– dans les Centres de ressources pour le français (CRFK) au Kenya
Nous sommes heureux de retrouver notre contributrice fidèle, Magdalena Chrusciel, notre traductrice du mois de mars 2013. Voici son reportage à partir de Nairobi (Kenya), où Magdalena et son epoux habitent depuis quelques années.
Les pays africains restent partagés quant à leur héritage linguistique colonial, l’Afrique de l’est largement anglophone, celle de l'ouest francophone. Cependant, cette division n’est pas inflexible, comme nous l’avons vu au Rwanda qui a introduit l’anglais comme langue officielle de l’éducation et l'administration. Au cours de mes années au Kenya, j’ai pu constater le grand intérêt des Kenyans pour le français - son apprentissage fait certainement partie du bagage apprécié des universitaires, en plus de un « je ne sais quoi » de la culture française, leur offrant des emplois en lien avec l’Afrique francophone. De plus, la France est très présente au plan économique au Kenya, avec beaucoup d’expatriés actifs ici.
« Quant à moi », raconte Magdalena, « j’ai découvert le village de Mitahato par un reportage sur la chaîne TV5Monde, faisant partie de l’offre de base de la télévision au Kenya, et par la suite j’en ai entendu parler par des expatriés. De quoi me mettre en route, pour voir et apporter des bouquins. »
Par une chaude et ensoleillée journée – presque estivale - de fin d’octobre, à 30 km de Nairobi et une petite heure de route, je me suis rendue à Mitahato, premier et seul village francophone au Kenya, situé dans le comté de Kiambu. Mitahato la verte, riche de ses arbres immenses, se trouve en pleine zone de plantations de bananes, maïs et caféiers notamment. On est loin de la pollution et du trafic ahurissant de Nairobi, et il y fait plus chaud.
Comté de Kiambu, plantations de café.
J’ai été chaleureusement accueillie par Solène Fournier, qui y effectue son service civil d’une durée d’une année. Assistante sociale diplômée, Solène a saisi cette chance d’expérience africaine, dans des conditions parfois fort différentes de sa Savoie natale. Car s’il est vrai que la nature et le temps sont merveilleux, il faut savoir s’arranger avec les nombreuses coupures d’électricité et une vie de simplicité dans un village de peu de ressources – bref, retrouver une lenteur et patience peu occidentales.
Mitahato compte 3200 habitants, dont 370 sont apprenants du français ! Alors que le village compte 4 écoles, dont une privée, les principaux lecteurs de la bibliothèque proviennent de Mitahato Primary et Secondary School. Ainsi, à Gathirimu High school, 10% d’écoliers apprennent le français, tandis que la moitié des étudiants de l’école privée locale étudient le français. Le français n’est pas ici réservé aux mieux nantis.
Les derniers bouquins remis à Solène.
Le Centre de ressources est né à l’initiative de Chris Mburu, Kenyan, qui a souhaité offrir aux habitants de son village d’origine la possibilité d’apprendre le français. La bibliothèque a été installée dans une maison familiale du fondateur. Créée en 2020, la bibliothèque soutenue par l’ambassade et le groupe des ambassadeurs francophones, fait partie d’un réseau de 20 centres de ressources pour le français (CRFK) au Kenya – allant d’Eldoret dans le Nord jusqu’à Mombasa sur la côte. Les CRFK ont été initiés en 2008 par l’ambassade de France et offrent leurs ressources à la fois aux étudiants et aux enseignants du français.
Tous les jours du lundi au samedi, une dizaine et plus d’enfants accourent, à la sortie d’école, pour suivre un cours donné par un professeur kenyan. Des étudiants plus âgés viennent en visite, et la bibliothèque est régulièrement approvisionnée en livres, magazines et publications diverses. Les plus jeunes apprécient particulièrement les programmes visionnés à la télévision et sur internet. En plus des livres que j’ai offerts, bouquins et revues ont été fournis par mes collègues du Club de lecture de Nairobi-Accueil.
Je remercie mes amies lectrices J et bonnes lectures aux petits et grands visiteurs de la bibliothèque.
L'article qui suit a été publie en anglais dans le journal londonnien, The Financial Times, et traduit par notre contributrice fidèle, Magdalena Chusciel. Magdalena fut notre traductrice du mois de mars 2013.
Godfrey Chuo se souvient encore de la réaction de ses élèves du primaire il y a trois décennies lorsque, alors jeune enseignant dans le nord-ouest du Cameroun, il est passé de l'explication des idées en anglais - la langue officielle d'enseignement - à sa langue maternelle, le kom.
« Les enfants étaient tellement excités et motivés », dit-il. « Lorsqu'on enseigne dans leur propre langue, ils travaillent même au-delà de ce que demande l'enseignant. C'est juste fantastique."
En revanche, Chuo a constaté que lorsque les élèves commencent à apprendre dans une langue étrangère, leur éducation ralentit. « Ils apprennent mieux dans leur langue maternelle, la langue du cœur, qui n'est pas apprise mais héritée de leurs parents », constate-t-il.
En fait, dans de nombreux pays à faible revenu à travers le monde, en particulier ceux d'Afrique, il existe un fort chevauchement entre les mauvais résultats scolaires globaux et l'utilisation prédominante d'une ancienne langue coloniale dans les écoles (voir le graphique). Ceci s'applique à l'utilisation de l'anglais, du français, du portugais, de l'espagnol ou de l'arabe.
Alphabétisation par langue d’enseignement, Afrique*
Capable de lire une phrase (%)
colonial mix indigène
Age en 2018
Source : Rajesh Ramachadran, Financial Times
*Echantillon de plus d’un million dans 30 pays africains, avec 5 ans de scolarisation
Certains parents et décideurs pensent toujours que l'immersion dans l'une de ces langues à l'école est essentielle à la maîtrise linguistique et à la réussite futures de leurs enfants. Mais d'autres soutiennent que les élèves ont du mal à apprendre dans une langue inconnue souvent mal parlée par leur propre famille, leur communauté voire même par les enseignants eux-mêmes.
En atteignant une plus grande maîtrise de leur langue maternelle, ils peuvent au contraire gagner en confiance, affirmer leur identité et poser les bases pour développer une capacité d'apprentissage plus profonde, soutiennent les partisans. Cela peut même permettre le passage à une autre langue pour la scolarisation, dans les années primaires ultérieures.
Comme le souligne Barbara Trudell, consultante auprès de SIL, une organisation confessionnelle à but non lucratif qui a soutenu le programme en faveur du kom au Cameroun : « L'anglais est la langue du contenu incompréhensible, de la punition pour les mauvaises réponses, des examens qui déterminent son avenir. La langue maternelle est la langue de la maison, du jeu, du réconfort et de la compréhension. Lorsque les élèves commencent à interagir avec un enseignant dans leur langue maternelle, ils se relâchent visiblement ».
Rajesh Ramachandran, chercheur à l'Université de Heidelberg, a également étudié l'héritage des systèmes coloniaux et observé un effet positif de l'introduction de l'enseignement de la langue maternelle, notamment le kom au Cameroun. « Vous pouvez très bien réussir à scolariser les enfants, mais une fois en classe, il sera difficile de les préparer au monde s’ils peinent à lire une phrase », dit-il.
Dans une recherche internationale publiée par l'Unesco, Ramachandran a calculé que 69 pour cent des adultes ayant suivi cinq ans de scolarité dans des systèmes utilisant des langues autochtones pouvaient lire une phrase entière, contre 41 pour cent dans les systèmes coloniaux ou mixtes. Tenant compte de l'âge, de la religion et du lieu de résidence, cet écart dans les résultats en littératie est passé de 28 à 40 points de pourcentage.
Ironiquement, les lois de l'ère de l'apartheid conçues pour discriminer les Sud-Africains noirs dans la province du Natal – en insistant sur le fait qu'ils n'apprennent que dans les langues locales – ont eu un effet positif. Ils ont entraîné, dans l’ensemble, un taux d'alphabétisation plus élevé par rapport aux autres provinces du pays.
Depuis lors, d'autres pays ont expérimenté le passage aux langues locales dominantes, au moins au cours des premières années du primaire.
Au Sénégal, par exemple, l'USAID, l'agence d'aide officielle américaine, a suivi l'amélioration des résultats obtenus grâce à Lecture pour Tous, un programme qui propose un enseignement en pulaar, seereer et wolof avant de passer au français pour les élèves plus âgés.
De même, Ben Piper, directeur principal pour l'éducation en Afrique à RTI International, un institut de recherche à but non lucratif, a mesuré des gains importants en matière d'alphabétisation dans les écoles du Kenya qui sont passées de l'enseignement des premières années dans les langues nationales anglais et kiswahili aux langues locales.
Mais Piper prévient qu'il existe peu d'études rigoureuses sur les résultats globaux. De nombreux facteurs peuvent réduire les avantages apparents, notamment la complexité des langues locales, la qualité des enseignants (qui peuvent ne pas les maîtriser) et la qualité souvent médiocre des ressources, y compris les manuels, en particulier dans les langues avec peu de tradition écrite.
D'autres soulignent les difficultés de mise en œuvre dans les pays où se pratiquent plusieurs langues locales, dont le choix peut attiser les tensions ethniques et politiques. Steve Walter, professeur agrégé à l'Université internationale de Dallas, pointe du doigt "un bras de fer politique" au Timor oriental, où il a soutenu un changement mais "des gens influents veulent toujours le portugais".
