e n t r e t i e n e x c l u s i f
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Alan Hoffman |
Jonathan G. |
Nadine Gassie, traductrice littéraire très chevronnée, qui a bien voulu traduire l'entretien ci-dessous, et sa fille Océane Bies, étaient nos linguistes du mois d'avril 2017. Sa derniere traduction, L’appel du cactoès noir (Riding the Black Cockatoo, rédigé par l'auteur australien, John Danalis), vient de paraitre chez les éditions Marchialy. Nous remercions infiniment Nadine d'avoir accepté de traduire cet entretien.
Introduction :
Notre traducteur invité, Alan Hoffman, est diplômé de l'université de Yale et de la faculté de droit de Harvard (Harvard Law School). Il a été pendant près de cinquante ans avocat au Barreau de Boston et préside l'association des Amis américains de Lafayette.
En 2006 Alan Hoffman a fait paraître sa traduction de Lafayette En Amérique En 1824 Et 1825 Ou Journal D'un Voyage Aux États-Unis d'Auguste Levasseur sous le titre Lafayette in America in 1824 and 1825, aux éditions bien nommées Lafayette Press Inc. Sa traduction américaine de cette chronique est la seule traduction complète existante à ce jour.
L'entretien qui suit porte sur les séjours de Lafayette aux États-Unis en 1777 et 1780 et en 1824-1825. Le format ne nous permet pas d'évoquer ici les années de Lafayette en France ni son activisme en faveur de l'abolition de l'esclavage en France comme aux États-Unis, dont Alan Hoffman est aussi un fin connaisseur. Sur ce sujet, nous recommandons la lecture de Lafayette in Two Worlds: Public Cultures and Personal Identities in an Age of Revolutions de Lloyd Kramer (The University of North Carolina Press, 1996) et Hero of Two Worlds: The Marquis de Lafayette in the Age of Revolution de Mike Duncan, (Public Affairs, 2021) ainsi que Lafayette de Laurent Zecchini, 580 pages (Fayard, 2019).
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Marie-Joseph Paul Yves Roch Gilbert du Motier, marquis de La Fayette (1757–1834), connu aux États-Unis sous le nom de Lafayette, est un aristocrate et officier français venu combattre aux États-Unis durant la guerre d'indépendance.
À l'âge de 19 ans (alors qu'il a déjà rencontré le roi George III à Londres), Lafayette part pour l'Amérique rejoindre les forces insurgées de George Washington. Il assure le commandement des troupes américaines lors de plusieurs batailles, dont la campagne de Virginie et le siège de Yorktown. [1]
Washington & Lafayette à Forge Valley |
Au début de l'année 1779, profitant d'une accalmie dans la guerre, Lafayette revient en France pour tenter d'obtenir du roi Louis XVI et de ses ministres une rallonge en aide matérielle, un supplément de prêts et de troupes ainsi que le retour de la flotte française aux États-Unis. Le ministère français approuve son plan et Lafayette retourne en Amérique en 1780 pour rejoindre l'armée continentale.
Après son retour définitif en France en 1781, il devient une personnalité majeure de la Révolution française de 1789 et de la Révolution de juillet 1830. Il est l'un des rédacteurs de la Déclaration française des droits de l'homme et du citoyen.
En juillet 1824, alors qu'il n'a pas revu les côtes américaines depuis 1784 (le traité de Paris a mis officiellement fin à la Révolution américaine en 1783), le général Lafayette, surnommé « le héros des deux mondes », s'embarque au Havre pour les États-Unis, son pays d'adoption, à l'invitation du Congrès et du président James Monroe. Ce retour, à l'age de 67 ans, quarante ans après la gloire dont il s'est couvert en participant à la victoire des insurgés, suscite une extraordinaire démonstration d'affection de la part du peuple américain envers le dernier Major General survivant de leur révolution. Au cours des 13 mois que dure son séjour, il visite les 24 États et reçoit partout honneurs et célébrations. Il est accueilli par les anciens présidents John Adams, Thomas Jefferson et James Madison, par les présidents en exercice James Monroe et John Quincy Adams, et par le futur président Andrew Jackson. Lafayette est accompagné de son fils unique, Georges Washington Lafayette, 45 ans, de son secrétaire André-Nicolas Levasseur et de son valet de chambre personnel.
Qui était André-Nicolas Levasseur ?
