La Fronde des Mots, un livre court, charmant et humoristique écrit par Michael Mould (notre linguiste du mois de septembre 2022), porte sur des mots français qui ne sont plus utilisés ou sont employés de manière impropre. Le charme de ce livre résulte en partie du fait que l’auteur personnifie ces mots, de sorte que chacun d’entre eux prend vie sur les pages du livre et acquiert une identité propre [1]. Nous citons un passage du livre qui exprime la pitié que le malheureux mot feuillir éprouve pour lui-même parce qu’il a été relégué parmi les vieilleries et les termes désuets.
« J’ai l’impression d’être déjà mort, dit Feuillir qui, ayant entendu la conversation, s’était rapproché de nous. Je me sens d’autant plus maltraité que Fleurir continue son petit bonhomme de chemin comme si de rien n’était. Diantre ! Les fleurs fleurissent et les arbres feuillissent, non ? »
Examinons le mot « diantre », tombé lui-même en désuétude.
D’après les sources fournies par Wikipedia [2], [3] et [4], voici l’origine de ce mot :
« Diantre » est une interjection familière et désuète, qui peut être interprétée comme un signe d’étonnement ou d’admiration. C'est une altération par euphémisme de « diable » apparue au XVIe siècle et qui permettait ainsi d'éviter de prononcer le mot « diable ».
Une traduction possible de « diantre » est dickens (dans l’expression what the dickens?), qui est aussi un euphémisme utilisé pour éviter un mot blasphématoire.
La plupart des locuteurs natifs de l’anglais supposeraient probablement, si on les interrogeait, que l’origine du mot dickens est le nom de l’auteur britannique Charles Dickens, [5] mais ils seraient dans l’erreur. Le site Web Londonist explique pourquoi :
« What the Dickens !? » est encore utilisé comme exclamation exprimant une légère surprise. (On peut aussi mentionner “What the heck?”, “What the deuce?”, “What the blazes?” et “What the devil?”.) Mais quelle en est l’origine et qui a forgé cette expression ?
Prenez The Merry Wives of Windsor, pièce écrite par Shakespeare dans les années 1590. Mistress Page s’exclame: “I cannot tell what the dickens his name is...”.
En d’autres termes, cette expression était utilisée plus de 200 ans avant la naissance de Charles Dickens. Elle semble aussi antérieure à l’époque de Shakespeare.
De même, l’utilisation de mots anglais tels que devil et hell était autrefois considérée comme blasphématoire. Il était un temps où « what the hell », autre équivalent de « what the dickens », n’aurait peut-être pas été utilisé en bonne compagnie en raison de scrupules religieux. « Bloody hell » est une autre variante ; les deux expressions auraient été jugées inacceptables, mais aujourd’hui on l’entend à plusieurs reprises dans le film Harry Potter and the Philosopher's Stone (Harry Potter à l'école des sorciers, 2001, classé « PG », soit enfants admis sous réserve de l’appréciation des parents).
De nombreux euphémismes utilisés pour éviter des mots grossiers — par exemple « diantre » en français et « what the dickens » en anglais — ont progressivement cessé d’être utilisés couramment, du moins en anglais, tandis que des mots autrefois jugés grossiers et dégoûtants ont été inclus dans des dictionnaires respectables. On les entend aussi dans des films, alors qu’ils auraient été censurés il y a une ou deux décennies. Signalons en particulier le mot fuck (ou fucking), bien que les âmes délicates continuent d’utiliser les euphémismes effing, freaking ou fricking (ou en anglais britannique frigging). Par exemple, He is a fricking bastard.
Voici ce qu’on peut lire sur le site web World Wide Words :
« Fuck, le mot argotique vulgaire le plus utilisé en anglais, encore capable de choquer même en ces temps tolérants en matière de langage, a toujours fasciné les “étymologistes omniscients”, en particulier ceux qui voient des acronymes partout.»
Le texte humoristique qui fait la promotion du livre “The F-Word (2e édition, 1999) sur Amazon est conçu comme suit : « Généralement considéré comme vulgaire. Classé X. Biiiip. Inconvenant. Ne convient pas aux oreilles chastes. Les enfants sages s’abstiennent d’utiliser ce mot. Obscène. Immoral. Impudique. Indécent. »
Ce texte poursuit sur un ton plus sérieux :
« Existe-t-il un mot qui ait suscité autant de créativité et frappe l’imagination d’autant de personnes? The F-Word contient d’innombrables exemples authentiques et non censurés de ce mot dans tous ses sens aussi variés que crus, à partir de sa première occurrence au XVe siècle…
Cette deuxième édition contient un grand nombre de nouvelles définitions et les exemples inclus proviennent de milliers de sources, en particulier Robert Burns, Norman Mailer, E.E. Cummings, Ernest Hemingway, Liz Phair, Jack Kerouac, Anne Sexton, Playboy et Internet.