Néanmoins, Walter voit une évolution vers un intérêt et un débat accrus sur le terrain. « Quand j'ai commencé à assister aux réunions de la Société d'éducation internationale comparée il y a 25 ans, si quelqu'un parlait d'éducation dans la langue maternelle, les gens ricanaient et disaient qu'ils étaient extrémistes », dit-il. « Désormais, 10 à 20 séances seront consacrées à la question. Il y a beaucoup plus d'ouverture. »
L'expérience du Cameroun en matière d'enseignement en langue maternelle dans le nord-ouest a échoué avec une guerre civile qui a entraîné la fermeture des écoles de la région au cours des trois dernières années. Mais Chuo, qui est actuellement basé dans la capitale Yaoundé, reste déterminé.
Il forme une nouvelle génération d'enseignants à ses techniques et espère ouvrir des classes complémentaires de kom aux émigrés. « Les communautés me demandent de revenir et de faire quelque chose », dit-il.
Note du blog : ex Africa semper aliquid novi
Misquotation: ‘Always something new out of Africa’
A proverbial expression, translating the Latin ex Africa semper aliquid novi, used in English from the mid 16th century; since 1937, the phrase has probably also evoked the thought of Karen Blixen’s memoir Out of Africa. The immediate source of the saying is a passage in the Natural History of the Roman scholar Pliny the Elder. Explaining the number of African animals by hybridization (for example, lions breeding with leopards), Pliny explains that this is what gave rise to what he calls a common Greek saying that ‘Africa always brings forth something new.’ The allusion is to a passage in Aristotle’s History of Animals in which he notes that the most numerous forms of wild animals are to be found in Libya, and give the saying ‘Libya is always showing something new.’
L’article qui suit, qui traite de deux hommes de lettres irlandais, Oscar Wilde et George Bernard Shaw, a été rédigé pour le blog par Colman O’Criodain et traduit par son épouse, Magdalena Chrusciel. Colman, natif de l’Irlande, comme ces deux auteurs, travaille aux Fonds mondial pour la nature (WWF), depuis Nairobi, en tant que manager de la politique globale des espèces sauvages. Colman a vécu en Belgique, Suisse et France. Grand fan de Wilde aussi bien que de Shaw (et de ce dernier en particulier), il consacre son temps libre à la lecture. Passionné de théâtre en général, de cinéma, de musique classique, d’histoire et de la bonne cuisine, il a écrit et publié un livre pour jeune public, The Master’s Book, sous le nom de plume Philip Coleman.
Magdalena, notre contributrice fidèle, a été notre « traductrice du mois » de mars 2013. Elle a grandi à Genève et y a fait des études qu'elle a ensuite poursuivies à l'Université de Varsovie. Revenue en Suisse et diplômée de l'E.T.I. de Genève, elle possède une palette linguistique aussi large qu'originale avec la maîtrise de quatre langues : polonais, russe, français et anglais. Elle est traductrice-jurée et mène également des activités d'enseignement et de formation professionnelle. Des contributions précedentes de Magdalena figure à https://www.le-mot-juste-en-anglais.com/magdalena-chruschiel/ et a https://www.clio-histoire.com/magdalena-chruschiel/.
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De nos jours, si vous demandiez à quelqu’un ayant des connaissances même superficielles du Nouveau Testament comment s’appelait la fille d’Hérodias et belle-fille du roi juif Hérode Antipas, dont la danse a entraîné la mort de Jean-Baptiste, on vous dira le nom de Salomé. Cependant, cela n’a pas toujours été ainsi.
L’histoire de la mort de Jean-Baptiste est relatée dans deux des quatre évangiles, celles de Matthieu et Marc. Le récit de Marc est légèrement plus long, et tous les deux récits ne sont que de courts épisodes dans des chapitres plus longs. Dans les deux cas, Hérode, ayant été captivé par la danse de sa belle-fille, jure de lui accorder tout ce qu’elle demandera. Sur quoi, après avoir consulté sa mère, la jeune fille demande la tête de Jean sur un plateau d’argent, plateau qu’elle apportera par la suite à sa mère. Toutefois, la jeune fille n’est nommée dans aucun des récits.
Salomé avec la tête de Jean-Baptiste
Jacob Cornelisz van Oostsanen 1524
Son nom n’est cité que dans une source quasiment d’époque, les Antiquités judaïques de Flavius Josèphe, écrit quelque soixante-dix ans après les faits décrits par les deux évangélistes. Sans mentionner l’épisode de la mort de Jean-Baptiste, Josèphe évoque clairement qu’Hérodias, au moment de son mariage avec Hérode II, avait déjà une fille nommée Salomé.
Salomé Hans Hassenteufel 1927
Hérodias
Par la suite, le nom de Salomé sera associé, dans l’art européen, à la mort du prophète, notamment dans un tableau de Titien. Toutefois, c’est dès le XIXe siècle que le nom s’associera dans la culture populaire au personnage du Nouveau Testament, tout d’abord avec le poème Hérodiade de Prosper Mallarmé (1864), puis l’histoire éponyme de Gustave Flaubert (1877). Dans les deux cas, à l’instar du Nouveau Testament, Salomé n’est que le jouet de sa mère ; Flaubert la dépeint comme une fille plutôt stupide qui ne se souvient même pas du nom du prophète au moment où elle réclame sa tête. Le récit de Flaubert sera par la suite adapté en opéra par Massenet, avec l’aide du librettiste Paul Milliet. L’opéra prendra toutefois des libertés avec le texte de Flaubert, notamment en étant la première version de l’histoire qui se termine par la mort de Salomé. Cette histoire a obsédé Oscar Wilde depuis ses années d’étudiant à Oxford. Lors de sa lune de miel, en 1884, il fut frappé par la description de Salomé dans deux tableaux de Moreau dans le roman de Huysmans, A rebours. Plus tard, en 1889, il sera invité à rédiger l’introduction à la traduction anglaise de la première pièce de Maurice Maeterlinck, La Princesse Maleine, qu’il tenait en grande estime. C’est sans doute pour ces deux raisons qu’il fut amené à écrire la pièce en français plutôt qu’en anglais, alors que, tout comme Maeterlinck (qui était flamand), le français n’était pas sa langue maternelle. Malheureusement, bien que très admiré, le style de Maeterlinck, se prêtait à la parodie, de sorte que lorsque Wilde fit lecture des premières ébauches de la pièce à des amis, certains ont cru à un pastiche délibéré (ce qui n’amusa pas Wilde). Pour moi, l’influence de Maeterlinck va plus loin. C’est peut-être la seule œuvre de Wilde où l’humour et une leçon de morale sont absents, qui est intensément atmosphérique, avec d’emblée un sentiment omniprésent de catastrophe imminente. A ces égards aussi, l’œuvre doit beaucoup à la vision romantique tardive de Maeterlinck.
Wilde a écrit une grande partie de la pièce à Paris en 1891, la complétant à Torquay. A Paris, il se fit conseiller sur son français par trois amis : Stuart Merrill, Adolph Retté et Pierre Louÿs. Sa version compte comme la reprise la plus audacieuse de l’histoire à l’époque, mais de nos jours, elle est probablement plus répandue que toute version antérieure, y compris celles du Nouveau Testament.
Plutôt que d’être le jouet de sa mère, Salomé est le moteur du complot – même si le résultat est conforme aux souhaits de sa mère. Obsédée érotiquement par Jokanaan (comme Wilde nomme Jean le Baptiste), lorsque ce dernier rejette catégoriquement ses avances, lui ordonnant de ne pas profaner le temple du Seigneur, elle conçoit un moyen de tromper son beau-père, qui est obsédé par elle et la supplie de danser pour lui, tout en nourrissant une peur superstitieuse de tuer le prophète. Elle accepte de le faire s’il répond à son désir, ce qu’il a l’imprudence d’accepter. Ayant exécuté la célèbre danse des sept voiles, elle réclamera la tête de Jokanaan, pour le plus grand plaisir d’Hérodias et horrifiant Hérode. Pourtant, ayant prêté serment, il n’a finalement d’autre choix que d’honorer sa promesse. Alors qu’on lui apporte la tête, Salomé se lance dans un monologue triomphant, déclarant son amour pour Jokanaan, et finit par lui baiser la bouche. La pièce se termine avec Hérode ordonnant à ses soldats de la tuer, ce qu'ils font en la massacrant sous leurs boucliers. En 1892, Wilde assiste à une fête organisée par le grand acteur britannique Henry Irving, en l'honneur de Sarah Bernhardt, alors en tournée à Londres.
Née en 1844 à Paris d'une courtisane hollandaise, Sarah s'appelait Henriette-Rosine Bernard. Sa mère étant souvent absente, elle passa ses premières années dans divers foyers à travers la France. Lorsqu’elle eut sept ans, sa mère l'inscrivit dans un internat pour jeunes filles à Auteuil, près de Paris. À 10 ans, l'un des clients de sa mère, du nom de Charles de Morny, duc de Morny (probablement son père biologique) paiera pour ses études à Grandchamp, une école conventuelle exclusive près de Versailles, où elle découvre le théâtre en jouant dans des pièces d’école. En 1859, elle assiste à sa première représentation théâtrale à la Comédie Française avec Morny et sa mère. Sarah en fut tellement fascinée que Morny utilisa son argent et son influence pour l'inscrire au Conservatoire d'art dramatique de Paris, où elle étudiera le théâtre de 1860 à 1862. Ses engagements ultérieurs à la Comédie Française et au Théâtre du Gymnase dramatique prirent fin brusquement – par la suite aussi son tempérament explosif ne restera pas sans conséquences. En 1864, elle changea de nom pour devenir Sarah Bernhardt. La même année, alors qu'elle n'avait que vingt ans, elle donna naissance à son fils, Maurice. Elle n'en informera jamais le père véritable - le prince Henri de Ligne, qu'elle avait rencontré en Belgique - prétendant à la place que le père était soit Léon Gambetta (homme politique français), Georges Boulanger (général et homme d'État) voire Victor Hugo.