André-Nicolas Levasseur (également connu sous le nom d'Auguste Levasseur) est un écrivain et diplomate français du XIXe siècle. Tout comme Lafayette, Levasseur considérait Napoléon comme un « usurpateur » et portait un regard très critique sur la France de la Restauration sous la monarchie des Bourbon. [2] Levasseur est surtout connu aux États-Unis pour avoir accompagné Lafayette lors de sa dernière visite aux États-Unis en 1824. C'est à Levasseur, en tant que secrétaire de Lafayette, que l'on doit le récit détaillé en français de cette visite .
Dans quelle mesure vous intéressiez-vous déjà à Lafayette avant d'entreprendre ce projet de traduction ?
J'ai toujours eu un grand intérêt pour l'histoire, en particulier l'histoire des débuts des États-Unis, que j'ai choisi comme matière à l'université, mais pour ce qui est de Lafayette, je ne le connaissais que vaguement lorsqu'en 2002 j'ai lu le livre d'Andrew Burstein : America’s Jubilee: How in 1826 a Generation Remembered Fifty Years of Independence [Le Jubilé de l'Amérique ou Comment, en 1826, une génération a fêté cinquante ans d'indépendance]. Le premier chapitre portait sur la
tournée d'adieu de Lafayette en 1824-1825. Mon intérêt ayant été piqué, je me suis mis à lire tout ce que je pouvais trouver sur Lafayette. C'est ce qui m'a conduit à rejoindre l'association des Amis américains de Lafayette (AFL : American Friends of Lafayette) et la Société Lafayette du Massachusetts (Massachusetts Lafayette Society), puis à Levasseur et son journal.
Depuis quand existe votre association des Amis américains de Lafayette ? Avez-vous l'occasion de rencontrer des auteurs ou des chercheurs français pour échanger sur des aspects de la vie de Lafayette ?
L'AFL a été fondée en 1932 à la Lafayette College à Easton, en Pennsylvanie. Elle compte 450 membres provenant de presque tous les États américains, du Canada, de France, d'Angleterre et d'Allemagne. Nous tenons une réunion annuelle dans une ville ou localité associée à Lafayette et faisons partie des 13 organisations qui célèbrent chaque année l'anniversaire de la reddition du général Cornwallis à Yorktown le 19 octobre (jour de sa capitulation en 1781). Certains de nos membres universitaires parlent couramment le français, comme Robert Crout de Lafayette College de Charleston et Lloyd Kramer de l'université de Caroline du Nord. Nous avons aussi des contacts avec des enseignants-chercheurs en France, telle Iris de Rode, qui vient de publier les journaux de Chastellux, le commandant en second de Rochambeau.
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R.C. | I. de R. | L.K. |
Quel était votre niveau de compréhension du français écrit lorsque vous avez entrepris ce projet ?
J'avais derrière moi six ans de français et de latin scolaires. Il se trouve qu'en 2003, quand j'ai cherché à lire le journal de Levasseur, je n'ai pas trouvé le moindre exemplaire d'une traduction anglaise datant de 1829. Mais à la librairie Brattle Book Shop de Boston, dans la salle des livres rares, j'ai trouvé la version française originale ! Et quand j'ai ouvert le tome 1 à la page de la préface, j'ai constaté, à mon grand étonnement, que j'étais capable de lire dans le texte. C'est à ce moment-là que j'ai décidé de traduire ce livre.
Lafayette parlait-il anglais avant de poser pour la première fois le pied sur les côtes américaines ?
Non, mais il a appris à le parler et à l'écrire à bord de la Victoire, le premier navire qu'il a armé afin de rejoindre l'Amérique avec d'autres officiers français.
Lafayette avait étudié le latin à l'école, et le français bien sûr. Et durant les sept semaines de la traversée, il a eu un excellent professeur en la personne du Baron de Kalb qui parlait couramment l'anglais. Lafayette avait aussi emporté un livre de grammaire anglaise.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la maîtrise de l'anglais écrit acquise par Lafayette, sachant qu'il écrivait constamment des lettres en anglais à un certain nombre d'Américains, dont George Washington ?
Il est évident que Lafayette a développé une maîtrise de l'anglais écrit (et oral) très rapidement. On peut s'en convaincre en lisant, par exemple, la première lettre qu'il a écrite au général Washington le 14 octobre 1777, quatre mois seulement après son arrivée en Amérique. Voir The Letters of Lafayette to Washington 1777–1779, 2nd print, Louis Gottschalk, Editor (The American Philosophical Society, 1976).
