L'article qui suit a été traduit par notre contributrice, Isabelle Pouliot. Isabelle est membre de la NCTA (Northern California Translators Association) et ancienne résidente de la région de San Francisco. Elle est traductrice agréée de l'anglais vers le français de l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ). http://traduction.desim.ca
Comme bon nombre d’universités américaines d’aujourd’hui, l’Université du Michigan veut faire savoir à sa population qu’elle est déterminée à défendre la diversité, l’équité et l’inclusion.
Une lettre du responsable de la diversité envoyée à tous les étudiants, employés et membres du corps professoral a néanmoins laissé entendre une tout autre chose. Ce responsable a écrit que l’université doit « renouveler son engagement à faire progresser l’antiracisme, l’anticapacitisme, l’antisémitisme, l’équité entre les genres et à créer un milieu réfractaire à l’inconduite sexuelle. »
L’ajout du mot « antisémitisme » dans une énumération de termes que l’université veut « faire progresser » a suscité des réactions immédiates.
L’erreur était évidente : même si le mot « antisémitisme » a le même préfixe « anti », sa signification est la haine du peuple juif, alors que les autres termes ont comme point commun de combattre la haine et la discrimination.
L’Encyclopedia Britannica propose cette définition de l’antisémitisme : hostilité ou discrimination envers les Juifs, à titre d’adeptes du judaïsme ou de membres d’un groupe ethnique. Le mot antisémitisme a été inventé en 1879 par l’activiste Wilhelm Marr pour désigner les campagnes contre les Juifs qui avaient cours à cette époque en Europe centrale. Même si ce terme est désormais d’usage courant, il s’agit d’une impropriété (misnomer en anglais) selon l’Encyclopedia Britannica, puisqu’il dénote une discrimination contre tous les Sémites. Cependant, les Arabes et d’autres groupes sont aussi des peuples sémitiques, mais ils ne sont pas la cible de ceux qui font preuve d’antisémitisme comme on le conçoit généralement. L’antisémitisme nazi, dont le point culminant a été l’Holocauste, avait une dimension raciste, puisqu’il ciblait les Juifs en fonction de supposées caractéristiques biologiques et les Juifs qui s’étaient convertis à d’autres religions ou nés de parents convertis. Ce type de racisme antijuif remonte seulement au 19e siècle et est lié au « racisme scientifique » de cette époque et sa nature diffère des anciens préjugés antijuifs.
L’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) a adopté à sa séance plénière du 26 mai 2016 la définition opérationnelle (sic) suivante de l’antisémitisme :
L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte.
L'article qui suit à ete traduit, a partir d'un texte paru sur le site Word Genius, par notre fidèle collaboratrice, Isabelle Pouliot. Isabelle est membre de la NCTA et ancienne résidente de la région de San Francisco. Elle est traductrice agréée de l'anglais vers le français de l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ).http://traduction.desim.ca
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Bien des langues ont des accents pour guider la prononciation, mais l’anglais fait bande à part. Sauf pour quelques exceptions, l’anglais utilise peu d’accents. Pourquoi l’anglosphère est-elle si frileuse lorsqu’il s’agit d’utiliser des accents?
Exercer son esprit diacritique
Ce qu’on appelle des accents dans la langue courante sont des « signes diacritiques ». Ce sont de petits signes ajoutés aux lettres pour en modifier le son.
Certains mots anglais ont des accents et la plupart sont des emprunts d’une langue étrangère, entre autres, de l’allemand ou du français. Voici quelques exemples des principaux accents en usage en anglais :
Accent aigu
Accent grave
Tréma
Accent circonflexe
Cédille
Tilde
café
à la carte
doppel- gänger
château
façade
jalapeño
fiancé (et fiancée au féminin)
crème
naïve
crêpe
façade
piñata
résumé
vis-à-vis
Brontë
maître d’
açai
quinceañera
Emploi des accents en anglais
L’usage est flottant selon les dictionnaires ou guides de rédaction, mais, dans la plupart des cas, l’orthographe standard accepte les deux versions, avec ou sans accents. Parfois, la préférence va à l’orthographe sans accents.
En anglais, l’accent est généralement abandonné sauf si l’accent aide à distinguer un mot d’un autre ayant la même orthographe, mais un sens différent. Un bon exemple est resume et résumé. Le premier mot signifie « reprendre » alors que le second est un synonyme de curriculum vitae. Les accents permettent de distinguer le sens des mots et la prononciation.
Examinons la phrase suivante :
Zoe and Chloe ordered a souffle with a rose while discussing the latest expose at the cafe.
L’ajout d’accents faciliterait-il la lecture? Pour les mots Zoe, Chloe, souffle et cafe, l’ajout d’accents ne clarifierait rien pour un anglophone, alors que des accents pourraient aider les lecteurs à faire la distinction entre rose (une fleur) et rosé (un vin) et entre expose (« révéler ») et exposé (« rapport »).
Zoë and Chloë ordered a soufflé with a rosé while discussing the latest exposé at the café.
C’est pourquoi de nombreux mots ont perdu leur accent lorsqu’ils ont été intégrés à l’anglais si cet accent n’est pas « utile », notamment élite, début et hôtel. Par contre, le magazine The New Yorker emploie le tréma pour faciliter la ponctuation de voyelles doubles, comme dans coöperate et reëlect.
Pourquoi l’anglais est-il sans accents?
Alors, pourquoi l’anglais est-il encore sans accents pour ce qui est des mots qui ne sont pas des emprunts? L’origine de cet usage remonte probablement à l’invention de l’imprimerie à caractères mobiles au 15e siècle. Les premiers imprimeurs ont laissé tomber les accents pour de nombreux mots et les accents ont été abandonnés à mesure que la prononciation s’est standardisée.
De nos jours, les claviers anglais ne sont pas configurés pour ajouter facilement des accents et des trémas (même si la fonction de correction automatique peut résoudre cet obstacle). C’est pourquoi la plupart des dictionnaires et guides de rédaction permettent l’orthographe sans accents à moins qu’il n’y ait un motif évident de les laisser. Aujourd’hui, comme hier, la technologie change la donne.
L'analyse qui suit a été rédigée à notre intention par notre fidèle collaboratrice, Isabelle Pouliot. Isabelle est membre de la NCTA et ancienne résidente de la région de San Francisco. Elle est traductrice agréée de l'anglais vers le français de l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ). http://traduction.desim.ca
En juin 2020, la revue scientifique Nature a publié une lettre rédigée par plusieurs chercheurs intitulée « COVID-19 lockdown allows researchers to quantify the effects of human activity on wildlife ». Dès le début de la lettre, après le chapeau et le premier paragraphe, un encadré attire l’attention des lecteurs, notamment des langagiers, puisqu’il s’intitule Introducing anthropause. L’explication de l’origine de ce néologisme est la suivante [notre traduction] : « Nous proposons ‘anthropause’ pour désigner tout particulièrement un ralentissement mondial considérable de l’activité humaine moderne, notamment des voyages. Nous savons que le préfixe approprié est anthropo (‘être humain’), mais avons opté pour une version plus courte, laquelle est plus simple à mémoriser et à utiliser, et où la syllabe po tronquée se retrouve dans la prononciation de pause. »
Ce terme est le même en français et en anglais (et antropausa en italien), mais les francophones constateront l’importance de bien prononcer le mot pour éviter toute confusion avec andropause….
Les scientifiques signataires de la lettre voulaient attirer l’attention sur l’importance d’étudier les interactions entre les populations humaines et animales puisqu’il existe désormais une interdépendance inégalée entre ces groupes.
L’explication sur la genèse de ce terme est très intéressante, mais nous laisse un peu sur notre faim. Pour en savoir plus, j’ai communiqué par courriel avec deux des signataires, deux scientifiques de renom qui, malgré leur emploi du temps bien chargé, ont répondu rapidement à mes questions.
Yan Ropert-Coudert[1] est directeur de recherche au Centre d'études biologiques de Chizé (lequel fait partie du Centre national de la recherche scientifique, CNRS, en France) et directeur du programme de recherche Antarctique, qui étudie les prédateurs marins.
D’emblée, il fait un aveu surprenant : « Tout d'abord, je suis content que ta question porte sur le mot plutôt que sur le contenu pour une fois. Les gens ne se rendent pas compte que le travail d'un chercheur l'amène souvent à créer de nouveaux mots ou de nouvelles expressions. (…) Entre les projets pour lesquels il faut maintenant impérativement trouver un acronyme, les espèces nouvelles ou les phénomènes qu'il faut identifier... les talents néologistes des chercheurs ont de quoi s'exprimer. »
Alors que j’étais étudiante en traduction à l’Université McGill de Montréal, au tournant des années 2000, un professeur avait dit en classe que la création de néologismes était rare dans une carrière de traducteur, mais qu’il fallait bien connaître les suffixes et préfixes d’origine latine ou grecque pour être prêt à toute éventualité. La petite histoire derrière anthropause en est un bon exemple, comme l’explique M. Ropert-Coudert : « "anthropause" est du fait de Mark Johnson, l'un des auteurs de l'article. Il a pensé à ce mot en relisant quelque part le mot anthropocène. »
Anthopocène est aussi un mot plutôt récent, qui remonte à l’an 2000. Paul J. Crutzen, Prix Nobel de chimie, et Erik Stoemer ont donné le nom d'anthropocène [2] à l'ère géologique dans laquelle nous vivons, une nouvelle époque géologique définie par l'action de l'humain. Anthropo signifie ‘être humain’ et cène, ‘récent’.