1893: Illustration for Oscar Wilde’s Salomé, Aubrey Vincent Beardsley. (Photo: Corbis)
Vingt-huit ans plus tard, au moment où elle assistait à la fête donnée par Irving, elle était devenue célèbre dans le monde entier. À ce moment-là, elle aussi bien que Wilde étaient célèbres indépendamment de leurs talents artistiques, simplement par la couverture médiatique. Tous deux avaient fait une tournée aux États-Unis, tous deux créaient leurs propres vêtements, tous deux faisaient souvent objet de caricatures. Bernhardt était fière de sa réputation quelque peu scandaleuse, ayant joué à la fois des rôles masculins et féminins - beaucoup de ces derniers étant des rôles lascifs que les Parisiens respectables estimaient «ne pas pouvoir montrer à leurs filles ». Lorsqu'elle venait à des événements mondains accompagnée de son fils, elle n’hésitait pas à présenter le couple comme « Mademoiselle Sarah Bernhardt et son fils ». Avec cette réputation, il n'est pas surprenant que, lorsqu'elle demanda à Wilde d’écrire une pièce pour elle, il lui répondit que c’était chose faite, lui montrant par la suite le manuscrit de Salomé. Son âge n'était pas considéré comme un obstacle ; à peine deux ans plus tôt, elle avait épaté le public avec son portrait d’une Jeanne d'Arc âgée de dix-neuf ans.
Malheureusement, alors que les répétitions, les décors et les costumes étaient bien avancés, la production fut arrêtée par les fonctionnaires du Lord Chamberlain, sous prétexte d’une ancienne loi qui interdisait la représentation sur scène de personnages bibliques. Ce qui rendit furieuse Bernhardt, qui trouvait que Wilde aurait dû le prévoir. Il plaida (un peu maladroitement) qu'il ne s'était pas attendu à un problème comme la pièce était écrite en français. Mais, furieux lui-même, il menaça, en représailles, de renoncer à sa naturalisation française.
En quelques années, bien des choses changèrent. L’homosexualité de Wilde a entraîné sa chute. Pour avoir été qualifié de «se montrant sodomite », il entama un procès en diffamation au marquis de Queensberry, procès perdu qui donna lieu à deux autres procès pour « grossière indécence ». Dans le premier cas, le jury n'aboutit pas à un verdict, mais dans le second, Wilde sera condamné, et deux ans de prison s’ensuivirent. En 1900, alors âgé de trente-six ans, il mourut dans le grand dénuement à Paris.
Cependant, malgré des controverses occasionnelles, Salomé s’est durablement établie dans le canon théâtral, tandis que l’opéra basé sur la pièce de Richard Strauss reste extrêmement populaire (quant à l’opéra de Massenet, il est largement oublié). Il vaut peut-être la peine de mentionner que deux adaptations lyriques de l’œuvre de Maeterlinck - Pelléas et Mélisande de Debussy, et Château de Barbe Bleue de Bartok, sont également des œuvres établies dans le répertoire.
Et qu'en fut-il de Sarah Bernhardt ? Sa carrière continua grandissant et occupant la une des journaux. Malgré une amputation de jambe en 1915 et une santé déclinante en raison d'urémie, elle resta active jusqu'à soixante-dix ans. Elle joua même dans un certain nombre de films muets, dont trois sont disponibles sur DVD. Il faut tout de même convenir que, pour le public moderne, son style est extrêmement exagéré et (tout comme l’écriture de Maeterlinck), proche de la parodie.
Son public n’aurait en grande partie pas été au courant des développement qui finiraient par changer à jamais l’approche du jeu d’acteur. Certains d’entre eux auraient peut-être eu connaissance des écrits de Freud, qui sous-tendent largement la théorie derrière cette approche. Cependant, même avant sa première publication, et plus d’une décennie avant le premier film de Bernhardt, Konstantin Stanislawski avait ouvert son Théâtre d’art de Moscou, reconnaissant que le théâtre innovant de Tchekhov exigeait un nouveau style d’acteur naturaliste (une des pièces de Maeterlinck, l’Oiseau bleu, y fut également représentée). Mais ce ne sera que dans les années 1930 que sa méthode commencera à faire des disciples aux États-Unis, dont la brillante Stella Adler. C’est en 1944, lorsqu’un de ses élèves, un certain Marlon Brando, fit ses débuts à Broadway, qu’elle devint connue du grand public. De nos jours, le jeu classique et le jeu de méthode coexistent, et de nombreux acteurs recourent à tous les deux styles en fonction des besoins de la pièce. La forte emphase de la gesticulation pratiquée par Bernhardt appartient désormais essentiellement au passé.
Sarah Bernhardt tout comme Oscar Wilde sont enterrés au cimetière du Père Lachaise à Paris.
« La memoire d'Oscar Wilde est a respecter. Veuillez ne pas défigurer ce tombeau. Il est protégé au titre des monuments historiques et fut restauré en 1992.»
L'auteur tient à remercier Jonathan Goldberg et Helen Leneman pour leur aide dans la rédaction de ce bref compte-rendu.
ANNONCE À LA SUITE DE LA PARUTION DE L'ARTICLE CI-DESSUS :
i have the manuscript of a play written in French by Sarah Bernhardt, entrusted to me by a prominent New York producer / director who believes the play has merit and would like to produce it in English. Such a translation would require several months of research and writing, so the contractual arrangements would need to be agreed beforehand. Should any impresario wish to undertake this project, please let me know. James Nolan: [email protected] / [email protected]
L’article qui suit, traitant de deux hommes de lettres irlandais, Oscar Wilde et George Bernard Shaw, a été rédigé pour le blog par Colman O’Criodain et traduit par son épouse, Magdalena Chrusciel. Colman, natif d'Irlande, comme ces deux auteurs, travaille aux Fonds mondial pour la nature (WWF), depuis Nairobi, en tant que manager de la politique globale des espèces sauvages. Colman a vécu en Belgique, Suisse et France. Grand fan de Wilde aussi bien que de Shaw (et de ce dernier en particulier), il consacre son temps libre à la lecture. Passionné de théâtre en général, de cinéma, de musique classique, d’histoire et de gastronomie, il a écrit et publié un livre pour jeune public, The Master’s Book, sous le nom de plume Philip Coleman.
Magdalena, notre contributrice fidèle, a été notre « traductrice du mois » de mars 2013. Elle a grandi à Genève et y a fait des études qu'elle a ensuite poursuivies à l'université de Varsovie. Revenue en Suisse et diplômée de l'E.T.I. de Genève, elle possède une palette linguistique aussi large qu'originale avec la maîtrise de quatre langues : polonais, russe, français et anglais. Elle est traductrice-jurée et mène également des activités d'enseignement et de formation professionnelle.
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Amuse-bouche du blogue :
Oscar Wilde a écrit une lettre à Edmond de Goncourt en français en décembre 1891 :
« On peut adorer une langue sans bien la parler, comme on peut aimer une femme sans la connaître. Français de sympathie, je suis Irlandais de race, et les Anglais m’ont condamné à parler le langage de Shakespeare. »
Oscar Wilde, selon son amie Ada Leverson : « Oscar est aussi bien connu que la Banque d'Angleterre, mais un tantinet moins solvable. »
Quand George Bernard Shaw envoie à Winston Churchill des billets pour la première de sa pièce de théâtre Pygmalion, le dramaturge écrit : « Venez avec un ami. Si vous en avez encore. »
Churchill répondit « Impossible d'assister à la première, mais je serai là pour la seconde représentation – s'il y en a une. » [1]
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Il est facile de comprendre pourquoi de nombreux amoureux de la littérature et du théâtre ont tendance à comparer Oscar Wilde[2] et George Bernard Shaw[3]. Un grand nombre de similarités sont évidentes. Tous les deux sont nés à Dublin (Shaw moins de deux ans après Wilde) et ont grandi à une vingtaine de minutes de marche l’un de l’autre. [4] Tous deux sont des géants de la littérature qui ont contribué à définir notre conception de la dramaturgie anglaise de la fin du dix-neuvième siècle et pour ce qui concerne Shaw, des premières années du vingtième. Et tous les deux sont surtout très réputés pour leur esprit incisif.
L'article qui suit a été adapté par notre fidèle contributrice, MagdalenaChrusciel, à partir d'un article sur le site The Phrase Finder.
Quelle est la signification de l’expression « Warts and all » ? La chose telle quelle, « avec les verrues et tout «
L’origine de l’expression
Ce sont les instructions d’Oliver Cromwell au peintre Sir Peter Lely, lors de la commande de son portrait, qui seraient à l’origine de l’expression.
A l’époque où il aurait prononcé ces paroles, Cromwell était Lord Protecteur d’Angleterre, soit le chef du gouvernement. Quant à Lely, devenu portraitiste attitré de Charles I après la restauration de la monarchie en 1660, il fut ensuite nommé peintre principal ordinaire de Charles II.
Comme c’était l’usage de son temps, il cherchait par son style de peinture à flatter son modèle. Les membres de la royauté, notamment, s’attendaient à ce que leurs portraits les représentent sous le meilleur jour possible, voire plus beaux que nature. Ainsi, le portrait de Charles II par Lely le montre tel que ce qu’on pouvait attendre d’une peinture de chef d’Etat au 17e siècle. Les mollets royaux bien formés y sont dépeints à leur avantage – une caractéristique très recherchée à l’époque.
