Il y a exactement 75 ans aujourd'hui, Antoine de Saint-Exupéry, aviateur et écrivain, disparaissait au cours d'une mission de reconnaissance dans le ciel de France.
Notre fidèle contributrice Cynthia Hazelton nous dit comment naquit et s'élabora le chef-d'œuvre universel qu'est le Petit Prince. Cynthia est titulaire d'un diplôme de droit et exerce la profession de traductrice juridique. Elle enseigne également la traduction juridique français/anglais à Kent State University (Ohio).
Jean Leclercq a traduit le texte rédigé par Cynthia.
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Là où naquit le Petit Prince
En avril 2017, Le Petit Prince est devenu le livre le plus traduit dans le monde, exception faite de la Bible (qui est en course depuis bien plus longtemps). Il existe maintenant en 300 langues. [*] Ce charmant petit livre, aimé des enfants tout autant que des adultes du monde entier, est, en fait, une histoire très française. Saint-Exupéry y décrit la solitude et l'absurdité de la vie des adultes, axée sur le travail et la consommation, en opposition à la sagesse et à l'émerveillement de l'enfant face au monde naturel. Mais savez-vous où a été écrit ce classique ?
D'abord, un peu de contexte. Antoine de Saint-Exupéry est né en 1900, dans une famille de l'aristocratie lyonnaise. Encore jeune adolescent, il reçut le baptême de l'air et eut le coup de foudre pour l'aviation. Pendant son service militaire obligatoire, il fut d'abord mécanicien puis apprit à piloter, obtenant finalement son brevet de pilote militaire en 1921.
Il quitta l'armée en 1922, et commença à rédiger des récits de son vécu aérien. Pouvait-il alors prévoir que ses deux passions, voler et écrire, détermineraient le cours de son existence ? En 1926, Saint-Exupéry entre à l'Aéropostale, une société pionnière de la poste aérienne qui fut aussi la première à relier la France à l'Amérique du Sud. Transportant le courrier entre la France, l'Espagne, l'Afrique du Nord et l'Amérique du Sud, Saint-Ex commença à écrire des romans dont les héros étaient des pilotes. Ses voyages ne lui inspirent pas seulement des récits d'aviation, ils lui donnient aussi des idées pour son travail. Le puits auquel il fait allusion (« Ce qui embellit le désert » dit le Petit Prince, « c'est qu'il cache un puits quelque part »), c'ést celui de la maison de sa jeunesse à Lyon, les baobabs sont ceux de Dakar, et les volcans, ceux de Patagonie.
En 1927, il est nommé chef d'escale à Cap Juby, au Sahara espagnol. C'est là qu'il écrit son premier roman, Courrier sud. Il remporte son premier vrai succès littéraire en 1931, avec la publication de Vol de nuit, ouvrage couronné par le Prix Femina.
Bien qu'il ait survécu à plusieurs accidents d'avion qui lui laissèrent des séquelles invalidantes, la passion de Saint-Ex l'incita à tenter. en 1935, de battre le record de vitesse entre Paris et Saïgon Quand son avion s'écrasa dans le désert égyptien (à 180 km à l'ouest de Wadi-Narroun), Saint Exupéry et son mécanicien, René Prévot, errèrent dans le désert pendant trois jours. Mourant littéralement de soif, ils furent recueillis par un bédouin. Par la suite, cette aventure lui inspira très certainement le décor naturel du Petit Prince.
Lorsque les troupes allemandes envahirent la France, en 1940, Saint-Exupéry reprit du service dans l'armée de l'air, pour effectuer des missions de reconnaissance. Après l'armistice, il s'exila à New York. où il s'employa à convaincre les États-Unis d'entrer en guerre contre l'Axe. Les 28 mois passés à New York furent une période à la fois productive et destructive de sa vie.
L'intermède new yorkais
En janvier 1941, Saint-Exupéry s'installa dans un appartement du 240 Central Park South où, en novembre, il fut rejoint par sa femme, Consuelo Suncin, une écrivaine et artiste salvadorienne. De toute évidence, leur vie conjugale fut une longue suite d'infidélités, de querelles et de fréquentes séparations. C'est probablement pour cette raison que Saint-Ex passa une bonne partie de son temps au 3 East 52nd Street, où vivait son ami artiste Bernard Lamotte.