L’air du temps, ingrédient secret de la néologie
J’ai demandé au Professeur Mark Johnson de m’expliquer comment il en est arrivé à cet anthropause. M. Johnson est agrégé supérieur de recherche du Scottish Oceans Institute de l’Université de St Andrews en Écosse.
« Les mots et la manière dont ils se diffusent m’ont toujours fasciné et je suis ravi d’avoir apporté une petite contribution, même fortuite! Comme l’explique l’auteur principal de l’article, Christian Rutz, dans l’encadré, anthropause est un mot-valise assumé.[3] Le préfixe anthropo est un terme en vogue en biologie animale en ce moment, avec des mots comme anthropocène et anthropogenic. [4] Compte tenu de ce que nous ressentions tous plus tôt cette année, comme si la vie prenait une pause, les mettre ensemble coulait de source. Et c’était évident dès le départ qu’il fallait parler d’anthropause, plutôt que d’anthropopause, qui est plus logique, mais aussi un virelangue. Ce mot m’est venu à l’esprit au printemps et lorsque Christian a communiqué avec moi au sujet de l’article qu’il prévoyait écrire, je lui ai dit ʺJe sais comment tu vas l’appeler!˝. J’ai bien peur que ce soit tout ce qu’il y a dire là-dessus. »
Néologie, quand tu nous tiens
Ropert-Coudert est l’auteur d’un autre néologisme désormais fort usité, bio-logging : « Je promeus activement bio-logging, qui consiste à attacher des enregistreurs de données à des espèces en liberté afin de surveiller leur biologie et les paramètres physiques de leur environnement immédiat. » [5]
Il raconte qu’en 2003, son laboratoire Prédateurs supérieurs du National Institute of Polar Research de Tokyo devait nommer une conférence qui portait sur « les appareils enregistreurs miniatures embarqués sur ou dans les animaux et qui enregistrent les données biologiques de l'animal, les données physiques du milieu dans lequel il évolue et l'interaction entre les deux! Un titre de conférence comme celui-là n'aurait jamais attiré les foules. Nous avons donc planché plusieurs jours sur un mot, une expression qui pourrait synthétiser tout cela... Rien ne venait. Le soir avant que le grand patron n'aille déposer la maquette de la conférence au Ministère pour y quémander des sous, je faisais la vaisselle dans notre appartement de Tokiwadai dans la banlieue nord-ouest de Tokyo, et là, paf, l'illumination: "Bio-logging", logging venant du "log", le carnet de bord des marins qui consignent tout ce qu'ils voient. » C’est ainsi qu’à la suite de cet International Symposium on Bio-logging Science, le mot est passé dans l’usage de nombreuses disciplines scientifiques, et non seulement en biologie.
Parmi les néologismes ou termes ayant eu un élargissement de leur aire sémantique en 2020, il y a anthropause, confinement et déconfinement, supercontaminateur, présentiel, couvre-visage, gestes barrière ou dans un registre plus familier, covidiot, apéro virtuel, quatorzaine. Comme on peut le constater, les voies de la néologie sont maintenant variées et sous l’influence des réseaux sociaux, certains termes se diffusent très vite et illustrent la vitalité de la langue française.
[4] Anthropogenic : Se dit des phénomènes qui sont le résultat de l'action directe ou indirecte de l'humain. En français, cette notion s’exprime dans le mot anthropique. Contrairement au terme anglais anthropogenic, l'adjectif français anthropogénique n'a pas le sens de « provoqué par l'action de l'homme », mais plutôt celui de « relatif à la genèse de l'espèce humaine ». Source : Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française, fiche 17489311.
L'analyse qui suit a été rédigée à notre intention par notre fidèle collaboratrice, Isabelle Pouliot. Isabelle est membre de la NCTA et ancienne résidente de la région de San Francisco. Elle est traductrice agréée de l'anglais vers le français de l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ). http://traduction.desim.ca
Au printemps 2019, notre blogueur, Jonathan G., m’a fait parvenir une édition bilingue de l’ouvrage de Jhumpa Lahiri, In Other Words/ In altre parole.Jhumpa Lahiri est une autrice [1] américaine qui a décidé de réorienter sa carrière littéraire et d’écrire en italien, une langue qu’elle a apprise tardivement, à l’âge adulte. Son récit, In altre parole, traite de l’apprentissage des langues – Mme Lahiri a le bengali comme langue maternelle et l’anglais comme principale langue de communication (puisqu’elle est née aux États-Unis de parents originaires de l’Inde), puis l’italien comme principale langue d’écriture depuis quelques années –, mais aussi de l’identité et du lien émotif, pas toujours explicable par la raison, qui nous pousse à apprendre une langue parce qu’on le veut bien, non parce que les circonstances l’exigent.
On peut relire ici une recension du livre publiée sur le blogue Le mot juste en anglais en 2017. Elle a écrit le livre en italien et la traduction anglaise a été réalisée par Ann Goldstein[1] , qui a notamment colligé les œuvres complètes de Primo Levi en anglais, Complete Works of Primo Levi.
Nous avons voulu voir de quel bois Google Translate se chauffe dans la combinaison italien > anglais, un petit exercice de style.
Passage 1 :
Si considerava imperfetta, come la prima stesura di un libro. Voleva generare un’altra versione di se stessa, nello stesso modo in cui poteva trasformare un testo da une lingua a un’altra. A volte aveva l’impulso di rimuovere la sua presenza dalla terra, come se fosse un filo sull’orlo di un bel vestito, da tagliare via con un paio di forbici. Eppure non voleva suicidarsi. Amava troppo il mondo, la gente. Amava fare lunghe passeggiate nel tardo pomeriggio osservando ciò che la circondava. Amava il verde del mare, la luce del crepuscolo, i sassi sparsi sulla sabbia. Amava il sapore di une pera rossa in autunno, la luna piena e pesante d’inverno che brillava fra le nuvole. Amava il calore del suo letto, un buon libro da leggere senza interruzione. Per godere di questo, sarebe vissuta per sempre. Volendo capire meglio il motivo per cui si sentiva così, decise un giorno di eliminare i segni della sua esistenza. Tranne una piccola valigia, buttò o diede via tutto.
[ extrait d’une nouvelle intitulée Lo Scambio]
Traduction d’Ann Goldstein :
Traduction de Google Translate:
She considered herself imperfect, like the first draft of a book. She wanted to produce another version of herself, in the same way that she could transform a text from one language into another. At times she had the impulse to remove her presence form the earth, as if it were a thread on the hem of a nice dress, to be cut off with a pair of scissors. And yet, she didn’t want to kill herself. She loved the world too much, and people. She loved taking long walks in the late afternoon, and observing her surroundings. She loved the green of the sea, the light of dusk, the rocks scattered on the sand. She loved the taste of a red pear in autumn, the full, heavy winter moon that shone amid the clouds. She loved the warmth of her bed, a good book to read without being interrupted. To enjoy that, she would have lived forever. Wishing to better understand the reason she felt the way she did, she decided one day to eliminate the signs of her existence. Apart from a small suitcase, she threw or gave everything away.
He considered himself imperfect, like the first draft of a book. She wanted to generate another version of herself, in the same way she could transform a text from one language to another. Sometimes she had the impulse to remove her presence from the earth, as if it were a thread on the hem of a beautiful dress, to be cut off with a pair of scissors. Yet he didn’t want to commit suicide. He loved the world too much, people. She loved taking long walks in the late afternoon while observing her surroundings. He loved the green of the sea, the twilight, the stones scattered on the sand. He loved the taste of a red pear in autumn, the full and heavy moon in winter that shone in the clouds. He loved the warmth of his bed, a good book to read without interruption. To enjoy this, she would have lived forever. Wanting to better understand why she felt this way, she decided one day to eliminate the signs of her existence. Except a small suitcase, he threw or gave everything away.
Comme on peut le constater, le sexe attribué par « défaut » à la narration est masculin. En italien, on omet généralement le pronom si le contexte est clair, comme au début du texte : Si considerava imperfetta: ici, la seule indication du féminin est le « a » final de imperfetta. Pour parler d’un personnage masculin, on écrirait Si considerava imperfetto. Lorsque GT ne peut déterminer si la narration est faite par un homme ou une femme, il « décide » d’utiliser le masculin.