Vous apprendrez tout ce que vous avez toujours voulu savoir (ou pas) sur le mot le plus vulgaire de la langue anglaise — tout en étant peut-être le plus créatif. »
Il existe plusieurs théories sur l’origine du mot Fuck. En voici une :
Le mot fut forgé au XVe siècle quand un couple marié devait demander au roi la permission de procréer. Il serait donc l’abréviation de Fornication Under Consent of the King [fornication avec le consentement du roi] (ou parfois Fornication Upon Command of the King [fornication sur ordre du roi]).
Mais le site World Wide Words rejette cette explication étymologique et nous rappelle que le mot tire son origine du moyen néerlandais (fokken), du norvégien (fukka) et du suédois (focka).
Aujourd’hui, au XXIe siècle, ce mot a perdu en partie sa grossièreté et sa capacité de choquer et même des dames de la noblesse pourraient ne pas s’évanouir si elles voyaient ou entendaient le mot fucking, et il en va de même pour “What the fuck!”. Cependant, ex abundanti cautela, ou pour ceux qui ne peuvent adopter ce mot ou d’autres mots orduriers autrefois considérés comme indicibles, nous recommandons l’acronyme WTF (suivi d’un point d’interrogation ou d’exclamation) pour atténuer l’effet. WTF est aussi couramment utilisé dans les textos.
Étonnamment, le mot fuck, utilisé pour la première fois en 1630 environ, comme l’indique le graphique (NGram Viewer de Google) présenté ci-après, a atteint le sommet de sa popularité (0,0009%) vers 1650, et est ensuite descendu de façon irrégulière jusqu’en 1825 ; ensuite, il a cessé d’être utilisé pendant plus de 125 ans. En 1950, il a fait sa réapparition et a atteint maintenant un nouveau sommet (environ 0,00055%).
L’une des raisons de la plus grande fréquence de l’utilisation de mots autrefois considérés comme verboten est le fait que les dictionnaires ont évolué : ils sont devenus plus descriptifs que prescriptifs. En fait, le dictionnaire Merriam-Webster a indiqué ce qui suit :
« Le présent dictionnaire est descriptif en ce sens qu’il a pour objet de décrire la façon dont les mots sont utilisés par ceux qui parlent et écrivent l’anglais. D’une manière générale, selon l’approche descriptive en matière de lexicographie, il ne s’agit pas de prescrire la façon dont les mots doivent être utilisés ni d’énoncer des règles concernant l’anglais « correct », contrairement à ce qui se pratique selon l’approche prescriptive. »
Maintenant que « diantre » est devenu vieillot, les Français sont-ils devenus plus audacieux, moins restrictifs, ou les gros mots français se limitent-ils à merde, zut et putain.
Jonathan Goldberg | René Meertens |
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1. Depuis les oubliés (Inactuel, S’abeausir, et Feuillir) en passant par les abusés (Conséquent, Achalandé, Pute et Serein) et les anti-anglicismes, (Défi, Succès en librairie et bien d'autres) on débouche sur les grands incompris (Inflation, Dette et Monnaie) pour finir avec les travestis linguistiques que sont Démocratie, Information, Journalisme, Révolution et Liberté. La parole est donnée à certains mots tels « corruption », qui se plaignent de leur mauvaise utilisation dans le domaine politique et expriment alors des idées très hostiles à ceux qui nous dirigent.
2. 1718 Le Roux: Dictionnaire Comique Satirique Critique Burlesque Proverbal
3. https://www.cnrtl.fr/definition/diantre,
4. Louis-Nicolas Bescherelle (aîné),Dictionnaire national ou grand dictionnaire classique de la langue française, Simon, 1845
5. Charles Dickens a forgé huit expressions anglaises :
abuzz (dans A Tale of Two Cities); butterfingers (dans The Pickwick Papers); the creeps (dans David Copperfield)
David-may-care, flummoxed & sawbones (tous dans The Pickwick Papers); on the rampage (Great Expectations); sassigassity (A Christmas Tree). Source: https://proofed.com/
ANNONCE : Notre linguiste du mois prochain sera Bernard Cerquiglini. Un entretien avec lui vient de paraître dans le numéro de novembre de la revue bilingue FRANCE-AMÉRIQUE. La rédaction a aimablement ajouté les mots suivants: « Cet entretien a été réalisé à l’initiative de Jonathan Goldberg, animateur du blog Le mot juste en anglais, qui se présente comme un pont entre le monde francophone et la culture anglo-américaine ». L’entretien sera reproduit prochainement dans ce blog.
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