Saint-Exupéry avait confié à ses amis qu'il ne resterait que quatre semaines à New York, mais, en réalité, il y passa 28 mois pendant lesquels il écrivit Pilote de guerre et Lettre à un otage. Si bien que ses années new-yorkaises furent professionnellement fécondes, mais difficiles sur le plan personnel. Outre les turbulences conjugales, il souffrait de ne point parvenir à entraîner les États-Unis dans la guerre et de venir ainsi au secours de la France. À cela s'ajoutait la difficulté qu'il avait à parler l'anglais. Il n'aimait pas s'exprimer en public et déclinait les invitations à s'adresser à des publics universitaires, comme d'autres expatriés français l'avaient fait avant lui. [1] En outre, les nombreux accidents d'avion dont il avait réchappé au cours des deux décennies précédentes lui avaient valu des séquelles qui fragilisaient sa santé. Il détestait le tempo rapide de la vie new yorkaise.
À la fin du printemps 1942, les Saint-Exupéry passèrent plusieurs semaines à Québec, séjour assombri par les tensions psychologiques et la maladie. Si bien qu'ils revinrent à New York où Sylvia Hamilton Reinhardt, l'épouse française de ses éditeurs, incita Antoine à écrire un livre pour enfants. Elle espérait que le changement de sujet lui apaiserait l'esprit, tout en rivalisant avec la nouvelle série des aventures de Mary Poppins, ces livres d’enfants qui avaient du succès en Angleterre. Pour réaliser ce nouveau projet, Antoine dut souvent travailler à son manuscrit chez ses amis Reinhardt sur Park Avenue. Il le termina en octobre 1942.
Alors qu'il s'apprêtait à partir pour l'Afrique du Nord avec un convoi militaire américain, pour reprendre du service comme pilote de reconnaissance, Saint-Exupéry se présenta un jour chez Mme Hamilton-Reinhardt, en uniforme. « J'aurais voulu vous remettre une splendeur » dit-il, « mais, c'est tout ce que j'ai », [2] , et il jeta un sac en papier froissé sur la console du vestibule. Dans le sac, se trouvait le manuscrit, rédigé à la main, et les dessins du Petit Prince.[3] Ce manuscrit est actuellement conservé à la Morgan Library and Museum, à New York.
Retour au service actif
Au début de 1943, Saint-Exupéry rejoignit la Tunisie où il réintégra l'armée de l'air française que l'on reconstituait alors, en l'équipant de matériel américain. Après un cycle de formation (il n'avait plus piloté depuis trois ans), il put rejoindre son groupe de reconnaissance de la bataille de France, le 2/33, alors stationné à Alghero, en Sardaigne. Le 31 juillet 1944, il décolla de l'aérodrome de Poretto (Corse) pour une mission de reconnaissance dont il ne revint jamais. En septembre 1998, alors qu'il pêchait au large de Marseille, un patron pêcheur français trouva dans son chalut une gourmette en argent portant gravés les noms d'Antoine, de Consuelo ainsi que des éditeurs new -yorkais de Sain- Exupéry. En mai 2000, un plongeur localisa l'épave d'un Lockheed P-38, le type d'appareil que pilotait Saint-Ex lors de sa dernière mission. Les numéros de fabrication des pièces repêchées montrèrent qu'il s'agissait bien de l'avion en question. Si les restes de Saint-Exupéry n'ont jamais été retrouvés un monument à sa mémoire n'en a pas moins été érigé à Carqueiranne (département du Var).
Maintenant vous savez que Le Petit Prince, ce garçonnet français devenu une icône, dont les aventures dans le désert et les astéroïdes ont diverti et instruit enfants et adultes du monde entier, a effectivement vu le jour à New York.