La traduction est très fidèle, probablement parce que le style est simple, direct et composé de phrases courtes. Les principales différences sont stylistiques et le sens du message est respecté. Ce qui est intéressant, c’est de constater l’alternance du féminin et du masculin; on pourrait facilement croire qu’il s’agit de deux personnages. La traduction d’Ann Goldstein est plus idiomatique et resserrée, mais outre l’utilisation exclusive du féminin pour parler du personnage principal, on pourrait presque admettre un match nul entre la traductrice et la machine.
Passage 2 :
Non riuscivo a identificarmi con nessuna delle due. Una era sempre celata dietro l’altra, ma mai completamente, cosi come la luna piena può nascondersi quasi tutta la notte dietro una massa di nuvole per poi emergere di colpo, abbagliante. Nonostante parlassi soltanto il bengalese con i miei, c’era sempre l’inglese nell’aria, per la strada, sulle pagine dei miei libri. D’altro canto, ogni giorno, dopo aver parlato in inglese per parecchie ore in aula, tornavo a casa, un luogo dove l’inglese non c’era. Mi rendovo conto di dover parlare entrambe le lingue benissimo: l’una per compiacere i miei genitori, l’altra per sopravvivere all’America. Restavo sospesa, combattuta tra queste due lingue. L’andirivieni linguistico mi scompigliava; mi sembrava une contraddizione che non potevo risolvere.
Traduction d’Ann Goldstein :
Traduction de Google Translate:
I couldn’t identify with either. One was always concealed behind the other, but never completely, just as the full moon can hide almost all night behind a mass of clouds and then suddenly emerge, dazzling. Even though I spoke only Bengali with my family, there was always English in the air, on the street, in the pages of books. On the other hands, after speaking English for hours in the classroom, I came home every day to a place where there was no English. I realized that I had to speak both languages extremely well: the one to please my parents, the other to survive in America. I remained suspended, torn between the two. The linguistic coming and going confused me; it seemed a contradiction that I could not resolve.
I couldn't identify with either of them. One was always hidden behind the other, but never completely, just as the full moon can hide almost all night behind a mass of clouds and then emerge suddenly, dazzling. Although I only spoke Bengali with my parents, English was always in the air, on the street, on the pages of my books. On the other hand, every day, after having spoken in English for several hours in the classroom, I would return home, a place where there was no English. I realized that I have to speak both languages very well: one to please my parents, the other to survive America. I was suspended, fighting between these two languages. The linguistic coming and going upset me; it seemed to me a contradiction that I could not resolve.
Deux erreurs de ce passage sont des erreurs de concordance de temps, avec l’emploi du présent au lieu du passé :
Mi rendovo conto di dover parlare entrambe le lingue benissimo: l’una per compiacere i miei genitori, l’altra per sopravvivere all’America.
GT : I realized that I have to speak both languages very well: one to please my parents, the other to survive America.
Ann Goldstein : I realized that I had to speak both languages extremely well: the one to please my parents, the other to survive in America.
GT : The linguistic coming and going upsetme; it seemed to me a contradiction that I could not resolve.
Ann Goldstein : The linguistic coming and goingconfusedme; it seemed a contradiction that I could not resolve
L’autre erreur est l’omission d’une préposition : GT : to survive America au lieu de to survive in America. L’omission confère un caractère plutôt dramatique à l’énoncé.
GT a effectué une très bonne traduction. Comme je n’utilise pas cet outil dans le cadre de mon travail, et que j’ignore l’étendue du corpus de GT pour cette combinaison de langues, j’avoue avoir été surprise de la fidélité de la traduction. Évidemment, GT fonctionne très bien pour des mots, des phrases courtes et des paragraphes dont la langue est simple, sans jeu de mots ou humour ou références culturelles. Comme nous le répétait sans cesse un de mes professeurs d’université, M. Raymond Malhamé, « on ne traduit pas des mots, mais des idées »… C’est ce qui explique que le contexte est crucial en traduction et que GT continue d’être imparfait, parce qu’il ne « réfléchit » pas encore. Le vieux rêve cybernétique d’une traduction automatique fidèle du langage naturel n’est pas encore une réalité. Tant mieux pour nous, langagières et langagiers!
[1] Le mot autrice est de plus en plus utilisé au Québec (peut-être parce qu’autrice est plus « audible » qu’auteure), mais auteure est le mot plus usité. Autrice prend du terrain depuis un an, et c’était aussi un clin d’œil à l’italien, parce que c’est le même mot en italien pour une femme (autore est masculin).
Isabelle Pouliot
Note du blogue :Le 7 novembre 2019 est sorti La vita bugiarda degli adulti, le dernier livre de l’écrivaine italienne Elena Ferrante. La version française, La Vie mensongère des adultes, traduite par Elsa Damien, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Du monde entier », 416 p. a été publiée le 9 juin 2020 et la version anglaise, The Lying Life of Adults, traduite par Ann Goldstein, est parue le 1er septembre 2020.Il semble que jamais un(e) traducteur/euse de langue anglaise n'a reçu tellement de publicité que celle-ci. Ann Goldstein est sous les projecteurs plus que jamais et il semble que le monde littéraire anglo-saxon fasse la queue pour s'entretenir avec Mme Goldstein.
À l’occasion de la retraite récente, à l’âge de 90 ans, de la traductrice Sharlee Bradley, après une longue et fructueuse carrière, nous reproduisons ici un entretien, dont la une version anglaise a été publiée dans TRANSLORIAL, la revue de la Northern California Translators Association (NCTA). Nous présentons cette version abrégée avec l'aimable autorisation de Sharlee et de la revue. L’entretien a été traduit à notre intention par notre fidèle collaboratrice, Isabelle Pouliot. Isabelle est elle aussi membre de la NCTA et ancienne résidente de la région de San Francisco. Elle est traductrice agréée de l'anglais vers le français de l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ). http://traduction.desim.ca
Question : Où êtes-vous née, où avez-vous grandi?
Reponse : Je suis née à Toronto, mais j'avais 10 ans quand ma famille est déménagée dans la région de la baie de San Francisco en Californie, la première d'une longue série de traversées de l'Amérique du Nord en train.
Q.Comment avez-vous appris des langues étrangères?
R : Mes parents ont encouragé leurs enfants à apprendre le français parce que c'était la langue universelle, ce qui semble démodé aujourd'hui. Le français n'était enseigné qu'à partir de la deuxième année du secondaire en Californie.Le Latin n'était enseigné qu'à partir de la troisième année du secondaire. J'ai donc fait cinq ans de français et quatre ans de Latin avant l'université.
Durant la Seconde Guerre mondiale, lorsque la Charte des Nations Unies a été signée à San Francisco, ma mère m'a dit que ce serait formidable d'être interprète pour les Nations Unies. Mais, ce n'était pas du tout mon objectif. Je suis plutôt tombée amoureuse de la langue écrite et très jeune, je me suis amusée à traduire n'importe quelle œuvre littéraire que j'étudiais à l'école, et d'autres.
Place des Nations Unies San Francisco
À l'université, j'ai fait une autre année de Latin et toujours continué le français. J'ai suivi chaque année des cours de français jusqu'à ce que j'obtienne mon doctorat à l'âge de 34 ans. Durant mes études, j'ai dû apprendre l'allemand et une autre langue romane : j'ai choisi l'italien. Ma première expérience de traduction rémunérée, offerte par mon professeur, était de traduire en italien (!) un sondage sur l'assurance. Pour me récompenser, je suis allée acheter un bracelet en or tout de suite après avoir été payée.
J'ai enseigné le français à l'école secondaire quelques années, puis j'ai décroché une bourse Fulbright pour étudier en France, à la Sorbonne. Cet été-là, puis une résidence de deux ans à Lausanne, ont été mes seules expériences dans des pays francophones. Mais, un jour à Lausanne, j'ai reçu un appel des Nations Unies de Genève, disant qu'on avait eu mon nom du bureau des Nations Unies de New York (mon directeur de thèse m'y avait envoyé passer l'examen de français de l'ONU). C'était l'époque des négociations de l'administration Kennedy sur le commerce, ce qui s'est appelé General Agreement on Tariffs and Trade, GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) et Genève avait besoin de plus de traducteurs. Le « fascinant » sujet qu'on m'a attribué était la standardisation des palettes d'expédition et de manutention de marchandise.
L'espagnol est devenu ma langue parlée étrangère dominante. Je ne l'ai jamais étudiée de manière stricte et organisée, mais quand je me suis installée aux îles Canaries, je faisais des exercices par moi-même avec une grammaire espagnole. J'avais l'arrogance de croire que j'étais une experte des langues romanes, notamment parce que j'avais enseigné le français cinq ans à l'école secondaire et deux ans à l'université. Étant mère d'un jeune enfant, je passais des heures à mémoriser des verbes irréguliers et à me répéter des conversations que j'avais entendues durant mes sorties.