Voici une citation du livre de Mike Duncan, Hero of Two Worlds, tout récemment paru : « Une bonne partie de la société française s'attendait à ce que sa flamboyante folie américaine se solde par un échec comique. Au lieu de quoi, Lafayette a cru en lui-même, fait preuve de hardiesse et de témérité, et son audace a magnifiquement payé. Certes, son titre, sa fortune et ses relations lui ont ouvert des portes en Amérique mais c'est pour son courage, sa loyauté et son talent qu'il y a été acclamé. » (Page 141)
Êtes-vous d'accord avec cette affirmation ? L'engagement physique de Lafayette dans la guerre a-t-il contribué à sa légende davantage que sa contribution financière et l'engagement de plusieurs milliers de soldats français ? Et dans ce cas, l'effet majeur n'a-t-il pas été de renforcer le moral des troupes ?
Je suis globalement d'accord avec ça, surtout avec la dernière phrase de la citation. La première, en revanche, est peut-être un peu exagérée. Certains contemporains de Lafayette, comme ses meilleurs amis le vicomte de Noaille (son beau-frère) et le comte de Ségur, qui avaient obéi à l'ordre de leurs pères leur intimant de ne pas aller en Amérique rejoindre les insurgés, ne pensaient pas que Lafayette était fou mais l'enviaient plutôt.
Le comte de Ségur | Le Roi Louis XVI |
Le vicomte |
La contribution de Lafayette à la cause américaine fut d'une importance cruciale, et son action diplomatique primordiale. À son retour en France en 1779, en congé de l'armée révolutionnaire, c'est lui qui, avec Benjamin Franklin, a fait pression sur les ministres français pour obtenir plus d'argent, de fournitures, de forces terrestres et le retour d'une flotte française. L'acceptation de son plan par l'état-major a conduit à la victoire de Yorktown. Par conséquent, le rôle militaire de Lafayette est loin d'être négligeable. Sa campagne de Virginie en 1781 créa la condition, à savoir l'enfermement de l'armée de Cornwallis à Yorktown, qui prépara le terrain au siège des forces anglaises et à leur reddition, en octobre 1781.
Les insurgés auraient-ils gagné la guerre d'indépendance sans le soutien de Lafayette et de la France ?
La réponse la plus brève est « probablement pas ». Et certainement pas en 1781. Le corps expéditionnaire français de Rochambeau, avec ses ingénieurs et ses énormes canons de siège, ainsi que la flotte antillaise commandée par le comte de Grasse, qui rejoignirent les troupes de Washington par le nord, et les forces de Lafayette déjà présentes en Virginie furent décisifs dans la bataille de Yorktown, l'ultime engagement majeur de la guerre. Sans Lafayette et la France, nous chanterions encore le « God Save the Queen ».
Peut-on voir un paradoxe dans le fait que Louis XVI peut être considéré comme l'un des héros de la Révolution américaine et est ensuite devenu le scélérat et la victime de la Révolution française ?
Louis XVI et ses ministres, en particulier le comte de Vergennes et le comte de Maurepas, n'étaient pas des libéraux des Lumières, mais ils ont soutenu l'insurrection américaine pour venger la France de la perte d'une partie de ses possessions coloniales dans la guerre de Sept Ans (1756-1763). Le soutien français aux États-Unis fut financé par l'emprunt. Ce fait, associé au gaspillage dispendieux de la Couronne et à un système fiscal injuste et inefficace, a conduit à la faillite du pays, et à la Révolution française, qui bien sûr a coûté sa tête à Louis XVI.
Parmi les personnalités françaises impliquées dans la guerre d'indépendance, il y eut Lafayette et Rochambeau, qui s'affrontèrent parfois. Rochambeau qualifiait Lafayette de « tête brûlée ». L'enthousiasme adolescent de Lafayette, cependant, s'est-il avéré un atout plus précieux que la circonspection de Rochambeau ? Auquel des deux peut-on attribuer la contribution la plus importante ?
On reconnaît généralement à Lafayette une contribution plus importante que celle de Rochambeau, du fait de son rôle diplomatique couplé à ses succès militaires. Il faut dire aussi que son enthousiasme adolescent et sa parfaite courtoisie se sont révélés contagieux. Et sa générosité personnelle – il a financé les uniformes de ses volontaires avec ses fonds propres – a clairement stimulé le moral des troupes avec lesquelles il a servi.
Statue de Rochambeau, Newport (Rhode Island) |
Après son premier voyage en Amérique et son retour en France, Lafayette a envisagé une attaque de la Grande-Bretagne. Il projetait aussi d'attaquer les Anglais au Canada. Bien qu'aucun de ces plans n'ait été mis à exécution, peut-on en déduire qu'il était un belliciste convaincu ?