[*]
mandarin | japonais | hebreu |
[1] Saint-Exupery in New York - Modern Language Notes
[2] & [3] The Little Prince - a New York Story
Note historique - Jean Leclercq
Divonne-les-Bains, petite station thermale française à la frontière suisse, n'en a pas moins le privilège d'être l'une des piles du pont que Le Mot juste entend jeter entre les cultures. Mais, autre fleuron, elle a peut-être été un jalon dans la vie d'Antoine de Saint-Exupéry, en éveillant sa vocation d'aviateur. En effet, avant la Première Guerre mondiale, la comtesse de Saint-Exupéry venait prendre les eaux à Divonne, accompagnée de ses enfants. À cette époque, l'un des hôtels de la ville était le Paris-Rome dont le propriétaire, Charles Vidart, était le fils du fondateur de la station. Les Vidart avaient un fils, René (né à Divonne en 1890), qui était déjà un aviateur célèbre. Volant sur un monoplan Deperdussin [4], aux lignes étonnamment modernes, René Vidart avait déjà remporté plusieurs compétitions. Il avait dix ans de plus qu'Antoine et il est permis de penser que sa personnalité iconique ait pu inspirer ou renforcer la vocation du jeune garçon. Celui-ci reçut très tôt le baptême de l'air, au terrain d'aviation d’Ambérieu-en-Bugey, non loin de Divonne.
monoplan Deperdussin | René Vidart |
Quant à la disparition de Saint-Exupéry, elle alimenta les hypothèses les plus folles. Certains émirent l'idée d'un suicide. Comme si, atteint par la limite d'âge et fort déprimé, Saint-Ex ait voulu, selon une expression qu'il avait lui-même utilisée, « trouver la paix dans la mort ». Au retour de sa dernière mission, Antoine aurait voulu, comme Guillaumet et Mermoz, mourir aux commandes. Des « survivantistes » prétendirent qu'il avait été fait prisonnier et mis au secret. Puis, qu'il s'était caché dans un monastère, autre façon de rechercher la paix intérieure. D'ailleurs, en se basant sur son plan de vol, on le chercha beaucoup plus à l'est, au large de Nice ou dans la baie de Saint-Tropez. C'était oublier que Saint-Ex prenait des libertés avec ses plans de vol. Puis, on retrouva la gourmette qu'un bijoutier new yorkais avait fabriquée en deux exemplaires, un pour chacun des époux. Avant de se quitter, les Saint-Exupéry avaient échangé leurs gourmettes, de telle sorte que, celle retrouvée le 7 septembre 1998, appartenait à Consuelo. Quant à l'épave du P-38 localisée en mai 2000, près de l'île de Rion, au large de Marseille, les numéros des pièces repêchées montrèrent qu'elles appartenaient bien au P-38 immatriculé F5-B 223 que Saint-Ex pilotait le 31 juillet 1944. Une fois cette certitude acquise, un ex-pilote de la Luftwaffe, Horst Ruppert, sortit de l'ombre pour dire qu'il avait effectivement abattu un P-38 ce jour-là, au large de Marseille. Il ajouta qu'étant un grand admirateur de Saint-Exupéry, il n'aurait pas tiré s'il avait su que cet appareil - qui volait à 3.000 mètres en-dessous de lui - était celui de l'auteur du Petit Prince.
[4] Armand Jean Auguste Deperdussin (1864-1924)
Lectures complémentaires
- Stacy Schiff : Saint-Exupery, a Biography (Knopf)
- Paul Webster. Saint-Exupéry, Life and Death of Little Prince. London, Macmillan London Limited, 1993. (Traduction française de Claudine Richetin : Saint-Exupéry. Vie et mort du petit prince. Paris, Editions du Félin, 1993.)
Curtis Cate. Antoine de St Exupéry: His Life and Times. (Athena Publishing)
Consuelo de Saint-Exupéry. Lettres du dimanche. Paris, Plon, 2001.
- John Gillespie Magee, Jr. 1922 – 1941 Antoine de Saint-Exupéry 1900 – 1944
- Sur l'aviation française dans la Grande guerre, voir la note historique - https://bit.ly/2JI9EUJ
= Des aviateurs français ont-ils traversé l'Atlantique avant Charles Lindbergh ?
(1 heure 48 minutes)
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