Les îles Canaries
Comment nous avons abouti aux îles Canaries est une longue histoire. En bref, mon mari (qui est par la suite décédé quand nous vivions là-bas), souhaitait prendre une retraite anticipée. Puisque nous n'étions pas riches, nous sommes allés à la bibliothèque municipale pour chercher un endroit dans le monde où il y avait un climat agréable, une langue facile à apprendre et un faible coût de la vie. Croyez-le ou non, nous avons trouvé un livre intitulé You Can Live Cheaply in the Canaries de l'auteure Peggy True. Le livre nous a convaincus et nous sommes partis avec notre fille, qui était encore bébé, notre voiture, tous nos livres et meubles, sans même nous y rendre auparavant pour faire un essai, pour y passer le reste de notre vie; du moins, c'était notre plan.
Les treize années que j'ai passées en Espagne ont semblé un temps avoir des répercussions sur le français que j'avais étudié pendant 21 ans et même sur mon anglais; mais, à mon retour aux États-Unis, j'ai commencé à recevoir des demandes de traduction à partir du français. Maintenant, bien des années ont passé et je traduis aussi bien à partir de l'espagnol que du français.
Q. Quel a été votre parcours universitaire?
R : J'ai obtenu une bourse d'études de premier cycle à l'université Vassar. J'ai suivi des cours du soir à l'Université de la Californie à Berkeley en vue d'obtenir une maîtrise, tout en enseignant l'anglais et le français dans une école secondaire le jour; je travaillais aussi comme bibliothécaire. J'ai été admise dans plusieurs sociétés universitaires, dont Pi Delta Phi, une société honorifique faisant la promotion du français et de la culture francophone.
Je suis déménagée à Philadelphie avec mon mari et j'ai obtenu un doctorat en langues romanes de l'Université de la Pennsylvanie. Étant donné que mon directeur de thèse rédigeait un dictionnaire à cette époque (le dictionnaire Espagnol-Anglais de l'Université de Chicago, lequel était très réputé à l'époque), j'ai rédigé ma thèse sur des problèmes lexicographiques de dictionnaires unilingues français et fait une analyse détaillée du Littré, du Larousse et du Dauzat.
La politique de l'université était que tous les cours de premier cycle devaient être enseignés en anglais. Lorsque nous avons eu la visite d'un professeur français dont l'accent rendait incompréhensible le contenu de ses cours de linguistique, nous avons soumis une pétition au département pour qu'il soit autorisé à enseigner en français, ce qui a été refusé!
Q. Avez-vous voyagé à l'étranger?
R: Oui, surtout en Europe. Mais aussi en Russie (croisière à partir de Saint-Pétersbourg, puis sur le lac Ladoga, la rivière Svir et le lac Onega; en Chine (séjour de 5 semaines) et dans le Pacifique Sud (séjour de 2 mois à Rarotonga, la plus grande des îles Cook). J'ai navigué une fois sur le fleuve Amazone et je me suis rendue souvent au Mexique pour jouer au tennis.
Une année, j'ai appris quelques mots de turc en visitant Istanbul, la Cappadoce, et en faisant de la voile et de la randonnée sur les côtes du sud de la Turquie. Durant un autre voyage, j'ai fait du tourisme littéraire dans le sud et le sud-est de l'Angleterre et j'ai fait un séjour chez une amie près de Toulon, en France.
Q. Quels ont été vos premiers pas dans la traduction? Depuis combien de temps êtes-vous traductrice?
R: J'ai obtenu mon premier contrat par l'entremise de mon professeur d'italien. Plus tard, alors que j'étais professeure à l'Université de La Laguna à Tenerife, je faisais beaucoup de traductions pour le département de chimie physique, non parce que je demandais du travail, mais simplement parce que j'étais là et que je parlais anglais. Les professeurs avaient une base d'anglais suffisante dans leur domaine pour comprendre des articles techniques, mais quand ils allaient à des symposiums et des conférences, ils étaient incapables de converser en anglais. Alors, j'animais des ateliers de conversation en anglais durant l'heure du lunch. Par la suite, ils m'ont donné des monographies à traduire en anglais pour des présentations ou des articles qui étaient ensuite publiés dans des revues étrangères.
Q. Êtes-vous aussi interprète? Si oui, pour qui interprétez-vous?
R: À mon retour aux États-Unis, puisque je parlais espagnol couramment, je me suis proposée pour devenir guide au Centre d'information touristique de Philadelphie. Après avoir appris l'histoire de la ville, j'ai été guide auprès de nombreux touristes espagnols, je leur faisais voir les monuments historiques les plus prisés des États-Unis.
Un jour, le Centre m'a appelé pour me dire qu'on recherchait un interprète pour aller en cour fédérale, puisque l'interprète habituel n'était pas disponible. Étais-je disponible? Même si je n'avais jamais interprété, j'ai bravement répondu que j'irais et j'ai fait du bon travail, même si j'aurais pu faire mieux.
Plus tard, après avoir étudié l'interprétation au sein d’un programme de l'Université de l'Arizona connu dans tout le pays, j'ai été capable d'interpréter en restant impassible presque tout ce qu'on me demandait. Durant plusieurs années, j'ai servi d'interprète à la Marin County Health Clinic, auprès d'immigrants hispanophones, régularisés ou non. Beaucoup étaient dans une situation d'une grande précarité, mais certains essayaient de tirer avantage d'un système qui leur offrait de l'aide, bien après qu'ils soient capables de se tirer d'affaire par eux-mêmes. Grâce à ma formation, j'interprétais de manière impartiale.
De plus, j'ai aussi interprété à la Commission des libérations conditionnelles de la prison de San Quentin, au Department of Motor Vehicles [autorité délivrant les permis de conduire] de San Francisco, au ministère de l'Éducation à Fresno, à la Commission d'État des relations de travail à Sacramento, pour des médecins, des avocats et des sociétés d'assurances, et bien d'autres.
Par la suite, après avoir arrêté l'interprétation durant deux ans pour m'occuper de mon second mari malade, qui était en phase terminale, j'ai abandonné l'interprétation et fait exclusivement de la traduction pendant 20 ans.
Q. À quels problèmes (et solutions possibles) vous êtes-vous heurtés durant votre carrière de traductrice?
R : L'accès à Internet a résolu de nombreux problèmes de recherche. Je ne me sens plus aussi isolée d'une grande bibliothèque universitaire comme je l'ai déjà été. Maintenant, j'essaie de donner mes dictionnaires, dont quelques-uns sur CD, des livres et d'autres.
Je travaille avec deux écrans, je peux consulter ma terminologie sur un tout en traduisant sur l'autre avec la langue source et la langue cible côte à côte, sauf si j'utilise un logiciel de traduction. Mon préféré est Wordfast.
La gestion de mes listes de terminologie était toujours une priorité. Après chaque contrat, je faisais la saisie des nouveaux termes; puis, la prochaine fois que j'avais besoin d'utiliser un terme, je laissais le glossaire ouvert sur l'autre écran pendant que je traduisais.
J'ai travaillé sur un certain nombre de projets liés à la traduction automatique. Les meilleurs projets étaient pour l'organisme Pan American Health Organization; il avait produit son propre système ayant de nombreux raccourcis pour effectuer des corrections très répandues, par exemple, substituer deux noms par un syntagme prépositionnel.
Q. Est-ce que la pandémie de la COVID-19 a perturbé votre activité professionnelle?
R : Non, parce qu'en décembre dernier, à mes 90 ans, j'ai décidé que c'était le bon moment de fermer boutique. Mais, puisque je suis incapable d'arrêter complètement la traduction, je me limite à travailler bénévolement pour Traducteurs sans frontières. En plus, je joue au tennis quatre fois par semaine.
Les deux articles qui suivent ont été traduits et adaptés à notre intention par Isabelle Pouliot, le premier à partir d'un reportage sur le site de la B.B.C., redigé par Jessica Bown, journaliste, Affaires et technologies, 21 février 2020 et le deuxième à partir d'un reportage de CNN Business, rédigé par Claire Duffy, le 11 mars 2010.
Isabelle est membre de l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ) et également de la Northern California Translators Association (NCTA).
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La traduction automatique surpassera-t-elle la maîtrise d'une langue étrangère ?
Inscrivez « crottin de chèvre » dans Google Translate et vous aurez le résultat « goat dung » en anglais.
Un Anglais qui voit « crottin de chèvre » dans un menu en France et consulte Google Translate, pourrait passer outre et commander autre chose. Mais il perdrait la chance de goûter à un délicieux fromage de chèvre, souvent servi en entrée en France.