Non, Lafayette n'était pas belliciste dans l'âme. Sa motivation, en imaginant ces plans, était purement stratégique. Il pensait qu'un succès sur chacun de ces théâtres d'opérations aurait accéléré la conclusion de la guerre, avec pour résultat moins de pertes en vies humaines.
Avez-vous vu la comédie musicale Hamilton ? Dans quelle mesure le portrait de Lafayette est-il authentique ?
J'ai vu deux représentations de Hamilton, une à Broadway, l'autre dans un théâtre de Boston, ainsi que le film à la télévision. La pièce n'est pas d'une authenticité historique absolue, mais elle ne prétend pas l'être non plus. Par exemple, Lafayette y est montré comme présent au début de la Révolution américaine alors qu'en fait il a rejoint l'armée continentale en juillet 1777. En outre, le personnage de Lafayette n'y a pas de rôle majeur et n'a que quelques lignes à chanter en solo. Mais la pièce est juste dans sa description de l'amitié de Lafayette avec Hamilton, de sa popularité auprès de ses compagnons d'armes et de l'importance de sa contribution à l'effort de guerre.
En février 1783, Lafayette écrivait à Washington :
« Maintenant, mon cher Général, que vous allez profiter d'une certaine tranquillité, permettez-moi de vous proposer un plan qui pourrait être d'un grand bénéfice pour la Partie Noire de l'Humanité. Unissons-nous pour acheter un petit domaine où nous pourrons tenter l'expérience de libérer les Nègres et de ne les employer qu'en tant que métayers – un tel exemple donné par vous-même pourrait en faire une pratique générale ; et, si nous réussissons en Amérique, je consacrerai volontiers une partie de mon temps à rendre la méthode de bon ton aux Antilles. Et s'il s'agit d'une folie, je préfère être fou en cette manière plutôt que jugé sage en l'autre. »
Selon les normes de la fin du XVIIIe siècle, les idées abolitionnistes de Lafayette, et plus particulièrement son projet de transformer les esclaves en métayers, étaient-elles très en avance sur leur temps ?
Dès 1783, Lafayette plaidait pour l'abolition de l'esclavage en Amérique, de même qu'en France et dans ses colonies. En 1785, Washington n'ayant pas accepté cette expérience qu'il lui proposait, Lafayette a acheté une plantation à Cayenne, sur la côte nord de l'Amérique du Sud, où il a démarré un programme d'affranchissement progressif des esclaves de la plantation. [3] Contrairement aux dirigeants américains tels que Washington et Jefferson, qui reconnaissaient que l'esclavage était mauvais mais n'en détenaient pas moins des esclaves, Lafayette est passé à l'acte. Sa première démarche anti-esclavagiste était très avancée. Seuls les Quakers aux États-Unis avaient des vues plus progressistes.
Addendum :
79 villes et villages, comtés et autres petites unités géographiques aux États-Unis portent le nom de Lafayette ou de son château, La Grange. Leurs noms sont Lafayette, Fayette, Fayetteville, Lafayetteville, Lagrange et Lagrangeville. Parmi ceux-ci, on compte 45 villes ou villages, 17 comtés, 16 communes, localités, etc. et une ville fantôme, Fayette dans le Michigan, aujourd'hui parc national et site historique. (Source : Gazette of the American Friends of Lafayette, No. 83, pp. 51–52 (October, 2015)
On trouve le mont Lafayette dans le New Hampshire, la rivière Lafayette en Virginie, le lac Lafayette en Floride et le Lafayette College en Pennsylvanie. Il existe plus d'une vingtaine de Loges (maçonniques) Lafayette, quantité de statues de Lafayette, de places et de parcs Lafayette, et probablement plus de 1 000 rues nommées en son honneur.
Statue of Lafayette by Alexandre Faiguière & Antonin Mercié |
Lafayette College Pennsylvania |
Des pièces de monnaie et des timbres à l'effigie de Lafayette ont été émis aux États-Unis et ailleurs :
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[1] Washington & Lafayette | History | Smithsonian Magazine
[2] Napoleon and the Marquis de Lafayette
[3] Lafayette and Slavery
The Cayenne Experiments
Lafayette et i'indépendence des Étas-Unis (25 minutes) |
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L'indépendance américaine (15 minutes) |
Lecture supplémentaire :
Why Don't the French Celebrate Lafayette
Adam Gopnik, The New Yorker, August 16, 2021
What Happened to This Hero From the American Revolution?
New York Times, August 27, 2021
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