Nous sommes heureux de retrouver notre contributrice fidèle, Valérie François. Valérie a été notre linguiste du mois de septembre 2017. Elle a obtenu une maîtrise (master 1) en Langues Étrangères Appliquées (anglais/allemand) de l'Université Sorbonne Nouvelle (Paris III) puis un master 2 en management des affaires internationales de l'École de Commerce CESCI à Paris.
Après onze années d'expérience en entreprise, dans l'export, la traduction et l'informatique, appliqués aux secteurs de la santé et des sciences de la vie, à Paris et à Dublin, Valérie s'est installée à son compte comme traductrice en 2015 à Málaga en Espagne, où elle vit depuis quatre ans pour apprendre et découvrir une nouvelle langue et culture, et élever ses deux enfants nés en Irlande dans un environnement trilingue.
Le site de Valérie est accessible à l'adresse http://www.FrenchTranslations.eu
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Les sous-titres affichés sur les écrans de télévision ou de cinéma sont d’une aide certaine pour différents types d’audience, selon l’intérêt que chacun souhaite leur porter. Pourtant, ceux-ci, par leur contenu ou leur utilité même, sont souvent critiqués. À l’instar du film récent « Roma » du réalisateur mexicain Alfonso Cuarón, dont les sous-titrages en français et en espagnol (castillan) se sont trouvés au cœur de polémiques. À la différence du film lui-même, qui a reçu d’excellentes critiques et a remporté dernièrement l’Oscar, décerné par l’Académie américaine des arts et des sciences du cinéma, du meilleur film en langue étrangère (non anglais), du meilleur réalisateur et de la photographie, les sous-titres du film, en français et en espagnol notamment, ont été critiqués à différents égards (exemples : article relatant des sous-titres en français du film Roma et article du site El País relatant des sous-titres en castillan du film).
Dans les paragraphes qui suivent, je souhaite mettre en lumière l’intérêt du sous-titrage1, comme une pratique parmi d’autres de transfert linguistique des œuvres audiovisuelles, pour les apprenants d’une langue étrangère en particulier.
Les sous-titres sont de types multiples et il existe différentes classifications. Dans la classification linguistique des sous-titres, les sous-titres les plus répandus sont appelés « sous-titres interlinguistiques », ou « narratifs ». Ces sous-titres sont présentés dans une langue différente de celle des dialogues. Il s’agit de la traduction des dialogues d’un film de langue étrangère vers la langue locale sous forme de texte affiché à l’écran. Ceux-ci sont largement utilisés au cinéma. Les sous-titres dits « intralinguistiques » ou « bimodaux » sont une autre catégorie courante de sous-titres utilisés dans les médias. Ces derniers sont une transcription écrite de la totalité du contenu sonore (y compris les aspects verbaux, non verbaux ou para-verbaux) et s’adressent à l’origine aux personnes sourdes et malentendantes. Ils sont aujourd’hui beaucoup utilisés par les apprenants d’une langue étrangère dans les programmes télévisés et diffusés numériquement. Toujours dans cette même classification, il existe une troisième catégorie de sous-titres appelée « sous-titres bilingues », utilisés dans les régions où l’on parle deux langues (par exemple, à Bruxelles, où les sous-titres sont en français et en flamand, et en Finlande, où les sous-titres sont en finnois et suédois, le suédois étant la langue officielle du pays à égalité avec le finnois). Il existe d’autres catégories et classifications des sous-titres qui revêtent également une utilité ou un intérêt particulier ne faisant pas l’objet de cet article. Les sous-titres auxquels il est fait allusion dans la suite de cet article se rapportent indifféremment aux types de sous-titres cités précédemment.