Ce genre d'erreurs explique pourquoi Google admet que son application gratuite, utilisée par près de 500 millions de personnes, n'est pas conçue pour remplacer les véritables traducteurs.
Les touristes peuvent s'accommoder de quelques erreurs parce que cette technologie est pratique et peu coûteuse. Mais lorsque les enjeux sont plus importants, comme dans le milieu des affaires, du droit ou de la médecine, ces services ne donnent pas souvent les résultats escomptés.
« Utiliser Google Translate peut entraîner de graves erreurs, surtout lorsque des mots ont plusieurs sens, ce qui est souvent le cas dans des domaines comme ceux du droit et de l'ingénierie », explique Samantha Langley, une ancienne avocate qui est désormais une traductrice juridique de l'anglais vers le français, assermentée par la cour et établie à Meribel en France.
Ce qui ne veut pas dire que les traducteurs professionnels n'utilisent pas d'outils de traduction assistée par ordinateur (TAO). Des outils plus perfectionnés permettent de faciliter la traduction de passages répétitifs.
Ces outils sont même intégrés aux programmes d'études des langues vivantes. Que valent-ils alors?
L'un des nouveaux outils les plus populaires est l'oreillette de traduction. L'oreillette est jumelée à une application de téléphone intelligent; elles reconnaissent les langues étrangères et les traduisent pour l'utilisateur.
Selon Andrew Ochoa, chef de la direction de la jeune entreprise américaine Waverly Labs, laquelle produit des écouteurs de traduction, « il a fallu des décennies de recherche pour créer des cadres algorithmiques qui reconnaissent des formes d'expression de la même manière qu'un cerveau humain, c'est-à-dire par un réseau neuronal.
Jumeler cela à la technologie de reconnaissance vocale nous a permis de faire un immense bon en avant en matière de précision. »
Les outils de TAO ont incontestablement allégé la caractère fastidieux de la traduction de textes tels les manuels d'instructions et les questionnaires, précise Paola Grassi, traductrice professionnelle à Milan et employée de Wordbank, une agence de traduction et de marketing multinationale.
« Les sondages sont parmi les textes les plus répétitifs et un bon outil de TAO accélère grandement le processus. »
Pour des conférences et des réunions, la popularité d'appareils de traduction portables comme ceux de Waverly Labs ne fait pas de doute. Mais même cette technologie de nouvelle génération, laquelle combine des réseaux neuronaux de reconnaissance vocale et des outils de traduction en ligne, a ses limites.
Les utilisateurs doivent attendre quelques secondes pour obtenir la traduction d'une phrase, et plus encore si la connexion internet est mauvaise.
Et les ordinateurs ne peuvent pas rendre les subtilités de la communication humaine.
« La technologie est sans aucun doute un outil utile pour traduire certains types de contenu, comme des manuels », explique Zoey Cooper, directrice, Marques et contenu, Wordbank.
« Mais si vous voulez créer une relation avec le lecteur, vous avez besoin d'un traducteur humain pour produire un texte qui semble naturel et pour rendre les nuances émotionnelles, ce qui signifie souvent de restructurer complètement une phrase. »
Antonio Navarro Gosálvez est un traducteur de l'anglais vers l'espagnol qui vit à Alicante en Espagne. « Je crois que les outils de TAO freinent la créativité.Si l'outil vous donne une traduction partielle, je trouve qu'il est plus difficile d'éliminer une partie de la phrase et la reconstruire que créer une phrase à partir de rien. »
Selon M. Ochoa, ce problème pourrait être résolu au cours des 10 prochaines années.
« Lorsqu'il faut exprimer de l'émotion et une intonation, nous avons besoin de l'analyse des sentiments, qui n'est pas encore au point, mais qui pourrait bien l'être d'ici 10 ans. »
Les langues étrangères constituent toujours un atoutsur le marché du travail.
Au Royaume-Uni, environ 15 % des offres publiées sur le site de recherche d'emploi Reed exigent la connaissance d'une langue étrangère.
Selon une nouvelle recherche effectuée par l'American Council on the Teaching of Foreign Languages, 75 % des entreprises manufacturières ont besoin d'employés ayant diverses compétences langagières.
Et pourtant, l'apprentissage des langues perd de sa popularité dans les écoles du Royaume-Uni.
Le ministère de l'Éducation du Royaume-Uni prend des mesures pour freiner ce déclin.
« Nous sommes déterminés à faire en sorte que plus d'élèves apprennent des langues, et désormais, il s'agit d'une matière obligatoire du programme national d'éducation pour tous les élèves, de la troisième à la neuvième année » a-t-il indiqué.
Selon Mme Cooper, parler une langue étrangère est une compétence recherchée.
« Il y a encore de nombreuses possibilités pour les diplômés, à la fois dans la traduction spécialisée et dans le marketing mondial. »
Et même si vous n'utilisez pas une langue dans un contexte professionnel, parler une autre langue offre d'autres avantages.
« Comment pouvez-vous connaître un pays et adopter une culture si vous ne parlez pas la langue? », demande Mme Cooper.
« Même avec les applications activées par la voix, il va vous manquer quelque chose. »
IBM veut que les ordinateurs comprennent le langage naturel
IBM commercialise une nouvelle technologie qui facilite la compréhension du langage humain par les ordinateurs.
Les systèmes d'intelligence artificielle ont pris plus d'importance dans le domaine des affaires en raison de leurs capacités améliorées de traitement de grandes quantités de données et d'apprentissage fait à partir de ces mêmes données. Mais ces systèmes avaient du mal à comprendre les nuances de la communication entre humains qui se fait au jour le jour.
IBM bonifie son système d'IA, Watson, avec de nouveaux outils pour traiter ce problème et mieux comprendre le langage humain. La technologie de traitement automatique du langage naturel a été mise au point dans le cadre du projet de recherche d'IBM intitulé Project Debater [1] lequel a été le premier système d'IA à débattre contre un expert humain l'an dernier.
Pour débattre de façon autonome, Project Debater devait être capable d'écouter son adversaire, de comprendre ses arguments et de formuler rapidement une réponse, tout cela sans accéder à internet.L'ordinateur devait donc être capable de déterminer et de comprendre des expressions familières ou idiomatiques, tout comme certaines expressions ou certains termes employés dans un secteur précis, par exemple, « c'est dans la poche » ou « pas d'un grand secours » (auparavant, un système d'IA aurait pu penser que quelqu'un cachait quelque chose dans sa poche).
Les entreprises pourront désormais utiliser les outils de traitement du langage naturel d'IBM pour améliorer le dépouillement de documents et la recherche, pour mieux filtrer la communication entrante et améliorer leur service à la clientèle.
« En affaires, tout est lié à la communication, la communication entre les employés, avec les partenaires d'affaires, avec les clients, et elle prend la forme de courriels, de clavardages, de messages texte, de documents », comme l'a expliqué à CNN Business le directeur général des données et de l'IA d'IBM, Rob Thomas. « Certaines des données les plus intéressantes d'une entreprise sont encodées dans tous ces supports, tout ce langage. »
Environ 48 % des directeurs du placement du monde entier examinent la possibilité de déployer des systèmes d'IA dans leurs entreprises cette année, selon un sondage de 2019 réalisé par la firme Gartner. Selon les données d'un sondage d'IBM effectué en janvier auprès de 4500 décideurs en matière de technologie au sein d'entreprises du monde entier, 45 % des entreprises ayant plus de 1000 employés ont adopté l'IA.
Une amélioration considérable par rapport aux systèmes d'IA existants est la capacité du système d'analyser les sentiments, d'examiner ce qu'une personne dit ou écrit et comprendre ce qu'elle tente réellement de communiquer et quel est le contexte. Par exemple, le système peut désormais comprendre la véritable signification lorsqu'une personne dit qu'elle a « la tête dans les nuages », c'est-à-dire qu'elle est distraite, au lieu de prendre cette expression au pied de la lettre.
Selon Rob Thomas, « souvent, quand on parle ou interagit, surtout dans le service à la clientèle, on utilise beaucoup d'expressions et de termes propres à un secteur ».
L'intégration de cette capacité d'analyse à Watson Discovery [2], un système d'IBM, facilite la recherche, et la cueillette de données précieuses, dans une multitude de documents et d'autres sources de communication écrite d’entreprises.
Le système peut mieux comprendre les thèmes et points principaux de documents et les classer ensuite dans des catégories plus précises, ce qui les rend plus utiles. Il peut aussi générer de brefs résumés à partir d'une multitude de données. Le système peut aussi distinguer si deux documents font une analyse similaire d'un même sujet, mais avec un vocabulaire différent.
« Si Watson analyse un million de documents, il peut déterminer l'information la plus pertinente en raison du problème qu'on tente de résoudre », illustre M. Thomas.