Cromwell, lui, préféra être montré comme un gentilhomme à l’allure martiale ; il était réputé pour être réfractaire à toute forme de vanité personnelle. On oppose souvent le puritain à la tête ronde au fringant cavalier pour rendre compte de la différence de style entre les deux camps opposés dans le Commonwealth britannique, et par la suite à la Restauration. Il est tout à fait plausible qu’il instruisit d’exécuter son portrait sans embellissement d’aucune sorte, tout comme il est peu probable que Lely eût modifié son style en exécutant un portrait « nature » de Cromwell si cela ne lui avait pas été expressément demandé.
Nous sommes heureux de retrouverMagdalena Chrusciel, notre contributrice fidèle. Magdalena a été notre « traductrice du mois » de mars 2013. Elle a grandi à Genève et y a fait des études qu'elle a ensuite poursuivies à l'Université de Varsovie. Revenue en Suisse et diplômée de l'E.T.I. de Genève, elle possède une palette linguistique aussi large qu'originale avec la maîtrise de quatre langues : polonais, russe, français et anglais. Elle est traductrice-jurée et mène également des activités d'enseignement et de formation professionnelle.
Ce n'est guère une surprise que l'ouvrage ait obtenu le Prix Pulitzer, tant il est passionnant à la lecture. Churchill et Orwell, deux géants du vingtième siècle, ont davantage marqué l'histoire de leur temps que tout autre Britannique. En ce qui concerne Orwell, son influence n'a cessé de grandir avec le temps et reste toujours de grande actualité [1].
Les deux grands hommes ont eu à cœur liberté de la pensée, de la parole et de l'association, et ont chacun à sa manière combattu les deux grands totalitarismes de leur époque. De surcroît, l'ouvrage est un palpitant rappel de l'histoire de l'époque.
Tous deux auteurs ont connu des parents déficients – dans le cas de Churchill, on irait jusqu'à parler aujourd'hui d' »abandon criminel » parental. Une mère mondaine, Winston a toujours été dénigré par son père, et ne gagnera en assurance qu'au décès de ce dernier. Peu studieux, il complétera son éducation acquise à Eton par des lectures, puis dans ses expériences professionnelles en Inde, au Soudan, et en Afrique du Sud. Quant à Orwell, également diplômé d'Eton, il s'engagera à 19 ans dans la police impériale en Birmanie. L'expérience des lointaines colonies britanniques leur ouvrira les yeux - Orwell signera son premier roman consacré à la Birmanie, suivi d'une période de rédemption, il vivra en vagabond à Paris puis à Londres. Il en tirera son Down and Out (1933), et témoignera par la suite de la vie des mineurs de la région de Liverpool.
Churchill en politique
Rentré des colonies, Churchill entre dans la politique, rapidement en désaccord avec le gouvernement et son propre parti, il désapprouvera la politique d'apaisement vis-à-vis de l'Allemagne. Conscient qu'une telle politique britannique ne peut que conduire à la guerre, au vu du réarmement allemand, opposé aux conservateurs - il sera banni de la vie politique pendant dix ans.
Ainsi, lorsqu'il rencontra en 1937 Ribbentrop, alors ambassadeur au Royaume-Uni, il refusa de soutenir les projets allemands de Lebensraum en Europe de l'est. Dès octobre 1938, Churchill revient sur la scène lors du débat autour des accords de Munich, dans lesquels il voit une « unmitigated defeat », « a disaster of the first magnitude ». Alors que le gouvernement de Chamberlain n'avait rien entrepris pour armer la Grande-Bretagne, Churchill ayant prévu la guerre, il sera prié de réintégrer sa place au gouvernement.
En Espagne, Orwell développe sa vision politique
Lorsqu'il rejoint les républicains en 1938, son unité, appartenant au pro-trotskyste POUM, est dans le collimateur du NKVD. Des partisans seront liquidés : désabusé, constant les mensonges de la presse, de surcroît blessé dans le combat, il voit son groupe déclaré illicite : son expérience de la guerre d'Espagne sera cruciale pour l'écriture de son livre, « 1984 ». [ii]
Rentré en Grande-Bretagne, il rédige son « Homage to Catalonia » (Hommage à la Catalogne), se distanciant de la gauche traditionnelle pro-stalinienne – un essai peu remarqué en 1938, mais qui deviendra une des œuvres essentielles du 20e siècle.
A chacun ses armes de combat – romans ou discours
En septembre 39, Churchill réintègre le Cabinet. C'est à son charisme et son action – il échangera des centaines de messages avec Roosevelt – à qui l'on doit l'entrée des Etats-Unis dans la guerre. Comme rajeuni par la guerre, Churchill devient en mai 1940 le premier ministre incontournable.
Son discours d'investiture sera orienté sur la guerre et le sacrifice nécessaire « for without victory, there is no survival », alors que lui-même ignorait encore les sacrifices à venir. Orwell applaudit à la résistance obstinée que Churchill offrit aux Allemands. Alors que Joseph Kennedy, ambassadeur américain revenu de Londres, s'oppose à ce que les Américains partent en guerre, Churchill à lui seul convaincra l'envoyé privé de Roosevelt, que la Grande-Bretagne, avec Churchill en tête, méritât cette aide.
Orwell, ne pouvant devenir correspondant de guerre en raison de sa mauvaise santé, puisera dans la guerre l'élan pour écrire : 100 essais et articles rien qu'en 1940, suivi en 1945 par « Animal Farm « (La Ferme des animaux). Fin observateur, il se sent à la maison dans le Londres du Blitz, rédigeant une sorte de chant de la bataille, « The Lion and the Unicorn ». Dès cette époque, il prévoit la disparition de beaucoup de privilèges de classe, ce qui se produira en effet après la guerre.
La guerre fit beaucoup de héros dans la classe ouvrière, Churchill rendit l'armée attentive à ne pas appliquer un traitement de classe. Pour son combat à reconnaître les mérites des soldats, indépendamment de leurs origines sociales, Churchill fut le seul conservateur respecté d'Orwell.
Orwell rejoint la BBC, travail qu'il aima moyennement, mais qui débouchera en rencontre et appui nécessaire pour écrire son « 1984 ».
Pour gagner les appuis américains, Churchill passera deux semaines aux États-Unis, y prononçant un discours remarqué devant le Congrès : son rôle à maintenir l'alliance anglo-américaine reste sous-estimé.
Alors que les Britanniques essuient défaite après défaite – Singapour, Tobrouk, ils restent inconscients de la montée en puissance des Américains.
Dès la conférence de Téhéran, en 1943, Churchill sera écarté par Staline, qui traitera Roosevelt d'égal à égal ; tandis que cette conférence sera d'une influence centrale pour la rédaction de la « Ferme des animaux », véritable parabole des totalitarismes. Toutefois Orwell peina à trouver un éditeur, et son œuvre ne sera publiée qu'en août 1945.
Orwell rédigera un essai sur l'écriture journalistique, dont les 6 règles restent valables à ce jour: une bonne prose se doit simple, claire (ne cachant pas son propos), concise, doit éviter les métaphores usuelles, des mots tels que pacification, transfert de population qui cachent d'atroces réalités. De son côté, Churchill combat le verbiage obscur des documents officiels.
Déclin et triomphe : 1944-45
Dès Téhéran, l'entente américano-britannique faiblit, tout comme la communication entre Churchill et Roosevelt, les Américains n'ayant plus autant besoin des britanniques. Et même si Churchill commit des erreurs stratégiques de poids, il avait excellé dans la planification, sachant s'opposer à ses généraux.
Orwell, lui, constate l'anti-américanisme croissant, alors que c'est les Anglais qui prirent du retard, ayant négligé à tort sciences et technologie.
En effet, 7 mois plus tard, un gouvernement travailliste prend le pouvoir. Vers la fin de la guerre, Churchill, affaibli, prononce un discours mettant en garde contre les atteintes à la liberté du nouveau monde, à l'orwellienne, parlant du rideau de fer.
La revanche de Churchill viendra avec ses « Memoires of the Second World War » (Mémoires sur la deuxième guerre mondiale), où il donne grand cours à ses émotions, ce qui rend le livre lisible aujourd'hui encore. Le premier volume, « The Gathering Storm » (L'orage approche), restant le plus personnel, à l'écriture sûre et solide. Les deux premiers volumes sont considérés les meilleurs, en raison de leurs descriptions vivantes des faits et personnages. Par la suite, les mémoires deviennent moins personnels, Churchill entouré d'une équipe de recherches, avait même été accusé de plagiat. D'abord parus aux États-Unis, puis en 1954 en Grande-Bretagne, les Mémoires restent un témoignage important de la seconde guerre mondiale.
Ascension posthume d'Orwell
Rédigée sur l'île de Jura, dans un climat de grisaille, de fatigue et de rationnement en Angleterre, la dernière œuvre d'Orwell paraîtra au même moment que le 2e tome des Mémoires churchilliens.
Le héros de 1984, Winston Smith, vit tout près d'Abbey Road, où Orwell habita du temps de la guerre, (et que les Beatles rendront célèbres). Winston raisonne dans la tradition empirique des philosophes britanniques Locke, Hume, et plus récemment John Stuart Mill. Pareil à Orwell, son héros fume et reste sensible aux odeurs, et se veut un fidèle observateur du monde l'entourant. Par là, Orwell entrevoit le rôle des dissidents, tels que seront un Soljenitsyne ou un Sakharov, qui contribueront à abattre le totalitarisme soviétique.