De nos jours, de nombreux contenus cinématographiques et programmes audiovisuels sont offerts dans plusieurs langues, par des procédés (parmi les plus usités en Europe) de doublage, de sous-titrage ou de voice-over (demi-doublage2). Depuis 2007, l’Union européenne a souligné le potentiel du sous-titrage pour l’apprentissage des langues : « Le sous-titrage est un instrument fabuleux pour aider les personnes à apprendre des langues avec facilité et plaisir » (Commission européenne 2007, art.2). Dans une étude datant de 2011, elle s’est intéressée en particulier à la corrélation entre les pratiques courantes de transfert linguistique des œuvres audiovisuelles étrangères dans les pays européens, par exemple, le doublage et le sous-titrage, et les niveaux de compétences linguistiques dans ces pays. Cette étude, menée par la direction générale de l’éducation et de la culture de la Commission européenne et intitulée « Étude sur l’utilisation du sous-titrage », a analysé le potentiel du sous-titrage pour encourager l’apprentissage et améliorer la maîtrise des langues étrangères (EACEA/2009/01). Elle indique en premier lieu que le sous-titrage est la pratique de transfert linguistique la plus répandue en Europe au cinéma, et dans une moindre mesure, à la télévision, en particulier dans les pays du Nord et de l’Est de l’Europe. Vient ensuite le doublage, qui constitue la pratique dominante au cinéma en Espagne et en Italie par exemple, et la pratique dominante à la télévision pour la France, l’Espagne et l’Allemagne, par exemple. En France, la pratique la plus courante utilisée au cinéma est celle de la double version : les copies des films étrangers, qu’ils soient européens ou américains, sont distribués à la fois en version sous-titrée et en version doublée. Les données se rapportant spécifiquement à la télévision sont illustrées dans le schéma ci-contre.
Dans cette carte de l’Europe, les pays en rouge sont ceux dans lesquels le doublage prédomine, ceux indiqués en jaune sont les pays à tradition de sous-titrage, les pays en vert sont ceux dans lesquels le voice-over domine. Les pays en bleu (Malte et Luxembourg) sont ceux dans lesquels les versions originales uniquement sont utilisées. Le choix d’une technique au détriment d’une autre dans chaque pays (de manière générale, adoptée en premier lieu pour le cinéma, en découlant ensuite la méthode adoptée pour la télévision) est souvent la conséquence directe de décisions prises dans les années 20-30, les raisons pouvant être politiques, économiques ou historiques3. L’une des conclusions importantes de cette étude est qu’il existe une corrélation entre les pays présentant une meilleure maîtrise des langues étrangères (en particulier, l’anglais) et la tradition du sous-titrage par rapport au doublage. D’après cette étude, dans les pays ayant une tradition du sous-titrage, l’examen (tant l’examen objectif que l’auto-évaluation auxquels se sont soumises les personnes interrogées) du niveau des locuteurs de langues étrangères a révélé des capacités supérieures des locuteurs à converser dans une langue différente de leur langue maternelle. À l’inverse, dans les pays optant principalement pour le doublage, cette évaluation a montré de moins bons résultats (Commission européenne 2011:11).
D’autres études vont dans ce sens. Par exemple, une étude a analysé les facteurs expliquant les niveaux plus avancés de maîtrise de l’anglais comme langue étrangère dans les pays d’Europe. Parmi ces facteurs étaient cités la similitude linguistique de l’anglais avec la langue locale, les dépenses en éducation par tête et la qualité du système d’éducation, mais le facteur le plus important était le mode de traduction des films dans chaque pays. Il a été prouvé que le niveau d’anglais était meilleur dans les pays où la télévision offrait des programmes en version originale avec sous-titres. De plus, les bienfaits du sous-titrage se complémentent à l’apprentissage en classe, et les élèves des pays à tradition de sous-titrage bénéficient plus encore de leurs cours d’anglais (Subtitling and English skills, Rupérez Micola, Bris, Banal-Estañol, Mars 2009, p.3). Les bienfaits de la méthode du sous-titrage par rapport à d’autres méthodes d’apprentissage, comme la traduction, sont démontrés dans un nombre croissant d’études, qui ont analysé les effets positifs du visionnage de matériels audiovisuels sous-titrés sur l’acquisition d’une langue étrangère. Certains suggèrent que les spectateurs, en lisant dans leur langue maternelle, ne font plus attention aux dialogues originaux. En réponse à ces critiques, diverses études cognitives démontrent que les sous-titres se lisent de manière automatique, parfois même inconsciente, et sans interférer avec la bande originale. D’après la « théorie cognitive de l’apprentissage multimédia » (Cognitive Theory of Multimedia Learning, Mayer, 2003), grâce à l’ajout d’un second et troisième canal sensoriel d’acquisition (à l’instar du matériel audio-visuel sous-titré) au canal auditif seul, la capacité d’attention et de traitement des informations augmente.