Ce genre de tâches pourrait être pratique dans le cas d'une entreprise qui doit filtrer les demandes de service à la clientèle et les diriger où elles pourront être traitées adéquatement. Un cabinet d'avocat pourrait aussi s'en servir pour analyser des documents et en tirer des conclusions et faire une découverte dans le cas d'une cause; ce qui exigerait d'un avocat des jours ou des semaines de travail serait effectué en quelques minutes par un système d'IA.
L'un des aspects les plus préoccupants dans le domaine de l'intelligence artificielle : il a été démontré que dans certains cas, des systèmes reproduisaient des préjugés humains envers certains groupes, dont les personnes de couleur.
Thomas insiste sur le fait que la confiance est essentielle pour les entreprises qui utilisent l'IA, tout comme pour leurs clients. Il explique qu'IBM a une plateforme appelée Watson OpenScale[3] et parmi ses fonctions, elle peut détecter les préjugés et dérives de systèmes d'IA d'entreprises.
« La confiance est essentielle, d'être capable d'utiliser une IA dont vous pouvez expliquer le fonctionnement, qui est libre de préjugés, digne de confiance », dit Rob Thomas.
Et même si l'intelligence artificielle peut changer la manière dont les humains travaillent, il est très peu probable qu'elle élimine la nécessité de recourir au travail des humains. Selon Rob Thomas, ce serait le contraire, que ces systèmes pourraient plutôt rendre les gens plus efficaces.
« Peut-être qu'un problème peut être trop difficile à résoudre par l'IA, mais si on jumelle cette technologie à un humain, sa capacité et sa rapidité à trouver une solution augmentent rapidement. »
[1] IBM Project Debater 57:52 minutes
[2] Why you should use Watson Discovery - 1:45 minutes
[3] Operationalize Trusted AI with IBM Watson OpenScale
Lectures supplémentaires :
Quel est le meilleur service de traduction en ligne ? Une société européenne vient de lancer un service de traduction automatique qu’elle estime être « trois fois plus performant que celui de Google ». Nous avons vérifié.
Marc Pomerleau, Ph. D., notre invité ce mois, est traducteur agréé, chargé de cours au Département de littératures et de langues du monde et au Département de linguistique et de traduction de l’Université de Montréal, ainsi qu’au Département des langues modernes et de traduction de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), au Québec.
Ses travaux de recherche sont axés sur les questions langagières touchant la Péninsule ibérique et l’Amérique latine, notamment les langues minoritaires et les liens entre traduction, histoire et politique. Ses langues de travail sont le français, l’anglais, l’espagnol, le portugais et le catalan. On peut consulter son site web à l’adresse : http://mpom.ca/.
Notre fidèle contributrice, IsabellePouliot, elle aussi Montréalaise et traductrice agréée de l'anglais vers le français, membre de l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ) et également de la Northern California Translators Association (NCTA), a bien voulu s'entretenir avec Marc.
Marc Pomerleau a accepté de répondre à nos questions par courriel, entre deux participations à un symposium (« La traduction comme acte politique », Università di Perugia, mai 2019), et au 32econgrès de l’Association canadienne de traductologie qui se déroule du 2 au 4 juin à Vancouver, Colombie-Britannique.
Isabelle : Pouvez-vous nous dire quel a été votre parcours pour devenir traducteur?
Vous avez travaillé comme traducteur en pratique privée plusieurs années avant d’entamer des études supérieures en traduction qui ont mené à une thèse doctorale intitulée La traduction comme instrument paradiplomatique : langues, publics cibles et discours indépendantiste en Catalogne. 1) Qu’est-ce qui a provoqué ce changement de parcours? 2) Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la « La traduction comme instrument paradiplomatique »? Comment en êtes-vous venu à cerner un tel sujet?
Marc : J’ai commencé à travailler en pratique privée très tôt dans ma carrière. Étant donné que ce travail est relativement solitaire, même si on est en contact (surtout virtuel) au quotidien avec des collègues et des clients, je continuais à suivre des cours à l’université. Même si cela me permettait d’acquérir de nouvelles connaissances et compétences, je le faisais surtout pour sortir de chez moi et rencontrer des gens.
Après quelques années à suivre des cours que je qualifierais « de base » dans des domaines connexes à la traduction (sociolinguistique, histoire du français, langues étrangères, etc.), j’ai eu envie de pousser plus loin la réflexion et de me lancer dans un programme de maîtrise en recherche en traduction. J’ai donc décidé de travailler sur un sujet qui rejoignait mes intérêts et ma formation antérieure, soit les études latino-américaines, plus précisément l’histoire de l’Amérique latine, mais cette fois d’un point de vue traductologique. J’ai donc réalisé une recherche sur l’histoire de la traduction du Popol Vuh, un important document maya que j’avais eu l’occasion de lire plusieurs années auparavant. J’ai eu la chance de travailler avec le professeur Georges L. Bastin à l’Université de Montréal, l’un des plus grands experts de l’histoire de la traduction en Amérique latine, et d’intégrer son groupe de recherche Histal (www.histal.net).
Ce projet m’a donné la piqûre pour la recherche et la diffusion des connaissances. Je n’ai toutefois pas entamé le doctorat immédiatement après avoir obtenu mon diplôme de maîtrise en 2011. J’ai préféré prendre une pause de près de deux ans afin de m’accorder le temps de bien réfléchir à un sujet qui me passionnerait suffisamment pour y consacrer plusieurs années de ma vie.
À la même époque, je suivais des cours de catalan, une langue qui m’intriguait depuis un premier séjour en Catalogne en 1995, séjour suivi de plusieurs autres au fil des ans. En suivant à distance la situation politique en Catalogne, j’ai commencé à observer la publication de nombreux documents sur la question, dont bon nombre en traduction. J’ai donc commencé à recueillir ces documents, au point de constituer un corpus suffisamment imposant pour transformer cette simple observation en véritable recherche scientifique.
En résumé, j’ai déterminé que ces traductions constituaient une campagne de sensibilisation visant à convaincre la communauté internationale, en particulier l’Europe, que les aspirations d’indépendance de la Catalogne sont légitimes. J’ai qualifié cette campagne de sensibilisation par la traduction de « paradiplomatique » parce qu’elle ne relève pas de relations entre des États, étant donné qu’elle est orchestrée par la société civile catalane. Ce qui m’a le plus fasciné, c’est le nombre de langues dans lesquelles les indépendantistes catalans traduisent leur message, soit une quarantaine, dont certaines auxquelles on ne s’attendrait pas comme le quéchua, le tamazight et l’ukrainien.
Isabelle : Vous enseignez à de futurs traducteurs. Que leur dites-vous sur les nouvelles réalités de la profession?
Marc: Il est difficile de dresser un portrait exhaustif de la réalité professionnelle en traduction parce qu’elle est extrêmement variée et qu’elle est en constant changement. Je leur parle donc des différentes réalités que j’ai vécues et de celles que je connais par mes collègues. Pour offrir aux étudiants d’autres points de vue, j’invite des professionnels ou des gens avec des expertises différentes des miennes à venir en classe parler de leur parcours et de leur travail. J’en apprends probablement autant que les étudiants lors de ces rencontres.
Par ailleurs, j’insiste beaucoup sur le caractère multitâche de notre profession : les traducteurs ne sont rarement que des traducteurs. Ils sont aussi – selon les cas – des réviseurs, des rédacteurs, des interprètes, des terminologues, des conseillers linguistiques, des enseignants, des gestionnaires de projet, etc. L’industrie langagière est extrêmement vaste et je crois que c’est pour ça que je ne m’en tanne pas. En tous cas, personnellement, j’aime toucher à tout. Ces dernières années je me consacre surtout à l’enseignement et à la recherche, mais j’ai aussi besoin de traduire, de faire un peu de révision, de faire de l’interprétation à l’occasion, etc.
Isabelle : Vous parlez du caractère multitâche de la profession : le clivage entre traduction dite spécialisée et généraliste tend-il ou non à disparaître?
Marc : Je ne crois pas. S’il est vrai que les traducteurs sont appelés à accomplir plusieurs types de tâches, il reste que les traducteurs spécialisés demeurent prisés sur le marché.
Par contre, il est surtout question ici des services de traductions internes (ou des pigistes de ces services), par exemple dans les banques pour la traduction financière, dans les cabinets d’avocats pour la traduction juridique, dans les entreprises pharmaceutiques et les centres de recherche pour la traduction médicale, dans les agences de publicité pour la traduction et l’adaptation publicitaire, etc.
Isabelle : Les universités sont-elles outillées pour préparer les futurs traducteurs au marché du travail?
Marc :Dans l’ensemble oui, mais cela varie énormément d’une université à l’autre. Ce que je trouve le plus positif, c’est que les divers départements de traduction sont toujours en train de réévaluer leurs programmes et de les mettre à jour. Au cours des dernières années, à titre d’exemple, on a vu apparaître dans les programmes de cours de localisation, de post-édition, de traduction de jeux vidéo, etc. Les cours offerts sont également nombreux et variés, et tous les domaines de spécialités sont représentés : médical, juridique, économique, littéraire, etc.