Sans grand retentissement en Grande-Bretagne, le roman fit déjà sensation en Europe. Dans un ultime article, critique du 2e volume des mémoires de Churchill, Orwell en relève le « real… feeling for literature … restless, enquiring mind »
Alors qu'Orwell décède en janvier 1950, Churchill est réélu premier ministre en 1951, et recevra en 1953 le Nobel de la littérature. S'il ne fallait retenir une citation, retenons celle-ci : « I've taken a lot more out of alcohol than it's ever taken out of me ».
Orwell connaît le succès posthume le plus important de l'histoire littéraire britannique. Peu estimé des académiciens, pour être devenu un auteur populaire – 50 millions de copies vendues depuis sa mort, Orwell a largement dépassé Churchill en termes d'influence, tant sont fréquentes références, allusions et tributs à son œuvre. Et même s'il n'a guère connu la Russie, son intuition du totalitarisme est remarquable, et a été remarquée par Milosz, (Le pensée captive) en 1953 ; Solidarnosc émettra des timbres clandestins à l'effigie d'Orwell.
En 1984, son roman connut un nouveau succès avec 50'000 exemplaires publiés chaque jour tout au long de l'année, et les idées d'Orwell ont trouvé leur écho auprès des opposants aux régimes oppresseurs de tout bord, que ce soit en Irak, en Thaïlande, en Egypte ou au Zimbabwe, et surtout en Chine, qui a vu paraître 13 traductions de « 1984 ». La contribution la plus durable d'Orwell réside à ce jour dans les mots de son invention, tels que Big Brother, doublethink ainsi que dans son style, simple et déclaratif, qui reste un modèle pour le journalisme contemporain.
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[1] Après l'élection de Trump, les ventes de « 1984 » s'envolèrent, les commentateurs faisant des parallèles entre fiction et situation politique actuelle.
Winston Churchill (1871-1947) était un écrivain américain de fiction historique, populaire à la fin du 20e siècle. Il s’est vendu deux millions de son deuxième roman, Richard Carvel, et d’autres romans dans la décennie qui suivit. Etant devenu prospère, Churchill abandonna sa carrière d’écrivain et, à l’instar de son homonyme plus célèbre, se voua à la peinture. Sans lien de parenté, les deux Churchill s’étaient en fait rencontrés et communiquaient à l’occasion. Afin d’éviter une confusion, ils se mirent d’accord que le Winston britannique publierait sous le nom de Winston Spencer Churchill, ce qui fut abrégé par la suite en Winston S. Churchill.
Reportage de Magdalena Chrusciel avec l'aide précieuse d'Elsa Wack - nos contributrices fidèles
Le Prix international Man Booker existe depuis 2004. Il est décerné chaque année à un auteur, britannique ou étranger, pour un ouvrage en anglais ou largement diffusé en traduction anglaise. En 2016, son montant a été porté à 50 000£ et, dans le cas d'une traduction, il est équitablement partagé entre l'auteur et le traducteur. [1]
En 2016, le prix a été décerné à l'auteure sud-coréenne Yi Chong-jun et à sa traductrice anglaise, Deborah Smith. En juillet 2017, nous publiions une interview intitulée «Deborah Smith – linguiste du mois de juillet ».
Le lauréat du Prix international Man Booker 2017 sera annoncé le 13 juin. Voici les six candidats qui ont été nominés dans une première étape [2]:
Mathias Enard (France), Charlotte Mandell (États-Unis), Boussole (Compass) David Grossman (Israël), Jessica Cohen (États-Unis), A Horse Walks Into a Bar Roy Jacobsen (Norvège), Don Bartlett, Don Shaw (Grand Bretagne), The Unseen Dorthe Nors (Danemark), Misha Hoekstra (États-Unis), Mirror, Shoulder, Signal Amos Oz (Israël), Nicholas de Lange (Grand Bretagne), Judas Samanta Schweblin (Argentine), Megan McDowell (États-Unis), Fever Dream
Nicholas de Lange, professeur d'hébreu et d'études juives à l'Université de Cambridge, Grande-Bretagne, traducteur du livre « Judas », d'Amos Oz, a bien voulu nous accorder un entretien, qui se déroulera fin juin. Que « Judas » soit ou non couronné du prix international Man Booker, nous présenterons le Professeur Lange à nos lecteurs à ce moment-là.
En attendant, voici une brève présentation de l'écrivain Amos Oz. Oz est un auteur, romancier, journaliste et intellectuel israélien. Il enseigne également la littérature à l'université Ben-Gourion à Beersheba. Il est considéré comme l'écrivain israélien vivant le plus renommé.
Oz a été publié en 42 langues, y compris l'arabe, et dans 43 pays. De nombreux prix et distinctions lui furent décernés, parmi lesquels la Légion d'honneur en France, le prix Goethe, le prix de littérature du Prince des Asturies, le prix Heinrich Heine ainsi que le prix Israël. Des extraits de la traduction chinoise d'«Une histoire d'amour et de ténèbres» constituent depuis 2007 les premiers textes littéraires contemporains en hébreu à figurer dans un recueil officiel en chinois. En 2007, Oz avait fait partie des nominés pour le prix Man Booker. Un film realisé par Nathalie Portman a été inspiré par son autobiographie.
Depuis 1967, Oz s'est prononcé en faveur d'une solution à deux États du conflit israélo-palestinien.
Nous souhaitons bonne chance aux six auteurs ainsi qu'à leurs traducteurs pour le 13 juin.
En attendant, voici quelques commentaires intéressants sur l'intérêt des lecteurs pour la littérature traduite, exprimés par Deborah Smith et rapportés dans l'édition du 28.4.2017 du British Financial Times.
Selon Deborah, si ces dernières années des romans traduits ont été honorés par le prix Man Booker International (MBI) et d'autres prix, c'est que la littérature traduite est en train de monter en puissance auprès des lecteurs. Selon Nielsen BookScan, en 2015, 1,5% seulement des œuvres de fiction publiées au Royaume-Uni étaient des traductions alors qu'elles représentaient 5% du total des ventes de fiction", constate Smith. "La rapide expansion de la gamme des traductions, y compris de certains des auteurs contemporains les plus prisés dans la fiction littéraire et la fiction populaire, contredit la croyance selon laquelle les traductions sont des œuvres particulièrement difficiles ou d'un haut degré d'intellectualisme", explique Smith. "En revanche, le fait que seule la crème de la crème passe la barrière de la langue constitue une assurance de l'originalité et de la qualité de ces ouvrages – comme en témoignent ceux listés par MBI cette année", dit-elle. Smith voit également de manière optimiste l'attribution pour la première fois cette année du prix Warwick des Femmes en traduction, compte tenu de la sous-représentation endémique des traductions d'écrivaines. "Les traducteurs sont à bien des égards des auteurs – tout au long d'une traduction, nous nous escrimons contre certains mots, rêvons des personnages, malmenons notre dos et nos yeux et nous coupons de nos relations en restant rivés à nos ordinateurs quatorze heures par jour", ajoute Smith. "Mais tout cela, les auteurs le font aussi - cadence, ténacité, rythme et registre, avec en plus l'intrigue, le personnage et la création ex nihilo. Comment ne pas en être épaté?
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(1) « En élevant le statut des traducteurs, le prix relève celui du multilinguisme et des traductions, assez déconsidérées dans le monde anglo-saxon. Celles-ci ne seront plus de simples dérivés ou adaptations : les traductions publiées seront considérées comme des œuvres à part entière » (commentaire de Rebecca Walkowitz, auteure de Born Translated: The Contemporary Novel in an Age of World Literature, sur le nouveau prix Man Booker pour les œuvres de fiction traduites).
(2) Pour une critique de la sélection de six finalistes, voir :
hommage àMoniek Kroskof, alias Michel Thomas (1914 - 2005)
rédigé par Magdalena Chrusciel interprète et traductrice-jurée polonais-anglais-français
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Nombreux furent les réfugiés de guerre, survivants de la seconde guerre mondiale, à reconstruire leur vie dans un nouveau pays, qui s'élevèrent au sommet de leur art pour devenir même célèbres. Nous avons déjà évoqué un tel destin avec Krystyna Skarbek, l'extraordinaire comtesse et espionne favorite de Churchill, décorée de la Croix de guerre. [1] Le cas de Michel Thomas (1914-2005), Juif polonais, fut autrement unique, par la renommée qu'il se construisit dans le domaine des langues: la « méthode Michel Thomas » qui s'applique à l'enseignement de nombreuses langues y compris le japonais. Linguiste chevronné, il était capable de transmettre les bases d'une langue en quelques jours – et on compta parmi ses clients des célébrités telles que Woody Allen, Bob Dylan ou Emma Thompson. Agent secret pendant la guerre, gentleman courtois, chaleureux et doté d'une grande force, il a fait l'objet d'une excellente biographie de Christopher Robbins (Michel Thomas, The Test of Courage, publié chez Hodder Arnold, 1999). Le livre illustre bien le contexte historique d'une vie riche en événements au point de susciter, à l'époque, une polémique débouchant sur un procès.