Selon une autre théorie dite de double codage (Dual Coding Theory, Paivio, 1991), l’information est traitée et enregistrée au moyen des deux systèmes de mémoire distincts mais liés entre eux, le visuel et le verbal. La mémorisation des informations est accentuée et plus rapide car les informations sont codées des deux façons, dans les deux systèmes de mémoire.
De mon expérience personnelle, les sous-titres intralinguistiques (films et sous-titres en langue originale) pour les films ou programmes audiovisuels ont été très utiles pour toute la famille, alors que nous nous installions en Irlande et souhaitions perfectionner notre niveau en anglais, puis en Espagne, pour apprendre l’espagnol. Contrairement aux sous-titres interlinguistiques, les sous-titres dans la langue originale sont destinés aux personnes d’un niveau plus avancé et souhaitant enrichir leur vocabulaire, accroître leur compréhension (des différents accents par exemple) et s’ouvrir aux expressions de la vie quotidienne et réelle. Ces sous-titres aident à contextualiser la langue et la culture d’autres pays et permettent de reconnaître ou de confirmer ce que le spectateur a compris à l’oral.
En définitive, le recours au sous-titrage pour l’éducation et comme élément d’acquisition d’une langue étrangère est une pratique assez récente et devrait se généraliser davantage à l’avenir dans toute l’Europe, l’Union européenne ayant émis récemment des recommandations visant à développer la diffusion du sous-titrage et à développer le sous-titrage en tant qu’outil pédagogique. Les diverses études réalisées sur ce thème ont montré que, loin d’être une distraction et de ralentir le développement des aptitudes d’écoute (selon la croyance que les apprenants s’appuient sur le texte plutôt que sur le dialogue), les sous-titres pourraient jouer un rôle important dans le processus d’apprentissage en offrant aux apprenants des aides pour la compréhension orale de la langue étrangère, grâce à l’exposition à une multitude d’expressions naturelles dans cette langue (Vanderplank, 1988 : 272-273). De plus, l’ensemble des études citées précédemment démontrent une meilleure facilité d’expression orale en langue étrangère dans les pays habitués au sous-titrage. Il semblerait que la consommation d’alcool avec modération (en référence à l’un de nos articles précédents, In vino veritas) ne serait pas l’unique moyen de délier les langues !
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1 La notion de sous-titres en anglais est traduite de différentes façons selon qu’il s’agisse d’un sous-titrage destiné aux sourds et malentendants ou non. Les notions sont distinctes en outre selon la méthode de diffusion de ces sous-titres. Les termes « closed captioning » et « sub-titling » sont couramment employés. Le premier est utilisé pour signifier que le texte affiché est une transcription du dialogue et de l’ensemble du contenu sonore verbatim ou sous forme codée qui est destinée aux sourds et malentendants, tandis que le second fait référence à une traduction des dialogues uniquement, affichés sous forme de texte et qui est destinée à une audience non locale. Le terme « closed captioning » est également utilisé par opposition à « open captioning » en ce sens que le premier se trouve sur un fichier séparé de la vidéo et peut être désactivé et le deuxième est incrusté dans le fichier vidéo et sera toujours visible. L’équivalent français de « closed captioning » est « sous-titrage codé » ou « sous-titrage pour sourds et malentendants ».
2 Le demi-doublage (ou voice-over) est, en français, la surimposition de la voix de la langue d’arrivée sur celle de la langue de départ ; en anglais, la notion correspond à la seule voix du commentateur invisible (équivalent à la voix-off) (information tirée de « La traduction audiovisuelle : un genre en expansion »). La traduction inverse de demi-doublage en anglais est "half-dubbing" .
3 Par exemple, en Espagne, en 1941, un arrêté ministériel (Orden Ministerial del 24 de abril de 1941) stipulait que la projection cinématographique dans une langue autre que l’espagnol était interdite, sauf autorisation accordée par le syndicat national du spectacle, en accord avec le Ministère de l’Industrie et du commerce et à la condition que ces films aient fait au préalable l’objet d’un doublage.
Lecture supplémentaire :
MEDIATING LINGUA-CULTURAL SCENARIOS IN AUDIOVISUAL TRANSLATION
CULTUS the Journal of Intercultural Mediation and Communication 2018, Volume 11
Le sous-titrage et le doublage au cinéma
Traduire - No. 243
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