L’envers de la médaille, c’est que les universités fonctionnent de plus en plus comme des entreprises et que tout est calculé en nombre d’inscriptions. Résultat : les salles de classe sont bondées. Ce n’est pas tellement problématique dans un cours de théorie, mais dans un cours de traduction pratique il est impossible pour l’enseignant de donner du temps à tous les étudiants. Même chose dans un laboratoire informatique qui déborde.
Isabelle : Vous parlez de classes bondées. Les professions langagières attirent quels types d’étudiants? Des jeunes, des gens plus âgés qui changent de carrière? Qui voyez-vous dans vos salles de classe?
Marc : Il y a deux types d’étudiants. Au premier cycle (baccalauréat ou majeure), il s’agit d’étudiants relativement jeunes (18 à 25 ans) qui s’intéressent aux langues en général et à la langue française en particulier, notamment à l’orthographe, à la grammaire, mais aussi à la rédaction. Parmi ceux-ci, il y a aussi ceux et celles qui ont fait des études littéraires ou en langues étrangères et qui souhaitent s’orienter vers une application davantage pratique de leurs intérêts, c’est-à-dire vers un domaine où il y a de bonnes possibilités d’emploi.
Ensuite, il y a les étudiants de deuxième cycle (DESS, maîtrise) qui sont plus âgés (de 25 à 50, voire 60 ans). Parmi ceux-ci, plusieurs ont déjà de l’expérience en traduction, en révision ou en rédaction, mais n’ont pas de diplôme dans ce domaine. Ils veulent donc en obtenir pour améliorer leurs possibilités d’avancement professionnel, se perfectionner ou pour faire une demande d’agrément à l’OTTIAQ. Les étudiants les plus âgés de ce groupe ont souvent une formation dans un autre domaine (médical, économique, juridique, journalistique), et souhaitent faire un changement de carrière tout en mettant à contribution leurs connaissances dans un domaine de spécialité en traduction.
L’un des points que la plupart des étudiants ont en commun, peu importe l’âge et les expériences ou études préalables, c’est l’envie d’être leur propre patron. Ils sont très au courant des possibilités qu’offre la traduction en ce sens et de la liberté que cela peut donner. Ils ont envie de flexibilité, de pouvoir bouger, de choisir le type de contrats, etc.
Isabelle : Les étudiants craignent-ils le phénomène de l’intelligence artificielle ou sont-ils disposés à travailler avec celle-ci?
Marc : Les étudiants d’aujourd’hui ont grandi avec l’informatique et l’intelligence artificielle et cela fait partie de leur vie. Je dirais que dans l’ensemble ils aiment utiliser les outils informatiques et les maîtrisent de plus en plus, mais qu’il y a quand même une petite inquiétude quant à la direction que prendra la traduction dans un avenir rapproché. Ils n’ont pas envie de devenir de simples réviseurs ou post-éditeurs de traductions faites par des machines. Cela étant dit, ils ne voient absolument pas les machines comme des adversaires. Ils savent aussi que les machines existaient il y a 50 ans et qu’elles seront encore là dans 50 ans et qu’à toutes les époques on a cru que les traducteurs seraient remplacés. Ce qu’on voit, c’est plutôt une profession en constante redéfinition. En fin de compte, c’est toujours dynamique et jamais ennuyeux.
Isabelle : En terminant, avez-vous des conseils ou suggestions pour des traducteurs et autres langagiers moins expérimentés? Qu’auriez-vous voulu savoir à vos débuts dans la profession?
Marc : La première chose que je dis à mes étudiants, c’est d’être visible, du moins à ceux et celles qui veulent travailler à leur compte. C’est un domaine qui fonctionne beaucoup de bouche à oreille : il faut que les gens sachent qu’ils sont traducteurs, que ce soit la famille éloignée, les amis, les voisins, les collègues dans d’autres domaines, etc. Presque tout le monde a besoin d’un traducteur un jour ou l’autre. À ce moment-là, ils penseront à vous.
Même si beaucoup de jeunes rêvent d’être leur propre patron, je leur recommande d’aller travailler en cabinet ou en entreprise. On y travaille sur toutes sortes de textes et on apprend énormément des collègues.
Ce que j’aurais voulu savoir, c’est qu’on peut dicter, du moins en partie, nos conditions. On n’est pas obligé de dire oui à n’importe quel client et à n’importe quel tarif. Il faut se faire respecter en tant que professionnel et avoir confiance en notre capacité à avoir parfois le gros bout du bâton.
Notre fidèle contributrice, IsabellePouliot, traductrice agréée de l'anglais vers le français, membre de l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ) et également de la Northern California Translators Association (NCTA), a bien voulu rédiger l’analyse qui suit, se basant sur des textes en français qui traitent des termes écophysiologie et écopsychologie et en traduisant un texte sur le thème de sostalgia.
Dans la foulée des récentes manifestations pour lutter contre les changements climatiques qui se sont déroulées à Londres (surnommée « la bataille du pont de Waterloo ») et dans d'autres villes dans le monde, nous voulons attirer l'attention sur quelques mots peu connus en anglais (et peut-être également en français).
Ecophysiology/l'écophysiologie
L’écophysiologie est une discipline de la biologie, à la frontière entre l'écologie et la physiologie, qui étudie les réponses comportementales et physiologiques des organismes à leur environnement.
Ecopsychology/L’écopsychologie
Selon le site consoglobe, « une nouvelle spécialisation en psychologie fait fureur : l'écopsychologie. Une discipline, apparue dans les années 90, fondée sur l’idée que des troubles réels peuvent naître de l’angoisse procurée par l’action négative des humains sur la planète. L'écopsychologie étudie la relation entre les êtres humains et la nature par le biais de principes d'écologie et de psychologie. »
L'écopsychologie cherche à comprendre et développer le lien émotionnel entre les individus et le monde naturel, aidant ainsi les gens à développer des modes de vie durables et à remédier à leur aliénation de la nature.
L'invention du terme est attribuée à Theodore Roszak, dans son livre de 1992, The Voice of the Earth, bien qu'un groupe de psychologues et d'environnementalistes de Berkeley, Californie, aient utilisé le terme indépendamment en même temps.
Sostalgia/La sostalgie (L'écoanxieté)
Les changements climatiques n'ont pas que des répercussions sur notre environnement. Ils en ont aussi sur notre santé mentale et notre bien-être psychique. Les changements climatiques peuvent causer une véritable détresse et de l'anxiété, puisque des catastrophes comme de graves sécheresses ou des incendies de forêt causées par les changements climatiques, perturbent les habitats et les moyens de subsistance de certaines populations.
Au début des années 2000, le philosophe de l'environnement Glenn Albrecht, professeur australien de la durabilité, a proposé le néologisme solastalgia pour décrire cette détresse profonde liée à la dégradation de l'environnement. Dans le cadre d'une étude de 2007 réalisée sur la sécheresse et l'extraction minière en Australie, Glenn Albrecht concluait que « les gens exposés aux changements environnementaux éprouvaient une affectivité négative exacerbée par un sentiment d'impuissance et d'une perte de maîtrise vis-à-vis le processus de changement en cours. »
Néologisme produit d'après le mot nostalgia (nostalgie), solstagie/solstagia a un préfixe d'origine latine, solacium, (réconfort, consolation) et un suffixe tiré du grec, algo, (douleur).
D'après la redactrice de cet article, sostalgie, en français, semble moins usité qu'il y a quelques années; écoanxiété semble plus fréquent pour décrire ce concept de sostalgia.
Cette adaptation est réalisée par Isabelle Pouliot, traductrice agréée de l'anglais vers le français, membre de l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ) et également de la Northern California Translators Association (NCTA). Dans les années passées Isabelle était membre du conseil d'administration de la NCTA. Isabelle a égalementadapté pour nous un article précèdent sur le même thème, L’étonnant cerveau des interprètes simultanés, en avril 2015.
Ce qui se passe dans le cerveau des interprètes
Une recherche réalisée récemment illustre à quel point l'interprétation simultanée n'est pas tant une traduction littérale qu'un exercice exigeant de haute voltige cognitive qui se déroule dans le cerveau de l'interprète.
À l'aide d'un électroencéphalogramme, les chercheurs ont étudié l'activité cérébrale de neuf interprètes professionnels alors qu'ils effectuaient de l'interprétation simultanée.
Écouter, mémoriser, parler
Le chercheur et auteur principal de l'article, Roman Koshkin, qui est également un interprète simultané, explique dans l'article que son équipe a établi comme cadre de référence le modèle des efforts en interprétation simultanée. Selon ce modèle théorique, l'interprétation simultanée se compose de trois efforts ou fonctions : l’effort d’écoute et d’analyse, l’effort de mémoire à court terme et l’effort de production du discours en langue d’arrivée.