Jeunesse à Lodz et Breslau
Né Moniek Kroskof à Lodz, dans une famille d'industriels du textile, d'une mère femme d'affaires divorcée, et d'un père ingénieur pétrolier, Michel grandit entouré de l'amour de femmes. Accompagnant sa mère dans ses déplacements d'affaires, il quittera la Pologne pour vivre auprès de ses oncles à Breslau, ville allemande à l'époque. Plus tard, il estimera que c'est le système d'éducation allemand, élitiste et laissant le prolétariat dans l'ignorance, qui fut à l'origine de la montée du nazisme. À la suite d'une altercation avec un policier, il décidera de quitter l'Allemagne et réussira à passer en France.
Exils français et autrichien
Paris débordant de réfugiés, il partira étudier à Bordeaux. Il y retrouvera un ami, le jeune écrivain Nelken qui, ne parvenant pas à publier son récit de la détention à Dachau, se suicidera, tragédie qui signera l'engagement antinazi de Thomas. Pressentant la guerre, Michel retournera voir sa famille à Lodz, sans réussir cependant à la convaincre de quitter la Pologne, et qu'il ne reverra plus jamais. Poursuivant ses études de philosophie et psychologie à Vienne, il y fit la connaissance de Suzanne Adler, parente du célèbre associé de Freud, son premier amour. Avec la montée des persécutions, il cherchera à partir pour Londres. Il n'y parviendra pas car son passeport polonais lui avait été confisqué. Alors qu'ils tentent d'entrer en France, Michel et Suzanne sont arrêtés par la Gestapo et menacés d'être déportés. Mais, Michel sut si bien argumenter qu'on les laissa traverser la frontière. Depuis Nice, il aidera de nombreux réfugiés à échapper aux déportations. Avec un groupe d'étudiants juifs, il cherchera à s'enrôler dans l'armée française, ce qui lui valut une peine de prison de trois mois pour entrée illégale en France. Acquitté et reparti pour Monaco, Michel se fait de nouveau arrêter à Nice.
Internements
Interné au camp du Vernet d'Ariège, dans les Pyrénées, dénommé le Dachau français, il y souffrit comme tant d'autres de malnutrition grave. Grâce aux démarches de la fidèle Suzanne, il est libéré au bout de huit mois. Comprenant que Suzanne avait obtenu sa libération en couchant avec un diplomate, il rompt avec elle. D'autres lieux sinistres suivront: le camp des Milles, les mines de Gardanne, dont il s'échappe pour rejoindre Lyon. Arrêté une fois de plus, il est renvoyé au camp des Milles. En juillet 42, alors qu'il apprend les plans de déportation massive des Juifs, on lui propose de rejoindre la Résistance. Alors qu'il allait être déporté vers Auschwitz, Michel arrivera à se faire hospitaliser et à s'enfuir, en usurpant l'identité d'un détenu malade.
Résistant courageux
Grâce à Yvonne, son contact, il rejoint la Résistance, où il agira sous cinq identités différentes. Michel vit entre Lyon et Grenoble - ville alors occupée par les Italiens. Un jour, alors qu'il se rend à Lyon, dans les bureaux de l'Union israélite de France, il est pris de mauvais pressentiments. En effet, la Gestapo est là – c'est Klaus Barbie lui-même qui l'interrogera. Feignant de ne pas parler allemand, prétendant être venu pour vendre ses dessins, il sort indemne d'une rencontre funeste, qui aura coûté ce jour-là leur vie à 86 Juifs (Barbie sera coupable de la mort de quelque 7.000 personnes).
Arrêté à Grenoble, torturé, il réussit une fois de plus à sauver sa peau par un subterfuge, en s'inventant une nouvelle identité, celle d'un prisonnier de guerre en Belgique, actif sur le marché noir. Il endossera à ce moment sa cinquième et dernière identité, celle de Michel Thomas. En tant que chef de section, il dirigera le groupe Biviers, affilié à l'armée secrète du Grésivaudan. Alors que les Allemands donnent l'assaut sur le plateau du Vercors, Michel assistera les déplacements des troupes de commandos.
Au service des Alliés
Entretemps, Suzanne, travaillant pour les services secrets américains depuis Lyon, se fait intercepter par des résistants qui refusent de la croire, et l'emprisonnent - Michel réussira par la suite à la faire libérer. Alors que Grenoble est libérée par les Alliés, Michel est chargé d'arrêter les miliciens, les fonctionnaires de Vichy et les collabos. Il va accompagner les Thunderbolts, arrivés d'Italie, jusqu'à Lyon - se rendant très utile comme interprète et dans les missions de reconnaissance. Parmi les prisonniers, un Allemand, portant sur lui sa citation pour avoir empêché de sauver des Juifs à Cracovie – c'est la seule fois où Michel, en général opposé à la violence et pacifiste, se laissera aller à la violence, cravachera l'homme. Pour son excellence dans ses missions de terrain, il est proposé à la plus haute distinction, la Silver Star.
Accompagnant l'armée en Allemagne, Michel sera transféré au Counter Intelligence Corps (service de contre-espionnage). Alors qu'il traverse le pays, il aura l'occasion de voir Dachau et ses sinistres usines de construction des fusées V-2. Il sera notamment amené à interroger Mahl, bourreau du camp, et mettra à l'abri les dossiers que les nazis avaient cherché à détruire, et qui seront à l'origine du Centre de documentation de Berlin. Dès lors, il mettra tous ses efforts au service de la réconciliation.
Lors des interrogatoires, Michel découvre des réseaux d'entraide nazis, qui aidaient des milliers d'entre eux à émigrer. Cependant, l'intérêt des Alliés se tournera vers les scientifiques, qu'ils feront sortir d'Allemagne, en même temps que des usines entières. En tant que numéro 2 du bureau d'Ulm, Michel sera notamment confronté au massacre de 350 soldats américains, dit « de Malmédy », pendant la contre-offensive allemande de décembre 1944. Il réussira à faire emprisonner un des responsables, Gustav Knittel, mais, constatant l'échec global de la dénazification, il démissionnera.
Nouvelle vie en Californie
En 1947, Michel embarque pour les Êtats-Unis, accompagné de son fidèle chien Barry. N'ayant pas de passeport américain, et ne pouvant travailler pour l'ONU, il rejoindra un oncle en Californie. Cependant, les années du maccarthysme ne l'épargneront pas, il sera attaqué dans les colonnes du Los Angeles Evening Herald Express. On y évoquera l'extraordinaire capture en 1945 par Michel, alors au service des renseignements de l'armée américaine, de Knittel, ainsi que celle de Mahl, le bourreau de Dachau. Ce dernier d'abord condamné à mort, puis à 10 ans de prison, réclamait des dommages pour quelques objets perdus et attaqua Michel en justice.
Convaincu des profondes vertus démocratiques de l'éducation, Michel va fonder, à Beverley Hills, son Polyglot Institute.[2]Sa méthode innovante permettait d'acquérir en trois jours, de solides bases d'une langue occidentale et, en 80-90 heures, d'atteindre le niveau correspondant à 2-3 semestres d'études classiques. Des personnalités recourent à ses services, telles que Grace Kelly au moment de partir pour Monaco, ou Yves Montand lors du tournage de Let's Make Love. [3]
Sa méthode, basée sur la responsabilité de l'enseignant, ne sera hélas pas reconnue par les milieux universitaires. Fin psychologue, Michel donnera des formations rapides, permettant en 15 jours de motiver une classe de jeunes noirs révoltés et récalcitrants. L'école de South Central Los Angeles deviendra un modèle d'enseignement de transition pour hispaniques, grâce aux cours prodigués par Michel. Dans les années 90, bien que le doyen de l'UCLA, H. Morris, fut acquis à sa méthode, le corps professoral s'opposera à l'intégration de celle-ci dans le cursus universitaire. Il épousera une enseignante, Alice Burns, et en aura un fils, Gourion.
La publication du récit de Christopher Robbins fut suivie d'un article calomnieux [4] , et Michel dut se résoudre à engager un procès coûteux, nécessitant des experts – archivistes, témoins de l'époque - afin de restaurer la véracité des faits. L'une des raisons de cette méfiance était qu'en Amérique on savait bien peu de choses des événements tragiques de la guerre qui s'était déroulée en Europe.
Et même si la méthode de Michel n'eût pas eu tout le rayonnement qu'elle aurait mérité, ses cours enregistrés connaîtront un vif succès tant aux Êtats-Unis qu'au Royaume-Uni. On peut aujourd'hui encore acquérir les CD d'apprentissage de différentes langues basés sur la méthode de Michel Thomas sur Internet, notamment sur Amazon.fr.
[1] C'est le cas aussi d'Arthur Koestler, écrivain britannique d'origine hongroise, à la plume aussi déliée en allemand qu'en anglais, et dont l'œuvre témoigne de son engagement politique, notamment dans la guerre d'Espagne. Voir : Témoin, écrivain, multilingue et inspirateur. Qui est-il ?
[2] renommée plus tard "The Michel Thomas Language Center"
[3] Voir les éloges de Woody Allen dans la vidéo ci-dessus
Voici une adaptation de l'article "Speaking a second language may change how you see the world", (Nicholas Weiler, SCIENCE, 17 mars 2015) rédigée par notre contributrice fidèle à Genève, Magdalena Chrusciel, traductrice-jurée, quimaîtrise quatre langues : polonais, russe, français et anglais.
