sens surtout lorsqu’on impose cette dernière dans les universités.
Prenant en compte le développement de l’anglais en Grande Bretagne et de la langue française en France, êtes-vous partisan d’une institution telle que l’Académie française pour veillez au bon usage de la langue ou préférez-vous le système britannique du laisser-faire ?
Il n’est pas inutile d’avoir une instance officielle comme l’Académie française mais cela ne correspond pas à la philosophie des Anglais. In fine, une langue déterminera sa propre route. L’Académie française aura beau dire que l’on devrait employer le mot « navire transbordeur », c’est le mot « ferry » qui l’emporte.
Comment passez-vous votre temps maintenant que vous êtes à la retraite.
L’écriture occupe une large part de mon temps. Depuis que je suis à la retraite j’ai publié deux gros livres chez Routledge.
Je lis énormément, mes sujets de prédilection étant la linguistique, la politique, les religions.
La recherche linguistique est omniprésente : A FT j’avais développé un programme destiné à aider nos cadres à faire des présentations en anglais. Depuis que je suis à la retraite, trois de nos petits enfants qui utilisent l’anglais pour des raisons professionnelles m’ont demandé de l’aide dans ce sens. Ainsi, j’ai adapté mon programme initial aux besoins de l’étudiant en sciences de la terre/climatologie, du médecin militaire sur le terrain des opérations, du gestionnaire du patrimoine.
J’ai également réalisé le même programme pour le chirurgien en ophtalmologie (essentiellement pour les pathologies rétiniennes)
Pour réaliser ces programmes je me suis basé sur les documents les plus récents dans chaque domaine ; à cet égard, pour le programme destiné aux médecins militaires j’ai pu bénéficier de l’accès à la base de données de la médecine de l’armée américaine qui est tout simplement remarquable.
Enfin, je donne des cours d’anglais à ma petite voisine âgée de 10 ans. Cela fait 4 ans que nous avons une leçon d’une heure, une fois par semaine. Ayant passé ma vie professionnelle avec des adultes, rencontrer l’esprit d’une petite fille de 6 ans est une expérience pédagogique fascinante.
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