Les chercheurs souhaitaient comprendre si les interprètes mobilisent ses trois efforts simultanément ou s'ils répartissent leur concentration entre ces fonctions.
Le modèle des efforts prédit également que si des interprètes doivent se concentrer davantage sur la mémorisation, ils auront moins de capacités cognitives pour l'écoute. Comme l'explique Roman Koshkin dans l'article, cette affirmation peut sembler évidente, mais elle n'avait pas encore été l'objet d'une recherche empirique.
Selon Koshkin, une seule autre étude avait tenté de mettre ce modèle à l'essai, et comme l'avait avoué lui-même l'auteur de l'étude, elle manquait de « mesures quantitatives précises ».
Mettre le modèle à l'épreuve
Pour cette expérience, Roman Koshkin et son équipe ont demandé à neuf interprètes professionnels d'interpréter simultanément huit discours qui ont été initialement prononcés pendant une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU.
Puisque la seule combinaison de langues de l'expérience comprenait l'anglais et le russe, langues qui étaient soient la langue maternelle ou la langue d'arrivée des interprètes, la moitié des discours a été interprétée du russe vers l'anglais et vice versa.
Les chercheurs ont relevé les potentiels évoqués cognitifs afin d'obtenir des relevés mesurables à partir des électroencéphalogrammes obtenus alors que les interprètes étaient en plein travail.
Redistribution dynamique de la concentration
La conclusion de l'article est la suivante : « les données suggèrent que les interprètes simultanés effectuent une redistribution dynamique de la concentration ».
« Plus l'interprète prend du retard par rapport à l'orateur, plus ses ressources cognitives sont sollicitées afin de retenir et de traiter de l'information récente dans sa mémoire à court terme, et moins il a de ressources disponibles pour traiter de l'information nouvelle », explique Roman Koshkin. La recherche valide donc cette affirmation évidente : il est important de ne pas prendre trop de retard par rapport à l'orateur.
« L'art de l'interprétation simultanée a peu à voir avec la traduction littérale. Il consiste à savoir quand ralentir, quand s'éloigner des mots de l'orateur afin de produire une traduction élégante fondée sur un contexte élargi, élaboré à partir de précédents discours de l'orateur et du sens commun », selon Roman Koshkin.
En ce qui a trait aux limites de sa recherche, Roman Koshkin mentionne le faible échantillon de participants, l'utilisation d'une seule combinaison de langues et les possibles différences entre les compétences des interprètes professionnels. De plus, l'expérience n'a pas analysé le troisième élément du modèle des efforts, la production du discours en langue d’arrivée.
« J'espère que notre recherche aidera nos collègues à trouver le nombre idéal de mots qui leur permet de comprendre et de rendre le sens de ce qui a été dit à un auditoire sans perdre d'importants détails en raison d'une mémoire surchargée », explique Roman Koshkin.
L’article suivant a paru dans le quotidien britannique « The Times » le 3 décembre 2018 et a été traduit par Isabelle Pouliot, traductrice agréée de l'anglais vers le français de l'Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ). http://traduction.desim.ca
Man shall not live by bread alone (Ce n'est pas seulement de pain que l'homme vivra). Mais il serait sage que l'homme n'y ajoute ni beurre, jambon ou fromage afin d'éviter d'offenser ses semblables.
Les expressions renfermant des références à la viande, aux produits laitiers et à la cruauté envers les animaux seront sacrifiées, ou plutôt soustraites de la langue anglaise, puisque le végétalisme fait en sorte que des gens s'abstiennent d'utiliser des expressions comme « bringing home the bacon » (traduction littérale : ramener du bacon à la maison); mettre du beurre dans les épinards, selon une universitaire.
bringing home the bacon
mettre du beurre dans les épinards
De telles références affligeantes sont abondamment employées depuis des siècles en anglais, dans la langue écrite et la langue parlée. Elles vont de taking a bull by the horns (prendre le taureau par les cornes) à letting the cat out of the bag (traduction littérale : laisser le chat sortir du sac; vendre la mèche) ou encore putting all one’s eggs in one basket(mettre tous ses œufs dans le même panier). Le grand lexicographe Samuel Johnson ne faisait pas que recenser ces expressions, mais a aussi déjà dit « Any of us would kill a cow, rather than not have beef » (N'importe lequel d'entre nous tuerait une vache plutôt que de se priver de bœuf).
« Feeding two birds with one scone » (nourrir deux oiseaux avec un scone) est une image plus forte que « killing two birds with one stone » (traduction littérale : tuer deux oiseaux avec une même pierre; l'expression consacrée est « faire d'une pierre deux coups »), selon une universitaire.
Cette chercheuse de l'université Swansea, Shareena Hamzah, prédit cependant que le lexique va se modifier à mesure que la sensibilisation augmentera envers les enjeux du végétalisme et qu'on discutera davantage de la cruauté envers les animaux, d'une saine alimentation et des répercussions sur les changements climatiques qu'engendre la demande pour la viande. Une avenue pourrait être l'emploi d'expressions dénuées de cruauté envers les animaux, comme le suggère l'organisme de défense des droits des animaux, PETA, lequel milite pour l'adoption de ces expressions en milieu scolaire. Par exemple, « flogging a dead horse » (traduction littérale : cravacher un cheval mort; s'acharner inutilement) devient « nourrir un cheval repu ».
« Si le végétalisme nous force à affronter la réalité des origines de notre nourriture, cette sensibilisation accrue se reflètera forcément dans notre langue et notre littérature », expliquait Mme Hamzah sur le site The Conversation, où écrivent des universitaires. « La sensibilisation accrue envers les enjeux du végétalisme va s'ancrer dans les consciences et produira de nouvelles expressions. »
La phraséologie* plus attentionnée de l'avenir ne diluera pas la puissance d'évocation de la langue, argumente Mme Hamzah, parce qu'éviter d'employer des expressions violentes inutilement renforcera leur puissance lorsqu'elles seront utilisées avec soin dans la fiction.
Comme elle l'explique, « L'image de tuer deux oiseaux avec une même pierre frappe encore plus les esprits par le contraste avec l'expression plus soucieuse du bien-être animal nourrir deux oiseaux avec un scone. »
Mme Hamzah cite une suggestion de PETA : en plus de remplacer stone par scone, les enseignants devraient éliminer l'expression « taking the bull by the horns » et la remplacer par « taking the flower by the thorns » (prendre la fleur par les épines).
De même l'expression « more than one way to skin a cat » (traduction littérale : plus d'une manière d'écorcher un chat) devrait être « plus d'une façon d'éplucher une pomme de terre ».
Voici l'explication tirée du site Web de l'organisme : « Même si ces expressions peuvent sembler inoffensives, elles sont porteuses de sens et peuvent envoyer des messages contradictoires aux élèves à propos de la relation entre l'humain et l'animal et normaliser les mauvais traitements [envers les animaux]. Le fait d'enseigner aux élèves un vocabulaire respectueux du bien-être animal peut cultiver des relations positives entre tous les êtres vivants. »
Dans son article, Mme Hamzah plaide également que la viande représente une source d'emprise et de « pouvoir social ».
Son explication : « Historiquement, les ressources nécessaires à l'obtention de la viande faisaient en sorte qu'elle était réservée aux classes dominantes, tandis que les paysans avaient principalement une alimentation végétarienne. C'est ce qui explique que la consommation de viande était associée à des structures de pouvoir dominantes de la société, puisque l'absence de viande dans l'alimentation constituait un indicateur d'appartenance à des groupes défavorisés, tels les femmes et les enfants. Maîtriser l'approvisionnement en viande signifiait maîtriser le peuple ».
[*Phraséologie : Ensemble des expressions, locutions, collocations et phrases codées conventionnellement dans la langue générale.]
RÉÉDUCATION DU LANGAGE
Connotation négativebring home the bacon (Ramener du bacon à la maison) Connotation positive bring home the bagels (Ramener des bagels à la maison)
Connotation négativeput all your eggs in one basket (Mettre tous ses œufs dans le même panier) Connotation positiveput all your berries in one bowl (Mettre tous ses baies dans le même panier)
Connotation négative open a can of worms (Ouvrir une boîte de vers) Connotation positive open Pandora’s box (Ouvrir une boîte de pandore)
Connotation négative flog a dead horse (Cravacher un cheval mort) Connotation positivefeed a fed horse (Nourrir un cheval repu)
Connotation négativebe the guinea pig (Servir de cobaye) Connotation positive bethetest tube (Servir d'éprouvette de laboratoire)
Connotation négative hold your horses (Retenir vos chevaux) Connotation positive hold the phone (Tenir votre téléphone)
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