Mais, il y a mieux encore, Magdalena nous a annoncé son intention d'épouser Monsieur Colman O'Criodain, docteur en biologie et écrivain, le 4 juin prochainà Chêne-Bougeries,dans les environs de Genève. Un mois après, le 4 juillet, une grande fête sera organisée pour les nouveaux époux dans un domaine de la forêt de Kampinos, près de Varsovie (Pologne). Nous souhaitons le plus grand bonheur aux futurs conjoints car, comme l'a écrit le sage Tomasz à Kempis [1] : "Nie ma nic słodszego ponad miłość, nic silniejszego, wspanialszego, większego, nic piękniejszego, bogatszego, nic lepszego ani w niebiosach, ani na ziemi". (« Il n'y a rien de plus doux que l'amour, rien de plus fort, de plus grand, de plus beau, rien de plus profond, rien de mieux, ni dans les cieux, ni sur la terre ».)
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La question que se poserait un germanophone serait plutôt de savoir vers quel lieu se dirige la femme, alors qu'un anglophone se demandera quel chemin elle va emprunter; les bilingues, eux, sont peut-être capables d'entrevoir les deux possibilités.
De quel côté le voleur a-t-il filé? Il y a des chances que obteniez une réponse plus précise à cette question si vous l'avez posée en allemand. Comment s'en est-elle tirée? Une telle question pourrait vous inciter à passer à l'anglais. Selon une étude récente, l'action et ses conséquences sont vues différemment en fonction de la langue de l'interlocuteur, car celle-ci influence la manière dont il conçoit le monde. Les chercheurs pensent également que les bilingues pourraient obtenir le meilleur des deux mondes, leur pensée étant plus flexible.
Depuis les années 40, les spécialistes en sciences cognitives débattent pour savoir si la langue maternelle façonne la manière de penser. Ces dernières décennies, la question connaît un renouveau, parce que de nombreuses études semblent suggérer que la langue que nous parlons nous rend attentifs à différentes facettes de la réalité. Ainsi, les russophones sont meilleurs à distinguer les différentes teintes du bleu que les anglophones. Les interlocuteurs japonais, eux, auraient tendance à regrouper les objets en fonction de leur matière plutôt que de leur forme, tandis que les Coréens seraient attentifs à la manière dont les objets s'emboîtent. Il y a toutefois des voix sceptiques, pour qui ces résultats ne seraient que des artéfacts de laboratoire, ou qui reflèteraient tout au plus les différences culturelles entre différents interlocuteurs, sans être en lien avec le langage.
Dans la nouvelle étude, les chercheurs se sont penchés sur des multilingues. Lorsqu'on étudie les bilingues, « nous avons repris un débat classique mais en le renversant », déclare le psycholinguiste Panos Athanasopoulos de l'université de Lancaster, au Royaume-Uni. Plutôt que de se demander si c'est leur esprit qui différenciait les interlocuteurs de différentes, dit-il, « nous nous sommes demandé si « deux esprits différents peuvent coexister dans une seule personne ».
Athanasopoulos et ses collègues se sont intéressés en particulier à la différence de vision des événements entre anglophones et germanophones.
En effet, l'anglais dispose d'outils grammaticaux permettant de situer l'action dans le temps : « I was sailing to Bermuda and I saw Elvis », qui diffère de « I sailed to Bermuda and I saw Elvis», que l'allemand ne peut pas exprimer. Par conséquent, les germanophones tendent à mentionner le début, le milieu et la fin d'un événement, alors que les anglophones ne mentionnent en général pas les points finaux, se concentrant sur l'action. Témoin de la même scène, un germanophone serait tenté de dire « A man leaves the house and walks to the store », alors qu'un anglophone se contenterait de dire, « A man is walking ».
Selon cette nouvelle étude, la différence linguistique influerait sur la différence de perception des événements entre les deux langues. Athanasopoulos et ses collègues ont montré à 15 interlocuteurs de chacune des langues une série de clips vidéo, où l'on voyait des personnes marchant, faisant du vélo, courant ou conduisant. Par groupes de trois vidéos, les chercheurs demandèrent aux sujets de décider si la scène dont le sens était ambigu (une femme descendant une rue en direction d'une voiture garée) avait plus de similitudes avec une scène davantage orientée vers l'objectif (une femme entre dans un bâtiment) ou bien avec une scène sans but apparent (une femme marchant sur un sentier de campagne). Dans une moyenne de 40% de cas, les germanophones ont interprété les scènes paraissant ambiguës comme orientées vers l'objectif, contre 25% des cas pour les anglophones. On peut en déduire que les germanophones se concentrent davantage sur les résultats possibles de l'action, alors que les anglophones s'attachent davantage à l'action elle-même.
Les bilingues, en revanche, semblent changer de perspectives en fonction de leur langue la plus active à un moment donné. Les chercheurs ont constaté que 15 germanophones qui parlaient couramment anglais, restaient tout autant attentifs à l'objectif que tout autre interlocuteur qui était testé en allemand dans son pays. Cependant, un groupe similaire de bilingues allemand-anglais testés en anglais au Royaume-Uni étaient attentifs à l'objectif, à l'instar des interlocuteurs anglophones. Ce changement pourrait aussi être tributaire de la culture, cependant une expérience postérieure a démontré que les bilingues changent aussi rapidement de perspective qu'ils changent de langue.
Une vidéo avec une langue a été montrée à un autre groupe de 30 bilingues allemand-anglais, alors que les participants devaient répéter des chaînes de chiffres à haute voix en anglais, voire en allemand. En supprimant l'une des langues, l'autre langue devenait automatiquement dominante. Lorsque les chercheurs « bloquèrent » l'anglais, les sujets se comportaient en Allemands typiques, et percevaient les vidéos ambiguës comme plutôt orientées vers les objectifs. Lorsqu'en revanche, on bloquait l'allemand, les sujets bilingues se comportaient comme des interlocuteurs anglais et associaient les scènes ambiguës à celles ouvertes. Lorsque les chercheurs surprenaient les sujets, en leur faisant changer de langue de comptage au milieu de l'expérience, les sujets se concentraient sur l'objectif conformément au changement.
Ces résultats permettent à leurs auteurs de penser qu'une seconde langue puisse jouer un rôle inconscient important dans le cadrage de la perception, comme ils l'exposent dans 'édition en-ligne du mois du Psychological Science. Selon Athanasopoulos, « en maîtrisant une autre langue, vous gagnez une vision alternative du monde. Vous pouvez écouter de la musique avec un seul haut-parleur, ou bien l'écouter en stéréo. Ceci prévaut pour les langues. »
Pour Philip Wolff, chercheur en sciences cognitives d'Emory University à Atlanta, qui n'avait pas participé à l'étude, « Il s'agit là d'une avancée importante ». Selon lui, « Si vous êtes bilingue, vous êtes capables d'utiliser des perspectives différentes, et de passer de l'une à l'autre. Cela n'avait jamais été prouvé auparavant ».
Il n'en reste pas moins que les chercheurs qui doutent que le langage joue un rôle central dans la pensée risquent de demeurer sceptiques. Il est possible que dans les conditions artificielles de laboratoire, les gens s'appuient plus sur la langue que ce ne serait le cas dans des conditions normales, commente Barbara Malt, psychologue cognitive Barbara Malt de l'Université Lehigh à Bethlehem, en Pennsylvanie. « Dans une situation réelle, il pourrait y avoir des raisons qui feraient que mon attention se dirige sur l'aspect continuité de l'action, ou pour que je m'attache à la finalité », ajoute-t-elle. « Rien ne prouve qu'il faut être bilingue pour agir de la sorte… cela ne prouve pas que le langage serve de loupe permettant de regarder le monde ».
Note de la contributrice :
Dans des termes non techniques, l'auteur de l'article « Speaking a second language may change how you see the world", fait allusion à la "modulation". Par modulation, on entend une phrase qui est différente dans la langue source et celle d'arrivée tout en exprimant la même idée. Ainsi, "Te le dejo" signifie littéralement "je te le laisse", mais il est préférable de le traduire par "You can have it". Cela entraîne un changement sémantique et un glissement du point de vue de la langue source. Par le procédé de modulation, le traducteur crée un changement de point de vue du message, sans pour autant en modifier le sens, ni entraîner un sentiment d'étrangeté chez le lecteur du texte d'arrivée. On y recourt souvent dans la même langue. L'expression telle que "es fácil de entender" (il est facile de comprendre) et "no es complicado de entender" (il n'est pas compliqué a comprendre) sont des exemples de modulation. C'est précisément un tel changement de point de vue d'un message qui permet au lecteur de se dire que, oui, c'est exactement ce que l'on dit dans ma langue.
Pour plus d'explications, se référer au classique de Vinay (J.-P.) et Darbelnet (J.), Stylistique comparée du français et de l'anglais.
[1] religieux allemand qui vécut de 1380 à 1471 et à qui l'on attribue L'Imitation de Jésus-Christ.
Magdalena Chrusciel, notre fidèle correspondante à Genève, interprète/traductrice jurée (polonais-anglais-français), a bien voulu interroger le Professeur François Grosjean, grand spécialiste du bilinguisme et que nous remercions d'avoir accepté de répondre à ses questions.
M. Grosjean
Mme. Chrusciel
Professeur honoraire de psycho-linguistique à l'Université de Neuchâtel (Suisse), ses domaines de prédilection sont la perception, la compréhension et la production du langage, qu'il s'agisse du langage parlé ou de celui des signes. Il s'intéresse également au bilinguisme et au biculturalisme, à la linguistique appliquée, à l'aphasie et au traitement naturel du langage. Il s'est fait connaître grâce à sa vision holistique du bilinguisme, du mode langagier et du principe de complémentarité.
Il est l'auteur d'ouvrages suivants traitant du bilinguisme:
Life with Two Languages (Harvard University Press, 1982)
Studying Bilinguals (Oxford University Press, 2008)
Bilingual: Life and Reality (Harvard University Press, 2010)
The Psycholinguistics of Bilingualism (avec P. Li; Wiley-Blackwell, 2013)
Parler plusieurs langues : le monde des bilingues (Albin Michel, 2015)
Magdalena : Professeur de psycholinguistique émérite et bilingue français-anglais, vous vivez le bilinguisme au quotidien. Je suis moi-même bilingue français-polonais, pour avoir vécu et étudié en Suisse et en Pologne, ayant changé – pour reprendre vos termes - de langue dominante à quatre reprises. En lisant votre passionnant ouvrage, on apprend qu'environ la moitié des habitants de la terre sont bilingues. Comment faut-il le comprendre ?
Le bilinguisme se développe lorsqu'un individu a besoin de communiquer en plusieurs langues, et est dû à de nombreux facteurs tels que le contact de langues à l'intérieur d'un pays ou d'une région, la nécessité d'utiliser une langue de communication (lingua franca) en plus d'une langue première, la présence d'une langue parlée différente de la langue écrite au sein d'une même population, la migration politique, économique ou religieuse, le commerce international, les cursus scolaires suivis par les enfants, l'intermariage et la décision d'élever les enfants avec deux langues.
Magdalena : Pouvez-vous nous parler des mythes qui ont cours au sujet du bilinguisme, notamment de celui qui veut qu'un bilingue soit un traducteur-né ?
En voici quelques-uns: le bilinguisme serait un phénomène rare; les bilingues posséderaient une maîtrise équivalente de leurs différentes langues et seraient des traducteurs-nés; les langues seraient acquises dans la prime enfance; le bilinguisme précoce chez l'enfant retarderait l'acquisition du langage; et il affecterait négativement le développement cognitif des enfants possédant deux ou plusieurs langues. En fait, environ la moitié de la population du monde est bilingue; il est exceptionnel qu'une maîtrise identique soit atteinte dans toutes les langues et il est rare que le bilingue soit un fin traducteur; on peut devenir bilingue à tout âge; les grandes étapes d'acquisition sont atteintes aux mêmes moments chez tous les enfants, monolingues ou bilingues; enfin, l'enfant bilingue montre souvent une supériorité par rapport à l'enfant monolingue pour ce qui concerne l'attention sélective, la capacité à s'adapter à de nouvelles règles, et les opérations métalinguistiques.
Magdalena : Le lien entre migration et langues m'interpelle fortement. Statistiquement, on estime à 36 en moyenne, le nombre de langues parlées dans un pays donné. Vous mentionnez par exemple que 300 langues sont parlées au quotidien à Londres. Qu'en est-il notamment en Suisse ?
Selon l'Office fédéral de la statistique (OFS), en 2000, la Suisse comptait en tout quarante langues parlées en tant que langue principale par plus de mille locuteurs. Le nombre est bien entendu plus élevé si l'on enlève cette limite inférieure mais l'OFS n'a pas pu me donner plus de précisions.
Magdalena : Bilingues, nous passons allégrement d'une langue à l'autre, en fonction du contenu, de l'interaction, etc. Ainsi, avec mon fils Michael, étudiant à l'université de Neuchâtel, nous parlons de questions d'études en français, mais nous revenons au polonais lorsqu'il est question de la famille et des amis.
J'ai appelé cela le "principe de complémentarité" que je définis ainsi: les bilingues apprennent et utilisent leurs langues dans des situations différentes, avec des personnes variées, pour des objectifs distincts. Les différentes facettes de la vie requièrent différentes langues. Plus on étudie le principe de complémentarité, plus on remarque son influence sur la perception et la production de la parole, la mémoire verbale, l'acquisition des langues chez les enfants bilingues, et la dominance langagière.
Magdalena : Qu'en est-il de l'expression de nos émotions ? et de la langue de nos rêves ?
Là aussi le principe de complémentarité joue un rôle. Il existe chez la plupart des bilingues un certain nombre de domaines plus personnels et d'activités cognitives réservés strictement à une langue. Les choses apprises par cœur telles que prier, compter ou calculer, ainsi que l'expression de diverses émotions, telle que jurer, sont souvent limitées à une seule langue (mais pas nécessairement toujours la première). Quant aux numéros de téléphone et mots de passe nombreux dont nous avons besoin aujourd'hui, ils sont la plupart du temps mémorisés dans une seule langue et difficilement récupérables dans l'autre.
Magdalena : Pouvez-vous nous parler du code-switching - l'expression anglaise illustrant bien mieux cette utilisation alternée de deux langues, et d'emprunts, d'intégration de termes dans une autre langue ?
Dans ses activités quotidiennes, la personne bilingue navigue entre différents modes langagiers. À l'une des extrémités du continuum, elle est dans un mode monolingue: devant des monolingues qui ne connaissent pas son ou ses autres langues, ou des personnes qui ne partagent qu'une langue avec elle, elle se trouve dans l'obligation de n'utiliser qu'une seule langue avec l'interlocuteur. À l'autre bout du continuum, elle communique avec d'autres bilingues qui parlent les mêmes langues qu'elle et qui acceptent le mélange de langues, ce que j'ai intitulé, en 1968 déjà, le parler bilingue. C'est dans ce mode bilingue qu'apparaissent les alternances de code (code-switchs) et les emprunts.
Magdalena: Est-ce ce qui se passe dans le roman de Lydia Salvayre, Pas pleurer, Prix Goncourt 2014?
Tout à fait; la plupart des propos rapportés ont été exprimés en mode bilingue, d'où les alternances de code et les emprunts qui s'y trouvent.
Magdalena : Les interférences, un appauvrissement ou une richesse ? J'aime la formulation que vous citez d'Eva Hoffman, dans « Lost in translation » : « Each language modifies the other, crossbreeds with it, fertilizes it ». En tant que traducteurs, nous recherchons toujours une pureté linguistique, dépourvue d'interférences.
Dans mon livre, "Parler plusieurs langues", je consacre toute une section aux traducteurs et interprètes qui doivent, en effet, éviter le plus possible les interférences, sans parler des alternances de code et des emprunts. Cela est une des grandes différences avec les bilingues "normaux" qui apprennent à vivre avec et qui, pour certains, y voient une manière de rendre moins monotone et stéréotypée leur production langagière parlée et écrite.
Magdalena : On ne peut être que rassuré d'apprendre que le bilinguisme nous protège, en retardant dans le temps la démence sénile, à l'instar d'autres activités mentales complexes. Pouvez-vous citer les principaux avantages du bilinguisme? Et les désavantages, aux yeux de certains.
Parmi les avantages exprimés par les bilingues, citons les suivants: pouvoir communiquer dans deux ou plusieurs langues et avoir ainsi accès à d'autres cultures; avoir plusieurs perspectives sur la vie; pouvoir lire la littérature étrangère dans sa version originale; servir de médiateur entre les cultures; avoir plus de possibilités au niveau de son travail, etc. Parmi les désavantages, certains bilingues citent souvent le fait qu'ils ne peuvent pas tout exprimer dans une de leurs langues; d'autres se plaignent des interférences qu'ils produisent; certains n'aiment pas l'accent qu'ils ont dans l'une des langues; et parmi ceux qui sont également biculturels, certains se sentent éloignés, parfois même exclus, de l'une ou de l'autre culture, ou même des deux.
Magdalena : Petits, les enfants ont plus de facilité à apprendre de nouveaux sons, qu'en est-il de l'apprentissage linguistique global ? Quels conseils donneriez-vous aux parents soucieux de leur bilinguisme ?
Il est possible de devenir bilingue à tout moment de la vie: dans l'enfance, dans l'adolescence et même à l'âge adulte. Nous savons depuis longtemps que les enfants plus âgés sont de meilleurs apprenants d'une langue seconde au niveau cognitif que les très jeunes enfants, et que les apprenants tardifs peuvent réussir tout aussi bien que les précoces. Il est bon de garder cela à l'esprit lorsque l'on planifie le début du bilinguisme d'un enfant. Je passe de nombreuses pages dans mon nouveau livre sur le devenir bilingue des enfants et des adolescents, et le rôle que doivent jouer les parents dans ce voyage linguistique de leurs enfants. Je suis d'avis qu'une planification réfléchie de l'acquisition et du maintien des langues de l'enfant par les parents est indispensable; elle devrait empêcher d'éventuelles déceptions et aboutir à un bilinguisme stable et réussi.
Magdalena : Nos lecteurs seront ravis d'apprendre la parution prochaine de votre ouvrage chez Albin Michel. C'est votre premier livre grand public qui paraît en français. Est-ce que sa rédaction dans votre première langue, le français, a pu vous entraîner vers d'autres réflexions, par rapport à vos ouvrages précédents, tous en anglais ? Quels sont les thèmes que vous y traitez ?
Le livre comprend quatre chapitres: Le monde bilingue, Les caractéristiques du bilinguisme, Devenir bilingue, et autres dimensions du bilinguisme. Il traite des représentations que l'on a de ce phénomène, des effets cognitifs et métalinguistiques du bilinguisme, du biculturalisme, et des bilingues exceptionnels tels que les enseignants de langue seconde, les traducteurs et interprètes, et les écrivants bilingues. J'explique dans un billet de mon blog chez Psychology Today le défi que cela a été de préparer et d'écrire cet ouvrage en français, et en quoi il est différent de Bilingual: Life and Reality, à la fois dans son contenu et sa forme.
Références:
Bilingual: Life and Reality, F. Grosjean, Harvard University Press, 2010.
Parler plusieurs langues: Le monde des bilingues. F. Grosjean, Albin Michel, 2015.
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